L’écluse N°1

Le dernier Maigret avant la quille ! Et après, c’est fini (enfin… pas tout à fait)

Certes, de nombreuses enquêtes paraîtront après, mais Simenon n’ayant pas écrit ses livres dans l’ordre chronologique, voilà déjà l’heure de poser sa plaque et de partir à Meung-sur-Loire pour une retraite bien méritée. Et voilà pourquoi ce livre écrit en 1933 annonce la fin alors que la dernière enquête sera écrite en 1972. Pourtant, Madame Maigret est déjà dans les cartons !

C'était prodigieux de vie, ce paysage lumineux découpé par les fenêtres. Vues d'en haut, les péniches paraissaient plus lourdes, comme enlisées dans une eau trop dense. Debout dans son bachot, un marinier passait au goudron la coque grise de son bateau qui émergeait de deux mètres. Et il y avait des chiens, des poules dans une cage en treillage, et la jeune fille blonde qui astiquait les cuivres du pont. Des gens allaient et venaient sur les portes de l'écluse et les bateaux qui sortaient en aval semblaient hésiter avant de se laisser glisser au fil de la Seine.
L’écluse N°1 de Georges Simenon

Une enquête glauque dans un endroit qui aurait pu être sympa, en Haute-Marne, juste à côté de Paris au milieu des écluses.

Mais voilà, on s’y retrouve chez un odieux tyran domestique, qui loge sa maîtresse à l’étage, qui insulte sa femme et n’a de respect pour personne. Un riche parvenu à la force de ses bras, bien malheureux au milieu de ses possessions et qui ne vit qu’en écrasant ceux qui l’entourent.

Ducrau fronça les sourcils, regarda à nouveau son compagnon et, cette fois, avec autant d'admiration que de curiosité. 
« Que pensez-vous de ma femme ? Est-ce que vous trouvez que je la rends malheureuse?
 - Ma foi, non! Vous ou un autre ! C'est une de ces créatures qui sont toujours effacées et tristes, quel que soit leur sort. »
Maigret eût pu marquer un point, car Ducrau en restait ahuri.
« Elle est morne, bête et vulgaire, soupira-t-il. Comme sa mère que je loge dans une des petites maisons voisines et qui a passé sa vie à pleurer!

Une écluse N°1 pénible et laborieuse

Maigret 18/103

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Quand on observe des poissons à travers une couche d'eau qui interdit entre eux et nous tout contact, on les voit rester longtemps immobiles, sans raison, puis, d'un frémissement de nageoires, aller un peu plus loin pour n'y rien faire qu'attendre à nouveau.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Après une soirée trop arrosée, le vieux Gassin, en regagnant son bateau, tombe à l'eau et est aussitôt agrippé par un deuxième homme en passe de se noyer. Ce dernier n'est autre que Ducrau, le patron de Gassin. On les repêche et on s'aperçoit que Ducrau a reçu un coup de couteau dans le dos avant de se retrouver dans le canal. On parvient à le sauver et il demande l'intervention de la police, ce qui déclenche l'enquête de Maigret…

Maigret et les témoins récalcitrants

Maigret se retrouve avec un meurtre dans une famille guère collaborative. Propriétaire d’une ancienne biscuiterie florissante dont il ne reste plus que des miettes et des dettes dans une grande maison peu causeuse.

 - Tu n'as pas oublié ton parapluie ?
 - Non.
La porte allait se refermer et Maigret tournait déjà la tête vers l'escalier.
 - Tu ferais mieux de mettre ton écharpe. Sa femme courait la chercher, sans se douter que cette petite phrase-là allait le barbouiller un bon moment et lui inspirer des pensées mélancoliques.
Maigret et les témoins récalcitrants de Georges Simenon

Alors, cambriolage ou meurtre de l’intérieur ?

Au fond - et sa femme devait le soupçonner depuis longtemps - si Maigret, lorsqu'il était plongé dans une enquête, rentrait rarement chez lui pour les repas, c'était moins pour gagner du temps que pour rester comme replié sur lui-même, à la façon d'un dormeur qui, le matin, se recroqueville, entortillé dans les couvertures, pour mieux s'imprégner de sa propre odeur.
C'était l'intimité des autres, en somme, que Maigret reniflait, et maintenant, par exemple, dans la rue, les mains dans les poches de son pardessus, de la pluie sur le visage, il restait plongé dans l'ahurissante atmosphère du quai de la Gare.

Un commissaire qui rêve déjà de retraite, encombré d’un jeune juge d’instruction envahissant pour une enquête à la Maigret. Il cause, flâne, flaire, renifle, se questionne et interroge

Maigret 81/100

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
- Tu n'as pas oublié ton parapluie ?
- Non.
La porte allait se refermer et Maigret tournait déjà la tête vers l'escalier.
- Tu ferais mieux de mettre ton écharpe.
Sa femme courait la chercher, sans se douter que cette petite phrase-là allait le barbouiller un bon moment et lui inspirer des pensées mélancoliques.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Léonard Lachaume, directeur d'une biscuiterie vétuste, est retrouvé assassiné sur son lit, d'une balle en plein cœur. La famille veut faire croire à une affaire de cambriolage qui aurait mal tourné, mais Maigret n'y croit guère. Son enquête s'avère difficile devant le mutisme de l'entourage de Léonard, d'autant plus que le commissaire se retrouve flanqué d'un jeune juge d'instruction plutôt encombrant. Maigret apprend tout de même que la biscuiterie est au bord de la faillite, et que c'est l'argent de Solange Lauchaume, la belle-sœur de Léonard, qui tient l'entreprise à flots...

L’Arétin français

L’occasion de découvrir (par rebond et sur Wikipedia) qui était Pietro Aretino, vénitien banni de sa ville et qui fit parler de lui au 15e siècle pour ses Sonnets luxurieux

Figure sixième
J'éprouve, à ton aspect, un doux frémissement, 
À ta voix seule, je soupire ; 
J'en suis encore à mon premier moment, 
Plus je jouis, plus je désire.
J'aime à te caresser, l'amour fait mon bonheur. 
Qu'une froide coquette, orgueilleuse statue, 
De ses riches bijoux étale sa splendeur, 
Ma plus belle parure est d'être bien foutue
L’Arétin français de Félix Nogaret

Sinon, pas grand chose à dire de ce tout petit livret trouvé aux puces et qui m’avait amusé… Mais finalement pas trop

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Des feux les plus ardens le con me rend la proie
Le con , par excellence , eſt l’ouvrage des Dieux ;
L’homme au con doit ſa vie, & plus encor ſa joie;
Voltaire a beaucoup fait ; il n’a rien fait de mieux,
Du ſpectacle jamais je ne fus idolâtre,
Il laiſſe à froid ſouvent & l’eſprit & le cœur.
De la place où je ſuis je me forme un théâtre,
Le con, c’eſt-là ma piece , & mon vit eſt l'acteur.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Publiés anonymement à Londres en 1787, les poèmes de L'Arétin français sont de Félix Nogaret (1740-1831), qui est aussi l'auteur des Épices de Vénus. Le recueil est composé de dix-neuf courts poèmes, de huit vers chacun, qui servent de légendes à une suite de gravures de Burins d'Elluin d'après Borel.

La nuit merveilleuse : ou le nec plus ultra du plaisir

Voilà une nouvelle érotique du 18e bien amusante. Une nuit torride sur un malentendu… ou presque.

Madame d'Arbonne me prit sans m'aimer; elle me trompa, je me fâchai; elle me quitta; cela était dans l'ordre. Je l'aimais alors, et pour me venger mieux, j'eus le caprice de la ravoir, quand à mon tour je ne l'aimai plus. J'y réussis, et lui tournai la tête; c'est ce que je demandais.
La nuit merveilleuse : ou le nec plus ultra du plaisir de Dominique Vivant Denon

Avec des carrosses, des robes, des gorges fermes, des désirs qui consument, des pommes charmantes et des baisers de feu…

Tout ceci avait été un peu brusqué : nous sentîmes notre faute; nous reprîmes ce qui nous était échappé, avec plus de détails. Trop ardent, on est moins délicat: on court à la jouissance, en confondant tous les délices qui la précèdent. Partout la volupté marque sa trace, et bientôt l'idole ressemble à la victime.
Plus calmes, l'air nous parut plus pur, plus frais.

Un texte tiré de Point de lendemain qui le paraphrase d’une manière fort érotique

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Madame d'Arbonne me prit sans m'aimer ; elle me trompa, je me fâchai ; elle me quitta ; cela était dans l'ordre. Je l'aimais alors, et pour me venger mieux, j'eus le caprice de la ravoir, quand à mon tour je ne l'aimai plus. J'y réussis, et lui tournai la tète ; c'est ce que je demandais.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Publié clandestinement en 1794 et en 1800, La Nuit merveilleuse ou Le Nec plus ultra du plaisir est attribué à Dominique Vivant Denon. Diplomate, homme de cour, écrivain léger, ironique, fantasque, l'auteur de Point de lendemain nous laisse ici un miroir fidèle des jeux amoureux que les écrivains du XVIIIe siècle ont su décrire avec tant d'élégance.

Il n’y a pas de Ajar : monologue contre l’identité

Et moi qui, petit, trouvait les discours des curés interminables et que pour dire la même chose ils auraient été bien inspirés de raccourcir leur prêches. Je n’avais pas encore entendu de rabbin.

Ajar fut un des noms que Gary créa pour dire au monde qu'il n'allait pas se résoudre à une mort annoncée, ni celle des hommes, ni celle des mots.
Son pseudo fut un dernier pied de nez au morbide qui vous rattrape toujours, mais qu'on peut tromper un temps avec un peu de panache, avec une manigance littéraire qui interdit à l'homme de n'être que lui-même. À travers Ajar, Gary a réussi à dire qu'il existe, pour chaque être, un au-delà de soi ; une possibilité de refuser cette chose à laquelle on donne aujourd'hui un nom vraiment dégoûtant : l'identité.
Il n’y a pas de Ajar : monologue contre l’identité de Delphine Horvilleur

Oui, car malgré la petite taille de l’ouvrage, Delphine Horvilleur se perd en circonvolutions – souvent très drôles et fort bien écrites – pour arriver à ses fins.

Non, non, non, non...
Ne jamais prononcer son nom, non, non, non, non...
Ne jamais prononcer son nom.
J'avais promis à mon père de ne jamais prononcer Son nom. Il m'a dit de ne jamais parler de vous-savez-qui... D'abord, parce qu'Il n'existe pas et ensuite, parce que si tu en parles, Il pourrait très bien croire que tu l'appelles et décider de se pointer.
C'est exactement comme dans la saga d'Harry Potter. Tous évitent soigneusement de nommer le méchant pour pas qu'il montre le bout de son nez. Et effectivement, à la seconde où quelqu'un prononce le nom de Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom, tout part vrille.

Comme Le siècle des égarés que je lisais juste avant, Il n’y a pas de Ajar tente de lutter contre les identités.

Hélas, toutes ces digressions, traits d’humour, métaphores et images m’ont égaré, noyé dans un propos qui perdait en lisibilité. Et d’ailleurs, l’identité, c’est quoi ?

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Avouez que c'est une drôle de coïncidence. Précisément l'année où je viens au monde, il commence à signer du nom de l'Autre. Comme par hasard, au moment même où un officier d'état civil écrit soigneusement mon nom dans un registre municipal et estampille ma déclaration de naissance, Romain Gary choisit, lui, de publier ses livres sous pseudo.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Dans ce monologue, un homme mystérieux affirme être le fils d'Émile Ajar, pseudonyme sous lequel Romain Gary a écrit notamment La vie devant soi.

Cet enfant de père inventé demande à celui qui l'écoute : es-tu le fils de ta lignée ou celui des livres que tu as lus ?

En interrogeant la filiation et le poids des héritages, il revisite l'univers de l'écrivain, celui de la Kabbale, de la Bible, de l'humour juif... mais aussi les débats politiques d'aujourd'hui, enfermés dans les tribalismes d'exclusion et les compétitions victimaires.

Et si Gary/Ajar étaient les meilleurs antidotes aux obsessions identitaires et mortifères du moment ?

Journal d’Adam & Journal d’Ève

Un tout petit (vraiment très petit) journal des premiers jours, le journal d’Adam suivi du journal d’Ève

Lundi
La nouvelle créature, avec ses longs cheveux, est toujours fourrée dans mes pattes. Toujours à traîner à mes basques et à me suivre comme un petit chien. Et je n'aime pas ; je n'ai pas l'habitude d'avoir de la compagnie. Si seulement elle voulait bien rester avec les autres animaux... Ciel couvert aujourd'hui, avec un petit vent d'est ; je pense que nous allons avoir de la pluie... Nous ?... Où est-ce que j'ai bien pu dénicher ce mot?... Je me souviens maintenant - c'est la nouvelle créature qui l'emploie.
Journal d’Adam & Journal d’Ève de Mark Twain

C’est cocasse et léger, une petite (oui, vraiment) lecture distrayante.

Avec des trop rares illustrations de Sarah d’Haeyer

Et pourtant, on se lasse rapidement de cet Adam insensible, distant et mutique et de cette Ève bavarde, collante et émotive… (vous saisissez le cliché ?)

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Je crois que je commence à comprendre à quoi sert la semaine : à donner le temps nécessaire pour récupérer des grandes fatigues du dimanche. L'idée n'est pas mauvaise. Il a fallu qu'Ève grimpe à nouveau à cet arbre. Je l'en ai fait redescendre vite fait en lui balançant des mottes de terre. Elle a dit que personne ne l'avait vue. Apparemment, ça lui suffit comme justification pour courir tous les risques, même quand il y a danger. C'est ce que je lui ai dit. Le mot justification l'a remplie d'admiration - et l'a rendue aussi un peu envieuse, je pense. C'est un bon mot

Rendez-vous

Martina (ou presque Martina) a la cinquantaine. Déjà, ça commence pas trop bien. Seule et pas super à l’aise avec ses paupières et elle même. Les solutions ? Tinder et un psy ! Mais un psy plutôt original qui l’invite à rechercher sa force dans des oeuvres d’art. Direction Martigny, New-York, Vienne ou Amsterdam. Pour ce qui est de Tinder, ça sera direction Paris.

 - Vous me prescrivez d'aller voir Le Faux Miroir de Magritte à New York. Indépendamment du fait que ce sera plus coûteux que des pilules roses vendues par la big pharma helvétique, ce qui n'est pas peu dire, le résultat risque d'être au moins aussi aléatoire non ?
 - C'est comme pour tout traitement. Le secret n'est pas dans le médicament lui-même, mais dans le rapport bénéfice-risque. Vous avez à mon sens plus de chance que ce voyage et cette rencontre avec Magritte vous fassent du bien que d'ingérer une molécule pendant des mois sans rien transformer dans votre vie ou plutôt, dans votre vision de la vie.
Rendez-vous de Martina Chyba

Un livre très drôle (en tout cas au début) avec une écriture pleine d’autodérision et de fatalisme enjoué. Puis, petit à petit, Martina entre dans la viande, le dur… La vie n’est jamais simple longtemps.

Petit.
Je le regarde et il me regarde.
Comment ce que je vois peut-il me donner de la force?
Un tableau peut-il murmurer? Oui, définitivement, il peut. Et voici ce qu'il dit: arrête de tout voir toujours en noir, d'imaginer une guerre nucléaire à chaque coin de rue, de croire que tu vas te retrouver à la rue, sans boulot, sans enfants, sans amour, sans rien d'autre que tes articulations pourries, ton hypertension et ton cerveau déréglé qui te feront souffrir, arrête de croire que tu mourras seule bouffée par ton chat ou que tu finiras dans une maison de retraite avec repas à 17h30, extinction des feux à 19 heures et extinction définitive au bout de dix-huit mois en moyenne.

Un titre très amusant qui peut donc se comprendre de plusieurs manières. Parle-t-elle de ses rendez-vous ou est-ce une invitation à se rendre, à accepter sa vie et cesser le combat ?

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Mon gynécologue est un homme charmant. C'est le seul homme de ma vie devant lequel je me suis intégralement déshabillée après seulement cinq minutes de discussion.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« J'ai rendez-vous. Avec un homme. Au bas des marches du Sacré- Coeur, à Paris. Je ne le connais pas. C'est un site de rencontres qui nous a mis en contact par erreur. Il va peut-être me découper en rondelles et on ne découvrira jamais mon corps. Ou passer la nuit avec moi et disparaître. Ce n'est pas gagné. Mais ce n'est pas perdu non plus. Il faut essayer.

Je fais partie d'une génération pathétique, révoltée contre rien mais fatiguée de tout, persuadée d'avoir trente ans dans sa tête et dans sa chair, mais désespérée d'en avoir cinquante dans ses artères et dans son job.

J'ai rendez-vous. Avec moi-même. Et pour m'aider, j'ai un psy. Comme les autres, il prescrit des traitements. Mais ce ne sont ni des antidépresseurs, ni des anxiolytiques, ni des somnifères, ni des tisanes, ni des séjours en clinique, ni des stages de méditation.

Mon psy à moi ne prescrit que des oeuvres d'art. Et me demande de les contempler dans les musées en me posant une seule question : Comment ce que je vois peut-il me donner de la force ? »

L'héroïne de ce roman, inspirée par le vécu de l'auteure, cumule les rôles et les défis, entre travail, enfants, deuils, années qui passent, déménagement et amours compliquées. Avec un seul objectif : rester vivante, toujours. Ce livre plein d'humour et sans complexe nous aide à avancer (car ce n'est pas comme si on avait le choix, n'est-ce pas ?) en explorant le pouvoir réparateur des oeuvres d'art

Malax

Que raconte Malax ? Eh bien, ce n’est peut-être pas le plus important à savoir dans ce petit livre. Pour faire court, l’inspecteur Jean enquête sur une mort suspecte.

 - Tu ne regardes pas le film ? s'étonne Juliette.
 - Je n'aime pas le sang.
 - Ce n'est pas handicapant pour un inspecteur ?
 - Je connais un jardinier sujet au rhume des foins, un boulanger allergique à la farine et un ingénieur affligé de dyscalculie. Le pont n'est tombé, le pain est croustillant et le jardin en fleurs.
 - Je n'ai dit que tu faisais mal ton travail. Seulement que tu dois parfois souffrir.
 - Pas tellement. Les gens sont de plus en plus propres. Ils préfèrent une mort aux médicaments plutôt qu'aux armes. Peut-être parce que les médicaments sont remboursés par l'assurance.
Malax de Marie-Jeanne Urech

Mais savoir ça ne permet guère de comprendre ce qui vous arrive en lisant cette histoire surréaliste et absurde.

 - Pensez-vous qu'il se soit suicidé en apprenant son licenciement ? lui demande le supérieur.
 - On ne sait pas encore s'il a été licencié. Dans l'affirmative, pourquoi aurait-il souri avant de mourir ?
 – Parfois, c'est un tel soulagement de quitter le monde du travail, lâche le supérieur en frottant nerveusement sa médaille.
 - On aurait trouvé des traces de cyanure dans sa bouche ou tout au moins une odeur de médicaments, objecte l'inspecteur Jean.
 - Vous oubliez le trou dans le bras. Il s'est peut-être administré une substance dans les toilettes du Bâtiment des Forces Générales.
 - Souhaitez-vous que je passe les toilettes au peigne fin ?

Bienvenue dans un monde où rien n’est à sa place, comme un rêve sous acide après avoir lu 1984 à la sauce Brazil de Terry Gilliam. Tout semble normal mais rien ne l’est. Tout semble fonctionner mais rien ne marche. Tout le monde semble sensé mais rien n’est logique… Une balade sous surveillance, hallucinée et hilarante, dans une nonsense City

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Sourire aux lèvres, un homme s'écroule sur la chaussée, mort. Dans ses poches, un billet de dix francs, une clé, un stylo, un roman de gare, un dé à coudre, mais pas d'identité. Le temps presse. Bientôt, il faudra retirer le corps du frigo pour y placer la dinde de Noël de la Brigade. L'inspecteur Jean ne négligera aucune piste pour offrir une sépulture à celui que la science nommera Pierre comme ces squelettes préhistoriques que l'on rend humain d'un simple prénom.
Une enquête urbaine, labyrinthique, hasardeuse et qui de façon improbable aboutit. Un univers noir, sombre, enté de rares couleurs chaudes, une narration froide qui rapidement gagnent notre sympathie, nous retiennent. Des personnages lointains, insolites, hésitants, affairés à des affaires absurdes et auxquels on s'attache

La folle de Maigret

Maigret fait aussi des erreurs ! Et là, une petite vieille – la folle – va en faire les frais.

Il y avait des moments où sa dureté presque masculine n'était pas tellement antipathique et pouvait passer pour de la franchise. Elle n'était pas belle. Elle n'avait jamais été jolie. L'âge l'épaississait. 
Pourquoi ne revendiquerait-elle pas le même droit que les hommes qui, dans son cas et dans sa position, s'offrent des aventures? Elle ne se cachait pas. Elle recevait chez elle ses amants d'une nuit ou d'une semaine. 
La concierge les voyait entrer et sortir. Les autres locataires devaient être au courant.
La folle de Maigret de Georges Simenon

Dans cet opus qui compte parmi les dernier (mais aussi dans bien d’autres) il est intéressant de voir l’importance du « qu’en dira-t-on » et de son traitement par Simenon. Maigret qui n’ose pas embrasser sa femme sur un banc, mais qui – flegmatique – souligne les injustices faites aux femmes qui sont jugées bien plus sévèrement que les hommes ainsi que nombre de petites hypocrisies.

 - Oui, avoua-t-il. Et j'avais envie, au moins une fois dans ma vie, de m'asseoir sur un banc. 
Il ajouta vivement:
 - Surtout avec toi. - 
Tu n'as pas beaucoup de mémoire.
 - Cela nous est arrivé ?
 - Pendant nos fiançailles, sur un banc de la place des Vosges. C'est même là que tu m'as embrassée pour la première fois.
 - Tu as raison. Je manque de mémoire. Je t'embrasserais volontiers, mais il y a vraiment trop de gens autour de nous.
 - Et ce n'est plus tout à fait de notre âge, n'est-ce pas ?
 Ils ne rentrèrent pas dîner. Ils allèrent manger dans un restaurant qu'ils aimaient et où ils allaient de temps en temps, place des Victoires.

Simenon féministe ?

Maigret 100/103

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
L'agent Picot se tenait en faction du côté gauche du portail, quai des Orfèvres, tandis que son camarade Latuile se tenait du côté droit. Il était environ dix heures du matin. On était en mai ; le soleil était vibrant et Paris avait des couleurs pastel.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
La police n'en finirait pas, si elle devait tout prendre au sérieux. Par exemple, les craintes de cette vieille dame, à l'évidence un peu dérangée, qui prétend être suivie et ajoute que des objets bougent chez elle...
Pourtant, Léontine de Caramé est bel et bien retrouvée assassinée dans son appartement. Maigret doit-il soupçonner Angèle, qui ne fréquentait guère sa vieille tante que dans l'espoir de toucher l'héritage ? Y a-t-il un lien entre cette affaire et le subit départ pour Toulon du Grand Marcel, barman bien connu de la police et amant d'Angèle ? Il n'y avait pas d'argent chez Léontine lorsqu'elle a été tuée.
Mais les tiroirs des vieilles dames renferment parfois des secrets autrement surprenants...

Maigret et le marchand de vin

Les derniers Maigret sont (pour moi) les plus savoureux. Le trait y est plus fin, l’énigme moins dense passe au second plan et les personnages prennent réellement corps.

Mme Blanche paraissait cinquante ans, mais elle en avait certainement une soixantaine. C'était une petite femme boulotte que certains auraient trouvée très distinguée. Elle portait une robe de soie noire sur laquelle tranchaient deux ou trois rangs de perles.
 - Toujours aussi active et aussi discrète ?
Il l'avait connue trente ans plus tôt, quand elle arpentait encore le boulevard de la Madeleine. Elle était jolie et douce, avec toujours un sourire avenant qui lui faisait deux fossettes.
Plus tard, elle était devenue sous-maîtresse dans un appartement de la rue Notre-Dame-de-Lorette où l'on était toujours sûr de rencontrer de jolies femmes.
Maigret et le marchand de vin de Georges Simenon

Ici, c’est du meurtre d’un chef d’entreprise dont il s’agit. Un homme à femme, imbuvable (et pour un marchand de vin, c’est bien triste), féroce et odieux. Et Maigret grippé de chercher – bon gré, mal gré – son assassin.

 - Tu as bien dormi?
 - Magnifiquement. Je serais capable de dormir toute la journée.
 - Tu ne veux pas prendre ta température?
 - Si tu y tiens.
Cette fois, il avait 37°6.
 - C'est nécessaire que tu ailles à ton bureau?
 - Il est préférable que j'y aille, oui.
 - Prends donc une aspirine avant de partir. 
Docilement, il en prit une puis, pour en faire passer le goût, il se versa un tout petit verre de prunelle d'Alsace que leur envoyait sa belle-sœur.
 - Je t'appelle tout de suite un taxi.

L’occasion pour un Simenon anthropologue de Paris de décrire une ville libertine tournant autour d’un petit tyran puant

Maigret 99/103

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
- Tu l'as tuée pour la voler, n'est-ce pas ?
- Je ne voulais pas la tuer. La preuve, c'est que je n'avais qu'un revolver d'enfant.
- Tu savais qu'elle avait beaucoup d'argent ?
- Je ne savais pas combien. Elle avait travaillé toute sa vie et, à quatre-vingt-deux ou quatre-vingt-trois ans, elle devait avoir des économies.
- Combien de fois es-tu allé lui demander de l'argent ?
- Je ne sais pas. Plusieurs fois. Quand je venais la voir, elle savait pourquoi j'étais là. C'était ma grand-mère et elle me donnait automatiquement cinq francs. Vous vous rendez compte ? Quand on est chômeur, qu'est-ce qu'on peut faire avec cinq francs ?
Maigret était grave et lourd, un peu triste. C'était l'affaire banale, le crime sordide comme il s'en produit à peu près chaque semaine, le garçon de moins de vingt ans qui s'attaque à une vieille femme seule pour la dépouiller.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Qui a pu assassiner Oscar Chabut, opulent négociant en vins, réputé pour sa férocité en affaires, alors qu'il sortait avec sa secrétaire d'une maison de rendez-vous?

Quel est le personnage insaisissable qui, à chaque stade de l'enquête, met ses pas dans les pas de Maigret, lui écrit, lui téléphone même, pour lui dépeindre Chabut comme une crapule?

La vérité n'échappera pas longtemps au plus célèbre enquêteur que la P.J. ait compté dans ses rangs... Mais ici, comme dans ses dizaines d'enquêtes, c'est moins la vérité des faits qui intéresse Maigret que celle des hommes. C'est la personnalité de Chabut qu'il reconstitue post mortem, à petites touches, au gré des témoignages et des aveux. Et c'est une vérité humaine encore qui le fascinera en écoutant la confession de l'assassin. Vérité toujours confuse, imparfaite, en demi-teintes, qui donne à l'univers romanesque de Georges Simenon son ambiance et sa saveur inimitables