Lettre à mon juge

Voilà un bien sale bouquin. La confession d’un meurtrier ayant tué sa maîtresse. On parlait alors de crime passionnel. Aujourd’hui on appelle ça un féminicide.

Quand il a fallu avoir recours au forceps, on m'a appelé. La sueur qui me coulait sur les paupières m'empêchait presque de voir. Mon beau-père était là aussi, à aller et venir comme ces petits chiens qui ont perdu la piste.
— Vous verrez que cela ira très bien... Très bien... répétait-il.
J'ai eu l'enfant, en effet. Une énorme fille, à qui il ne manquait que quelques grammes pour faire les douze livres. Mais la mère mourait deux heures plus tard, sans un regard de reproche, en balbutiant :
 — C'est bête que je ne sois pas plus forte...
Lettre à mon juge de Georges Simenon
Un sale bouquin parce qu’une sale époque pour les femmes. Choses des hommes.

Ici, un pauvre chouchou à sa môman, un médecin de campagne qui vit enfin une passion et qui finit, comme un enfant gâté, par tuer l’objet de son amour. - Tu as de la veine d'avoir déniché une pareille femme !
Oui, mon juge. Oui, messieurs. Je m'en rends compte humblement. Et c'est parce que je m'en suis rendu compte jour après jour pendant dix ans que...
Allons ! Je déraille à nouveau. Mais j'ai tellement l'impression qu'il suffirait d'un très petit effort pour aller une fois pour toutes jusqu'au fond des choses !
En médecine, c'est surtout le diagnostic qui compte. La maladie dépistée, ce n'est plus qu'une question de routine ou de bistouri. Or c'est bien un diagnostic que je m'acharne à faire.
Je n'ai pas aimé Jeanne et je ne me suis jamais demandé si je l'aimais. Je n'ai aimé aucune des filles avec qui il m'est arrivé de coucher. Je n'en éprouvais pas le besoin, ni le désir. Que dis-je ? Le mot amour, sauf dans la locution triviale faire l'amour, m'apparaissait comme un mot qu'une sorte de pudeur empêche de prononcer :
Je préférais le mot vérole qui dit exactement ce qu'il veut dire.
Est-ce qu'on parle d'amour, à la campagne ?
Chez nous, on dit :
 - Je suis allé faire une saillie dans le chemin creux avec la fille Untel...Dans une longue confession il tente d’expliquer à son juge comment il en est arrivé là.

Une peinture impressionnante de profondeur d’une société patriarcale ou mères, femmes, bonnes et maîtresses se retrouvent au service de Monsieur. Certaines y laissent leur vie

Et visiblement, cela devait quand même bien interpeller Simenon

Le 60e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
À M. Ernest Coméliau,
Juge d'instruction,
23 bis, rue de Seine, Paris (VI)

Mon juge,

Je voudrais qu'un homme, un seul, me comprenne. Et j'aimerais que cet homme soit vous.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
La cause est entendue : crime passionnel. Charles Alavoine, respectable médecin de La Roche-sur-Yon, assassin de Martine Englebert, sa maîtresse, est en prison. Mais au-delà du verdict, il reste la vérité humaine... Dans cette longue lettre au juge, peu après sa condamnation, Alavoine retrace les étapes du chemin qui l'a conduit au meurtre : l'autorité possessive d'une mère qui a décidé de ses études et de son mariage, puis d'une seconde femme, qui à son tour, supplantant la mère, va régenter sa vie. L'apparition de Martine, venue occuper un emploi de secrétaire après avoir mené à Paris une existence des plus libres, a d'abord été comme un grand souffle de liberté et de passion... Mais certaines rencontres ne sont-elles pas trop fortes pour un caractère timide et soumis ? La crainte, la jalousie, le confinement de la vie provinciale et du rôle social, l'explosion des pulsions trop longtemps contenues... Ces thèmes obsédants de l'univers romanesque propre à Georges Simenon trouvent ici une expression lucide, dépouillée, quasi désespérée.