Que notre joie demeure

Si Kevin Lambert s’amuse avec les mots avec grand talent, usant de phrases à rallonges comme de très courtes pour rythmer les instants (258 mots pour la première phrase, quand même (tout en citant Proust par ailleurs)), cette joie m’a semblé bien plate, hélas.

Les commandes ralentirent aux Ateliers C/W, l'affaire fit pendant plusieurs semaines la une. Céline se mit à perdre des cheveux. Elle en trouvait, paniquée, par grosses mottes dans le drain de la douche. Le stress la rongeait. Le monde entier s'était ligué contre elle, plus personne n'osait lui parler, la défendre. Elle consulta pour des maux de ventre, une perte d'appétit, un torticolis, des migraines, des tremblements, avant que son médecin ne lui suggère que la source de ses malaises puisse être l'anxiété et peut-être la cigarette, qui finirait par la tuer. Elle essaya d'arrêter, y parvint, puis se remit à fumer.
Que notre joie demeure de Kevin Lambert

L’histoire d’une architecte talentueuse, immensément riche et reconnue internationalement qui chute devant la voix populaire, une colère entretenue par des médias visiblement en mal de bouc émissaire. Histoire d’ultra-riches et de leur déconnexion du monde, de responsabilité sociale, d’image publique. Tout semble factice, aseptisé… Et même les grandes douleurs manquent d’émotions.

Un livre qui m’a laissé froid

(mais si vous désirez un livre de Kevin Lambert qui vous décoiffe sévèrement, lisez Querelle)

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Les conversations du trottoir tourbillonnent et gagnent l'escalier de secours, montent à l'étage puis au suivant et montent encore, dépassent les portes d'un ascenseur qui s'ouvrent sur un couple en robes froissées par le vent, les invitées se laissent porter par le courant d'air et réajustent leurs tenues, en sortant elles sont déjà dans le sublime appartement, plafonds hauts, moulures de bois, carrelage de marbre blanc, il faut habituellement posséder une clé pour enfoncer le bouton du dernier étage, mais ce soir, l'appartement est ouvert et balayé par les bourrasques qui se faufilent dans les corridors, se répercutent contre les portes closes de chambres et de bureaux décorés avec soin, des chapelles éteintes à la gloire de divinités qu'on ne prie plus où chuchotent des agneaux en attente du sacrifice sur les lits, les sofas, allongés sur le parquet parfois, ils se refont la courbure de la colonne vertébrale sur d'épais tapis en négociant une entente financière ou amoureuse, le regard, le sourire, le rire éclatant font figure d'offre ou de concession pour ces nouveaux adolescents qui, la cinquantaine avancée, boivent enlacés et complotent contre un monde qu'on aura tôt fait d'oublier en lisant le ton emporté d'un courriel écrit trop tard, vantant l'amour et l'espoir, ces puissances archaïques qui déplaceront toujours monts et mers, dit-on, en chuchotant ils gardent un œil sur le rayon jaune qui filtre sous la porte, j'ai peur qu'on nous entende, un rire étouffé d'enfant abusant de sa permission, mélodie d'une immortelle joie qui les dépasse et les rassemble dans ce berceau d'amour.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
L’éblouissante Céline Wachowski, architecte de renommée internationale, dévoile enfin le Complexe Webuy, un projet ambitieux et structurant; surtout, le premier grand projet public qu’elle réalise pour Montréal, sa ville. Pourtant, les critiques de la population et de groupes militants ne tardent pas à fuser : on accuse Céline de détruire le tissu social, d’accélérer l’embourgeoisement des quartiers, de péchés plus capitaux encore. L’architecte est prise dans la tourmente et sommée de réagir.
C’est la classe dirigeante que Kevin Lambert met en scène ici, fouillant la psyché de ces gens au sommet de leur discipline et qui pour la première fois de leur vie risquent de perdre pied. Quelle fiction se racontent-ils pour justifier leurs privilèges, pour asseoir leur place dans un monde qu’ils ont eux-mêmes bâti ?
Dans une prose leste et immersive, «Que notre joie demeure» fait entendre les points de vue et pensées secrètes de ses personnages, tout en peignant le portrait clairvoyant du Montréal d’aujourd’hui.

L’allumeuse

Ce recueil de nouvelles commence en force avec cette allumeuse, une petite fille abusée par le bedeau de l’église. Et malgré une fin un peu curieuse, voilà une fort belle façon de commencer (si, si !).

 - Ce n'est pas un péché ça non plus. Le petit Jésus peut nous voir. On ne ferait pas ça dans son dos.
Son haleine sentait la craie de tableau noir.
Il n'a pas fait grand-chose cette première fois, le bedeau Lacasse. Il n'a qu'effleuré le bas de mon dos avec sa main et un peu ma poitrine, là où elle commençait à déformer mon tricot mou en mohair. Je n'ai rien dit, le long frisson qui me secouait m'aurait coupé la parole si un mot avait voulu passer mes lèvres. Et mes lèvres, de toute façon, étaient à moitié clouées par celles du bedeau, douces au milieu mais entourées d'épines qui me perforaient la peau et me picotaient le pourtour de la bouche comme si elle se frottait contre un cactus.
L’allumeuse de Suzanne Myre

La suite, même s’il s’agit souvent de brèves histoires de femmes fortes et de la rue Balzac de Montréal-Nord (pas vraiment le meilleur quartier, semblerait-il), m’a moins parlé, avec des thématiques moins puissantes des scénarios moins poussés…

Un petit zut, donc, pour ce livre qui avait si bien commencé.

Allez, un double pouce en l’air pour la très touchante Enfance de petit Frigo (qui m’a un peu rappelé la brillantissime BD Cabot-Caboche en version chaton) et le drôlissime Préavis de décès !

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Montréal-Nord n'est vraiment pas l'arrondissement le plus excitant de la ville de Montréal. Je le sais, j'y ai vécu les dix-huit premières années de ma vie avant de décamper. Tante Henriette a fini par me mettre à la porte de son appartement de la rue des Chrysanthèmes parce que j'étais soi-disant ingérable. Peut-être bien que les gangs de rue ont ajouté de la couleur aux environs, mais à cette époque, à la fin des années 70, c'était le calme plat, plus que plat. Nous pouvions jouer dans la rue sans risquer de nous faire frapper par une voiture tant il en passait rarement sur Balzac, et escalader l'hiver les montagnes de neige qui dentelaient le bord des trottoirs.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Voici des histoires comiques et venimeuses où se succèdent les mères égoïstes et les pères absents, les minets et les marmots, et, surtout, les pécheresses tristes et les femmes vampires qui séduisent les hommes pour les réduire en poupées de chiffon. Car les héroïnes de Suzanne Myre sont puissantes. Ce sont des battantes qui n’hésitent pas à mettre le monde à feu et à sang pour se faire justice. Pourtant, aucune d’elles n’est un démon. Elles sont même gentilles, au fond. Mais elles ne veulent plus qu’on les blesse. Il y a, au cœur de ces récits, une profondeur bouleversante. Une complexité, une introspection, une tendresse qui désemparent et qui persistent longuement après la lecture. Dans L’ALLUMEUSE, l’écriture de Suzanne Myre se fait touchante comme jamais.

Par ailleurs, l’auteure nous y fait visiter le quartier de son enfance : Montréal-Nord, un lieu bigarré auquel la littérature ne s’intéresse jamais. La paroisse Saint-Vincent-Marie-Strambi, la polyvalente Calixa-Lavallée, le boulevard Industriel deviennent le théâtre de cent douleurs et rires grinçants. C’est là un livre fabuleux où les personnages rêvent indifféremment d’assassinats et de hamburgers chez Dic Ann’s. Bref, en douze histoires et un préavis de décès, L’ALLUMEUSE célèbre les têtes brûlées qui mettent le feu aux poudres.