Marguerite n’aime pas ses fesses

Charmé par la dernière autofiction de Loulou Robert, je suis allé guigner pour savoir qui était son mari si vieux publié dans une grande maison d’édition et je suis tombé sur Erwan Larher. Et là, surprise, en recherchant ses livres, je suis tombé sur des romans Harlequin ?!? Y aurait-il eu méprise ? C’est alors que je me suis rendu compte qu’il en était le traducteur.
Passé la petite histoire, j’ai finalement découvert le titre de ce livre et je m’y suis plongé. Avec délice !

Marguerite n’aime pas ses fesses de Erwan Larher
C’est drôle et truculent, il y a de l’enquête, du sexe, de la perversion, du pouvoir et… une fois encore, beaucoup d’humour. Oui, nous sommes loin d’une bluette formatée aux poncifs stéréotypés.

Certes, la fin un peu explicative et la narration fort embrouillée m’ont surpris, mais zou ! C’est vraiment un bon moment avec Marguerite

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Marguerite n'aime pas ses fesses.
Elle fronce les sourcils. Ce que le français peut être imprécis, parfois ! Ces fesses que Marguerite n'aime pas pourraient être celles de n'importe qui. Si elle écrivait un roman, ce qui ne risque pas d'arriver (elle écrit mal et n'a rien d'intéressant à dire), il ne débuterait pas ainsi. Cette phrase-seuil sème la confusion. Elle choisirait plutôt un incipit in media res ─ croit-elle se souvenir, ses cours de construction narrative écaillés par l'inusage. Et puis le français n'incite-t-il pas au coulis narcissique de la première personne du singulier ? Je n'aime pas mes fesses, voilà qui est clair.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Marguerite a un mec mais pas de libido, une mère mais plus de père, et rêve d’une vie de famille. Lorsqu’on lui propose d’aider un ancien président de la République à rédiger ses mémoires, elle accepte – elle ne sait pas dire non. Alors, sa réalité et la réalité prennent leurs distances, peu aidées par l’irruption d’un flic qui enquête en secret sur les liens entre une trentaine d’assassinats politiques.

Rythmé et subtilement décousu, Marguerite n’aime pas ses fesses met en récit l’apathie politique d’une génération un brin nombriliste, questionne la puissance dévastatrice des pulsions sexuelles et s’aventure dans les méandres de la sénescence.
Un roman caustique et piquant.

Marc

David tourne autour d’une vraiment drôle d’idée, et c’est bien drôle. Et si un sens caché se trouvait derrière les romans de Marc Levy.

Mégots. Cendres froides. Fouillis de papiers et de griffonnages. Depuis deux jours, sur la table du salon, David compulse nerveusement toute la documentation qu'il trouve sur Internet. Il parcourt les forums, les blogs, les articles de presse, cherchant le bon fil à dérouler, celui dont il brodera l'exégèse pouvant plaire à Sheyenne.
La fièvre s'accroche à lui. Cette nuit, il n'a dormi que quatre heures. Où es-tu ? ─ le second roman de Marc Levy ─ est caché près de lui sous un classeur. Par intermittence, David le feuillette par le coin, comme si des vérités occultes pouvaient surgir dans le défilement des pages. Mais rien. Non, rien n'émerge de cette romance affreusement plate...
C'est l'histoire de deux adolescents, Susan et Philip, qui se promettent un amour éternel. La vie les sépare. Susan part en Honduras et se consacre à des missions humanitaires. Philip choisit une vie rangée. Susan disparaît dans un ouragan. Sa fille, Lisa, survit et se fait adopter par Philip.
Fin. Point à la ligne. Trois cent vingt pages pour ça, bien sucrées, brut de mièvrerie. Une lenteur exaspérante. Susan, une tête à claques.
Marc de Benjamin Stock
Un livre dans l’air du temps, avec des messages cryptiques et une conspiration internationale. Viens, ouvre les yeux et rejoins-nous !

Un bon moment, rigolo et qui changera peut-être votre regard sur ces bluettes… Ou peut-être pas

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Où l'on examine le bien-fondé du suicide
─ On ne devrait jamais ouvrir un livre, à moins de croire qu'il peut changer notre vie !
L'esprit surchauffé, le geste brusque, David atteint son point d'ébullition, quand sa parole déborde, le noie et nourrit le feu d'une querelle sans fond. Dans ces moments, il répugne à la nuance, la considère comme le refuge des tièdes et des jésuites, comme le plus grand mal de l'humanité. Il sait déjà que demain, pourtant, il regrettera tout.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Et si c'était VRAIMENT vrai?

David Baumer, fondateur d'une start-up parisienne, traverse une crise existentielle. Sa compagne le néglige tandis que son entourage s'absorbe dans les idéologies du moment : relativisme, développement personnel, management agile...

L'une de ses employées, Sheyenne, lui fait découvrir une communauté clandestine de lecteurs de Marc Levy. D'abord moqueur, David plonge finalement dans l'œuvre du grand romancier, en quête de réponses.

Quelle est donc cette conspiration que David pense avoir perçue dans les textes de Marc Levy ?
Alors qu'il approfondit ses recherches, David se radicalise...

Intérieur nuit

Nicolas Demorand est bipolaire. Il raconte sa maladie depuis les premiers signes, depuis les premiers moins bien jusqu’à aujourd’hui en passant par les médecins, les psychanalystes, les prescripteurs… et toutes les fausses pistes et les absences de diagnostics.

Tu gardes un souvenir très précis de ce 19 décembre 2016. Tout, sauf le temps. Pleuvait-il ? Laisse-moi inventer un petit crachin de circonstance qui, dans la perspective exacte de la rue Ferrus, brouillerait la vision du porche de l'hôpital Sainte-Anne. Voilà, tu y es. Tu n'es pas soulagé, tu as abandonné. Tu éprouves l'humiliation mais, étrangement, pas sa morsure car tu es épuisé. Tu entres à l'asile et rejoins les fous. Qu'on te prenne maintenant par la main ou te mette dehors, qu'on t'enferme ou te laisse libre : tu n'attends plus rien et tu as peur. Quant à ton corps, il porte le poids de ces pierres, de ce porche franchi pour la première fois. Tu n'entres pas dans un hôpital mais dans un autre temps de ta vie.
Intérieur nuit de Nicolas Demorand
Jusqu’à aujourd’hui où, malgré une fragilité de tous les instants et bien des gouttes, poudres, gélules et comprimés, il arrive enfin à vivre.

Un témoignage bouleversant, d’une grande franchise sans pathos ni mélo

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Je suis un malade mental. Il m'est difficile de dire depuis combien de temps, vingt ans, peut-être trente, certainement huit, depuis qu'un diagnostic a été posé. J'avale tous les jours une grande quantité de médicaments, je vais deux à quatre fois par mois dans un hôpital psychiatrique où l'on me surveille comme le lait sur le feu. Je suis bipolaire, pour employer le mot précis qui a remplacé « maniaco-dépressif ».


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Les événements racontés dans ce livre se déroulent sur plus de vingt ans. Pendant toutes ces années, je me suis tu. Aujourd’hui, j’écris en pensant à toutes celles et ceux, des centaines de milliers, peut-être des millions, qui souffrent en silence du même mal.

Le passage de la ligne

Quel ennui.
Avec ce passage de la ligne, Simenon tente-il de nous faire part de sa propre vie fantasmée : un solitaire qui a ses accès dans toutes les sociétés ; un invisible qui peut se glisser partout avec aisance ; un homme parti de rien qui a réussi et qui n’oublie pas de remercier la chance et les rencontres, avec une humilité grossièrement feinte ; un aventurier qui, après avoir goûté à tous les plaisirs, peut se retirer à l’écart du monde ?

Quant à ma solitude, elle constituait une défense, voulue ou non. Je n'appartenais à aucun des milieux que je découvrais et il ne fallait à aucun prix que je me pose sur une des cases où je risquais de rester figé pour toujours.
Je n'étais ni un pauvre, ni un riche, ni un bourgeois, ni un artiste, ni un employé, ni un patron. Je n'étais pas un révolté non plus, pas davantage un satisfait. Je n'étais rien.
Et je voulais être tout. De même que je souffrais physiquement en voyant une femme et en me disant que je ne la posséderais jamais, qu'elle m'échappait, qu'elle était en dehors de mon pouvoir, de même serrais-je les poings à l'idée qu'on pourrait m'interdire l'accès d'une partie du monde, m'interdire, en définitive, certaines expériences humaines.
Parti d'en bas, de la bicoque de Saint-Saturnin où, une fois par semaine, on se lavait les pieds dans un baquet, près du foyer de la cuisine, j'étais décidé à aller voir tout en haut. Peu importe si je ne situais pas encore ce sommet-là. Il changeait, d'ailleurs, avec mes progrès.
Le passage de la ligne de Georges Simenon
Non, il ne se passe pas grand chose dans ce passage (à vide)… à peine une fin aussi fade que sa première partie.

Et que dire de ce sale personnage misogyne, violent et abuseur plein de sa bonhomme impunité ?

Le 90e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
J'ai franchi trois fois la ligne, la première fois en fraude, avec l'aide d'un passeur, en quelque sorte, une fois au moins légitimement, et je suis sans doute un des rares à être retourné de plein gré à son point de départ.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Qui suis-je ? »
Steve Adams a passé trois fois la ligne de démarcation, celle qui sépare un statut social de celui qui lui est supérieur. Ayant réussi sa vie, à 50 ans, il éprouve le besoin de dire ce que fut pour lui cette triple.

Une Suisse au noir

Il y a quand même des trucs bien pourris au pays du chocolat. En soulevant juste un petit peu les tapis, ou même, juste en ouvrant les yeux, les hypocrisies et les petites saloperies emplissent rapidement les marges.

L'économie souterraine travail au noir, travail non déclaré, activités illégales...─, c'est 40 à 50 milliards de francs qui ne reviennent pas aux impôts, à peu près 7% du PIB. Tant d'argent qu'on ne peut pas investir dans nos routes, nos écoles, nos hôpitaux, nos transports publics... Pour lutter contre ce manque à gagner, le Parlement a mis sur pied la LTN, la loi sur le travail au noir... C'est depuis l'entrée en vigueur de cette loi en 2008 que chaque canton emploie des inspecteurs LTN.
Malley et Michaud en font partie.
Leur travail est financé moitié par la Confédération, moitié par les cantons. Cantons et Confédération conviennent du nombre de contrôles à effectuer chaque année. Cela détermine le nombre de contrôleurs nécessaires par canton. En 2022, on avait pour toute la Suisse 82 postes dédiés aux contrôles du travail au noir. C'est en moyenne trois contrôleurs par canton. Les grands cantons en ont plus, les petits cantons moins.
On peut aussi le dire comme ça: en Suisse, on a une moyenne de 1,1 contrôleur pour 10000 entreprises. Et par an, l'État fédéral investit moins de 5 millions de francs contre le travail au noir prix d'un immeuble dans une ville de moyenne importance.
Une Suisse au noir de Isabelle Flükiger avec une préface de Christophe Tafelmacher, juriste
En partant de l’histoire de Gloria et de Mohammed, Isabelle Flükiger raconte la précarité des sans papiers dans un système qui leur dénie tout droit, sauf celui de travailler au noir, sans assurances, pour des salaires de misère et sans aucune possibilité de recours.

Et en miroir : l’impunité des patrons bien à droite initiant des lois bien pourries au dérogations floues et non contrôlables… Écœurant !

Un excellent livre entre enquête et fiction, étayé et documenté pour jeter un œil au dessous des cartes truquées

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Gloria n'a pas de permis. Pas de permis B, C, G, L, F, N, ni même de permis S. Elle vient du Cameroun. En 2016, quand je l'ai rencontrée, ça faisait quinze ans qu'elle n'avait plus revu ses fils.
Elle est illégale, mais c'est un raccourci. On la définit plutôt comme une « sans-papiers », ce qui est aussi faux. Gloria a bien des papiers, ce ne sont juste pas les bons.
Disons que, dépourvue de permis, Gloria est en séjour illégal en Suisse depuis plus de quinze ans.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Tu as engagé une illégale pour s'occuper de tes enfants ?! »

La narratrice tombe des nues lorsqu'elle apprend que son amie emploie une sans-papiers.

Mais avec l'histoire de Gloria, la baby-sitter camerounaise, puis celle de Mohammed, un demandeur d'asile débouté, sa stupeur va laisser la place à de nouvelles questions : comment des sans-papiers peuvent-ils payer assurances sociales et impôt à la source, tout en se voyant refuser le droit d'exister légalement ? Comment des employeurs peuvent-ils recruter des travailleurs illégaux, et s'en sortir impunément ?

Avec ce sixième roman, Isabelle Flükiger nous emmène dans une Suisse de l'ombre où la justice n'est pas le droit, et où la loi ne dit pas toujours ce qu'elle fait. Un récit entre enquête et fiction aussi percutant qu'instructif.

Toutes les époques sont dégueulasses : ré(é)crire, sensibiliser, contextualiser

De la marchandisation de l’art…

Réécrire ou récrire des ouvrages pour ne pas blesser ou pour mieux vendre ? Dans ce petit, tout petit livre, Laure Murat tente de préciser la question et d’éclaircir un peu le sujet afin d’arrêter de tout mélanger. Et elle le fait très bien !

Une affaire de gros sous
Dans la plupart des cas, la visée n'est pas prioritairement la morale, l'antiracisme ou la lutte contre les violences sexistes, comme on essaie de nous le faire croire, mais plus simplement l'argent. Car ces œuvres, qui sont toutes des best-sellers mondiaux, sont en passe de ne plus correspondre aux attentes des nouvelles générations. C'est exclusivement pour conserver leur valeur lucrative que les éditeurs ont procédé à ces nettoyages approximatifs, avant que les héros canoniques comme Miss Marple ou James Bond, notoirement racistes et sexistes, ne deviennent complètement ringards. Et ce n'est évidemment pas un hasard si les œuvres de Roald Dahl ont été récrites juste avant la vente massive des droits à Netflix.
Toutes les époques sont dégueulasses : ré(é)crire, sensibiliser, contextualiser de Laure Murat
Mais ça ne va pas beaucoup plus loin que l’éclaircissement. Et même si elle y précise bien son point de vue, le sujet est bien vite clos.

Une excellente introduction pour commencer à penser sur de bonnes bases en ayant précisé de quoi il était sujet

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
« Faut-il réécrire les classiques de la littérature ? », « Doit-on réécrire nos livres pour ne pas offenser les sensibilités ? », « Faut-il adapter les classiques à leur époque ? », « Réécriture de romans, une histoire ancienne ? »... Difficile, ces derniers temps, de ne pas tomber sur ces questions pointant, ici, la nécessité de réviser le sexisme de James Bond et le racisme d'Agatha Christie, ou, là, l'antisémitisme de Roald Dahl, en remplaçant des termes jugés offensants pour les minorités.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Depuis quelques années, un malaise s'est installé dans la culture contemporaine. Ici on récrit des textes classiques ou certains best-sellers pour les purger du racisme et du sexisme, ailleurs on en appelle à une surenchère de contextualisations.

Et si la question qui sous-tend ce vaste débat était mal posée ? S'il s'agissait, dans bien des cas, d'argent et non d'éthique ? Et si la censure n'était pas du côté qu'on croit ? Et si les précautions prises à tout contextualiser produisaient à terme un effet pervers ?

À l'aide de quelques exemples, Laure Murat tente de rebattre les cartes d'une polémique qui, à force d'amplifier, brouille les vrais enjeux de la création et de sa dimension politique.

L’escalier de fer

Ce roman dur annonce une fin fort prévisible et pourtant, Simenon arrive encore à en faire une fin remarquable. Mais ni par un twist invraisemblable, ou un grandiose retournement de situation. Non ! Juste une fin misérable à la hauteur du protagoniste.

Peut-être, sans la phrase de la concierge, cela se serait-il passé autrement. Cette phrase-là ne lui était jamais sortie de la mémoire et l'avait hanté pendant les trois jours qu'il avait passés dans son lit, après le jeudi que Louise avait emmené Mariette dans sa chambre et que les deux femmes étaient restées long-temps à chuchoter. S'il avait décidé de vivre, c'était probablement à cause de l'image qu'évoquaient les mots entendus jadis par la fenêtre ouverte.
 ─ Quand on l'a mis dans son cercueil, il ne pesait pas plus qu'un enfant de dix ans.
Il ne pouvait s'empêcher de voir Guillaume Gatin, avec son chapeau sur la tête, son demi-saison beige et ses moustaches, réduit à la taille et au poids d'un gamin de dix ans. Car, dans son esprit, il lui diminuait la taille aussi.
L’escalier de fer de Georges Simenon
Un livre sans grand éclat ni suspense, juste un couple dans un magasin avec, au fond, un escalier de fer qui monte à l’appartement. Un homme incapable de réagir et une femme… comment dire ? Superbe d’amoralité

Le 78e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
La première note fut écrite au crayon, sur une feuille de bloc-notes de la grandeur d'une carte postale. Il ne crut pas devoir mettre la date complète.
« Mardi. Crise à 2 h 50. Durée 35 minutes. Colique.
Mangé purée de pommes de terre au déjeuner. »
Il fit suivre le mot déjeuner du signe moins, qu'il entoura d'un cercle, et, dans son esprit, cela voulait dire que sa femme n'avait pas pris de purée. Il y avait des années que, par crainte d'engraisser, elle évitait les féculents.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Etienne Lomel ressent depuis quelque temps de vives douleurs à l'estomac, sans qu'on puisse déterminer chez lui une maladie. Il a peur. Sa femme Louise a été mariée une première fois et Etienne était son amant avant que le mari meure. Etienne, au début de son mariage, a entendu par inadvertance une phrase de la concierge disant que Guillaume, lors de sa mort, était devenu si maigre qu'il ne pesait pas plus lourd qu'un enfant de dix ans.

Khomeiny, Sade et moi

Après avoir fui avec ses parents une théocratie autoritaire et misogyne, Abnousse Shalmani se retrouve face aux voiles dans son pays d’accueil, à Paris, en même temps qu’elle y découvre Sade.

J'ai vingt ans. J'ai vingt ans et j'ai déjà connu l'amour avec Louÿs et j'ai découvert combien le sexe pouvait être révolutionnaire avec Sade. J'ai vingt ans et je sais que je vis les plus belles années de ma vie. Il me suffit de penser à Sade, il me suffit de penser au dialogue de Madame de Saint-Ange et d'Eugénie pour savoir que rien n'est perdu. Il me suffit de penser à Juliette pour savoir que la femme a un étendard et qu'elle le porte bien haut. Un jour, Sade sera la seule arme disponible pour casser les ténèbres. La violence de Sade n'est pas violente, elle est née de l'imagination et de la foi. La foi dans l'homme devenu le centre de la pensée et non plus le pantin d'hommes cachés derrière Dieu. Ce qui est violence, ce sont les attentats successifs contre le corps féminin à travers le monde. La violence c'est exciser des petites filles qui aiment la chair et des grandes filles qui aiment la bite. La violence, c'est d'interdire à une petite fille d'apprendre à lire et à une jeune fille de choisir qui elle veut mettre dans son lit. La violence, c'est ce que les barbus font subir aux esprits en les broyant. Un jour, comme la Révolution française a mis ses barbus à la porte, d'autres révolutions éclateront qui réduiront les barbus au silence et célébreront la parole des Hommes.
Khomeiny, Sade et moi de Abnousse Shalmani
Avec cette biographie (ou ce manifeste), elle dénonce la mainmise des religieux sur le corps de femmes.

Et c’est plein de fougue, d’amour et de colère. Ça part dans tous les sens, la famille, les barbus, les corbeaux, l’érotisme et le corps de femmes. C’est plein d’érudition et de politique, c’est anticlérical et porté par la France des lettres et des Lumières.

Magnifique ! Mais depuis sa parution en 2014, les extrémismes religieux continuent de gagner du terrain… Une lecture qui reste tristement d’actualité

« Je désirerais qu’on fût libre de se rire ou de se moquer de tous ; que des hommes, réunis dans un temple quelconque pour invoquer l’Éternel à leur guise, fussent vus comme des comédiens sur un théâtre, au jeu desquels il est permis à chacun d’aller rire. Si vous ne voyez pas les religions sous ce rapport, elles reprendront le sérieux qui les rend importantes (…).
Je ne saurais donc trop le répéter : plus de dieux, Français, plus de dieux, si vous ne voulez pas que leur funeste empire vous replonge bientôt dans toutes les horreurs du despotisme ; mais ce n’est qu’en vous en moquant que vous les détruirez ; tous les dangers qu’ils traînent à leur suite renaîtront aussitôt en foule si vous y mettez de l’humeur ou de l’importance. Ne renversez point leurs idoles en colère : pulvérisez-les en jouant, et l’opinion tombera d’elle-même. »
Donatien Alphonse François de Sade, Français, encore un effort si vous voulez être républicain, in La Philosophie dans le boudoir

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Téhéran, 1983
Si la petite fille que j'étais a éprouvé le désir de se mettre nue dans l'enceinte de son école, ce n'était pas à cause des fortes chaleurs. C'était par provocation. Provocation du même ordre que de jouer à saute-mouton dans la salle de prière de la mosquée de l'école.
C'était physique.
Je ne veux pas porter ce truc ! En plus c'est moche. Non !


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
A Téhéran, dans les années 1980, une petite fille de six ans, contrainte de porter le voile, se révolte en se dénudant. Se soumettre aux exigences des « barbus » et autres « corbeaux » lui paraît absurde. Son père l’approuve et, afin de fuir brimades et contraintes, la famille va s’exiler à Paris. Abnousse Shalmani découvre alors que la liberté n’est pas celle qu’elle aurait souhaitée. Sa révolte n’est donc pas finie. Mais cette fois, c’est la littérature française qui va lui fournir des armes. La petite fille, devenue femme, va faire de Sade, de Victor Hugo et de Colette (entre autres) des appuis précieux dans son combat contre l’oppression en général et celle du corps féminin en particulier.
Joyeux pamphlet, ce récit alterne les anecdotes intimes et les événements socio-politiques avec humour et enthousiasme.

Mon vrai nom est Elisabeth

En partant de son histoire familiale (d’où un possible parti pris qui n’enlève pas grand-chose au sordide), Adèle Yon peint l’écœurant tableau d’une époque que je croyais plus lointaine. Celle où des médecins apprentis-sorciers venaient triturer les cerveaux (majoritairement féminins) au pic à glace. Celle où l’on se débarrassait des encombrantes dans des asiles. Celle où la femme se devait d’être fertile, docile et ménagère.

Lorsque j'interroge les membres de ma famille sur la lobotomie de Betsy, leur réponse à tous est peu ou prou la même.
La lobotomie, c'est le fait qu'on lui a enlevé une partie du cerveau qui soi-disant ne fonctionnait pas.
C'est ce qu'on faisait à l'époque.
On pensait qu'en enlevant des morceaux ça allait... je ne sais pas... se régénérer... en mieux ?
Ils ont voulu enlever la partie défaillante, un peu comme un cancer.
Si la lobotomie a pour fonction de réguler les comportements divergents, pourquoi les journaux de l'époque diffusent-ils l'idée que la lobotomie est capable d'intervenir sur la cause de la maladie mentale ? Pourquoi ma famille a-t-elle majoritairement retenu l'idée que le neurochirurgien était en mesure d'ôter la folie comme un cancer, alors que son ambition était, comme ce qu'on appellera plus tard la lobotomie chimique (les médicaments), non pas de guérir mais de contenir ? Comment comprendre la pérennité de cette représentation de la lobotomie chez les descendants de Betsy soixante-dix ans après les faits ?
Mon vrai nom est Elisabeth de Adèle Yon
Une biographie familiale autour de Betsy qui a subit lobotomie, comas, électrochocs et qui fut finalement enfermée plus de 15 ans. Une enquête personnelle entre archives, souvenirs familiaux, interviews et visites durant laquelle les révélations tissent patiemment le portrait de la misogynie patriarcale d’alors enfouie sous les tabous et possiblement une certaine culpabilité.

Mais cette époque… c’est pas si loin ! C’est les années 50.

Une histoire qui rappelle évidement celle de Rosemary Kennedy lobotomisée par le fameux Walter Freeman ; mais aussi les questionnements autour de l’internement forcé de Camille Claudel

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Objet: Jean-Louis Important
Date: 4 janvier 2023 à 02:18:49
À: LA FILLE CADETTE
Quand tu liras ces mots, j'aurai fini mes jours après avoir basculé dans le vide depuis le balcon de l'appartement que j'ai loué au 7e étage.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Une chercheuse craignant de devenir folle mène une enquête pour tenter de rompre le silence qui entoure la maladie de son arrière-grand-mère Elisabeth, dite Betsy, diagnostiquée schizophrène dans les années 1950. La narratrice ne dispose, sur cette femme morte avant sa naissance, que de quelques légendes familiales dont les récits fluctuent. Une vieille dame coquette qui aimait nager, bonnet de bain en caoutchouc et saut façon grenouille, dans la piscine de la propriété de vacances. Une grand-mère avec une cavité de chaque côté du front qui accusait son petit-fils de la regarder nue à travers les murs. Une maison qui prend feu. Des grossesses non désirées. C'est à peu près tout. Les enfants d'Elisabeth ne parlent jamais de leur mère entre eux et ils n'en parlent pas à leurs enfants qui n'en parlent pas à leurs petits-enfants. « C'était un nom qu'on ne prononçait pas. Maman, c'était un non-sujet. Tu peux enregistrer ça. Maman, c'était un non-sujet. »

Mon vrai nom est Elisabeth est un premier livre poignant à la lisière de différents genres : l'enquête familiale, le récit de soi, le road-trip, l'essai. À travers la voix de la narratrice, les archives et les entretiens, se déploient différentes histoires, celles du poids de l'hérédité, des violences faites aux femmes, de la psychiatrie du XXe siècle, d'une famille nombreuse et bourgeoise renfermant son lot de secrets.

J'aime quand les archives perdent les pédales. Quand les mots ne rentrent plus dans les cases. Quand les registres et les voix s'entremêlent. C'est là qu'ils montrent leur vraie nature. Leur polyphonie. Leur artifice.

Badjens

La voix d’une toute jeune fille en Iran aujourd’hui. A seize ans, durant les révoltes qui suivirent la mort de Masha Amini, elle se souvient de son enfance, la place des hommes et celle des femmes, la religion, le voile…

Quand je pense à l'Iran, j'ai du mal à voir une femme, dotée d'un utérus et d'un hymen. Je m'imagine plutôt ce pays, qui a la forme naturelle d'un chat, pissant allègrement en dehors de sa litière. Non par esprit de provocation, mais par instinct de domination. Un mec hypocrite et poilu qu'un jour, peut-être, il faudra finir par castrer.
Je me suis toujours demandé si la cartographie ou encore la langue d'un pays avaient une influence sur sa sociologie.
En persan, ce n'est peut-être pas anodin, il n'y a ni masculin ni féminin.
Comme si les lettres mâles avaient endormi les femelles avec un coton d'éther.
Badjens de Delphine Minoui
Et cette voix, pleine de force et de candeur est puissante et magnifique. Pas encore résignée, elle se lève crânement, peine de toute son incompréhension face au régime, au sexisme, à l’hypocrisie religieuse et à la violence des hommes.

Un livre qui tire sa force de ce monstrueux décalage entre la voix d’une jeune fille qui découvre la joie de vivre face à la brutalité d’un système-régime-sexe qui piétine toute aspiration des femmes à la liberté

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Chiraz, 24 octobre 2022
T'entends leurs cris ?
Tu les entends t'applaudir alors que t'as encore rien fait ?
Froussarde ! T'es même pas cap.
Même pas capable de grimper sur la benne.
Autour de toi, les cris résonnent : « Boro dokhtaram ! », « Vas-y, ma fille ! »
En plein milieu de l'avenue Zand, les manifestants ont renversé une grosse poubelle en ferraille.
Elle te fait de l'œil.
Tu brûles d'envie de l'escalader.
Tu flippes.
Tu te revois. Petite et peureuse.
Invisible sous ce foulard obligatoire qui pend au bout de ton index transformé en potence.
Tu te revois et tu te dis : Je fais quoi, là ?


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Bad-jens : mot à mot, mauvais genre.
En persan de tous les jours : espiègle ou effrontée. »

Chiraz, automne 2022. Au coeur de la révolte « Femme, Vie, Liberté », une Iranienne de 16 ans escalade une benne à ordures, prête à brûler son foulard en public. Face aux encouragements de la foule, et tandis que la peur se dissipe peu à peu, le paysage intime de l'adolescente rebelle défile en flash-back : sa naissance indésirée, son père castrateur, son smartphone rempli de tubes frondeurs, ses copines, ses premières amours, son corps assoiffé de liberté, et ce code vestimentaire, fait d'un bout de tissu sur la tête, dont elle rêve de s'affranchir. Et si dans son surnom, Badjens, choisi dès sa naissance par sa mère, se trouvait le secret de son émancipation ? De cette transformation radicale, racontée sous forme de monologue intérieur, Delphine Minoui livre un bouleversant roman d'apprentissage où les mots claquent pour tisser un nouveau langage, à la fois tendre et irrévérencieux, à l'image de cette nouvelle génération en pleine ébullition.