Maigret et le marchand de vin

Les derniers Maigret sont (pour moi) les plus savoureux. Le trait y est plus fin, l’énigme moins dense passe au second plan et les personnages prennent réellement corps.

Mme Blanche paraissait cinquante ans, mais elle en avait certainement une soixantaine. C'était une petite femme boulotte que certains auraient trouvée très distinguée. Elle portait une robe de soie noire sur laquelle tranchaient deux ou trois rangs de perles.
 - Toujours aussi active et aussi discrète ?
Il l'avait connue trente ans plus tôt, quand elle arpentait encore le boulevard de la Madeleine. Elle était jolie et douce, avec toujours un sourire avenant qui lui faisait deux fossettes.
Plus tard, elle était devenue sous-maîtresse dans un appartement de la rue Notre-Dame-de-Lorette où l'on était toujours sûr de rencontrer de jolies femmes.
Maigret et le marchand de vin de Georges Simenon

Ici, c’est du meurtre d’un chef d’entreprise dont il s’agit. Un homme à femme, imbuvable (et pour un marchand de vin, c’est bien triste), féroce et odieux. Et Maigret grippé de chercher – bon gré, mal gré – son assassin.

 - Tu as bien dormi?
 - Magnifiquement. Je serais capable de dormir toute la journée.
 - Tu ne veux pas prendre ta température?
 - Si tu y tiens.
Cette fois, il avait 37°6.
 - C'est nécessaire que tu ailles à ton bureau?
 - Il est préférable que j'y aille, oui.
 - Prends donc une aspirine avant de partir. 
Docilement, il en prit une puis, pour en faire passer le goût, il se versa un tout petit verre de prunelle d'Alsace que leur envoyait sa belle-sœur.
 - Je t'appelle tout de suite un taxi.

L’occasion pour un Simenon anthropologue de Paris de décrire une ville libertine tournant autour d’un petit tyran puant

Maigret 99/103

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
- Tu l'as tuée pour la voler, n'est-ce pas ?
- Je ne voulais pas la tuer. La preuve, c'est que je n'avais qu'un revolver d'enfant.
- Tu savais qu'elle avait beaucoup d'argent ?
- Je ne savais pas combien. Elle avait travaillé toute sa vie et, à quatre-vingt-deux ou quatre-vingt-trois ans, elle devait avoir des économies.
- Combien de fois es-tu allé lui demander de l'argent ?
- Je ne sais pas. Plusieurs fois. Quand je venais la voir, elle savait pourquoi j'étais là. C'était ma grand-mère et elle me donnait automatiquement cinq francs. Vous vous rendez compte ? Quand on est chômeur, qu'est-ce qu'on peut faire avec cinq francs ?
Maigret était grave et lourd, un peu triste. C'était l'affaire banale, le crime sordide comme il s'en produit à peu près chaque semaine, le garçon de moins de vingt ans qui s'attaque à une vieille femme seule pour la dépouiller.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Qui a pu assassiner Oscar Chabut, opulent négociant en vins, réputé pour sa férocité en affaires, alors qu'il sortait avec sa secrétaire d'une maison de rendez-vous?

Quel est le personnage insaisissable qui, à chaque stade de l'enquête, met ses pas dans les pas de Maigret, lui écrit, lui téléphone même, pour lui dépeindre Chabut comme une crapule?

La vérité n'échappera pas longtemps au plus célèbre enquêteur que la P.J. ait compté dans ses rangs... Mais ici, comme dans ses dizaines d'enquêtes, c'est moins la vérité des faits qui intéresse Maigret que celle des hommes. C'est la personnalité de Chabut qu'il reconstitue post mortem, à petites touches, au gré des témoignages et des aveux. Et c'est une vérité humaine encore qui le fascinera en écoutant la confession de l'assassin. Vérité toujours confuse, imparfaite, en demi-teintes, qui donne à l'univers romanesque de Georges Simenon son ambiance et sa saveur inimitables