Malempin

Pour qui souhaite comprendre la vie en France du début du XXe, les livres de Simenon sont une source impressionnante d’informations sur les usages, la société, les rapports homme-femmes, humains et familiaux…

Au cours d'une de ces paniques périodiques, mes parents ont-ils décidé de se débarrasser de Tesson?
Contrairement à ma propre attente, c'est avec un détachement sincère que je me pose cette question et que j'essaie de la résoudre.
Le crime en lui-même, s'il y a eu crime, ne m'émeut pas et je l'envisage sans horreur.
Ce qui m'a poussé à remuer ces souvenirs est un sentiment complexe, qui ne m'apparaît un peu clairement qu'à mesure que j'avance. C'est parti de Bilot, du regard qu'il laissait peser sur moi et du docteur Malempin que j'ai découvert dans la glace.
Peu importe, d'ailleurs. Je suis maintenant tout engagé dans des racines que je démêle et j'en trouve qui vont toujours plus loin, et plus enchevêtrées.
La question ne se pose pas de savoir si mon père et ma mère avaient intérêt à supprimer le boiteux Tesson. C'est l'évidence. Au village, les gens l'ont senti. Ce qui m'étonne, c'est que les magistrats ne s'en soient pas avisés plus tôt, car, autant que je m'en souvienne, il s'est écoulé des semaines avant que mon père et ma mère fussent appelés à Saint-Jean-d'Angély.
Malempin de Georges Simenon
Pour autant, ce Malempin est tristement ennuyeux.

Au chevet de son fils malade, un homme se souvient, par bribes, des non-dits et des secrets sombres de sa famille, il s’interroge sur sa vie, son couple, ses choix… sans pour autant en tirer de leçons ni de vérités

Un livre lent, un bon somnifère

Le 38e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Même de sang-froid, je reste persuadé que cette journée a été plus rapide que les autres et le mot vertigineux me vient naturellement à l'esprit. J'ai, quelque part au fond de la mémoire, un vieux souvenir similaire. Je jouais dans la cour du lycée. Non, ce n'est pas possible, puisqu'il va être question d'un tramway. Peu importe! Dans une rue. Ou sur une place. Plutôt sur une place, car je revois des arbres et je pourrais préciser qu'ils se découpaient sur un mur blanc. Je courais. Je courais à perdre haleine. Pourquoi? Je l'ai oublié.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Ils devaient partir en vacances dans le Sud. La maladie subite de leur fils en décide tout autrement. Le père, médecin, veille sur l'enfant et, tandis qu'il reste à son chevet, lui reviennent en mémoire des souvenirs enfouis...
Une histoire, dans sa jeunesse, d'un oncle disparu du jour au lendemain après être passé à la ferme que tenaient ses parents. La mère s'y trouvait seule. L'enfant, dans la maison, n'avait rien vu à l'époque. Il avait trouvé plus tard, sur un tas de débris utilisé par le père, loin dans la campagne, des traces du disparu.
La venue des gendarmes, pour lui qui n'avait qu'un regard de gosse, s'était pourtant teintée de la couleur du non-dit. La mère avait arrangé une vérité. Cette dernière avait par la suite décidé de sa vie...

Relié, délié

Il faut, pour apprécier la poésie de Philippe Gindre, pratiquer avec aisance les grands écarts et faire preuve de souplesse. De même que pour la vie, peut-être. Accepter l’optimisme de la désespérance et ne pas craindre de jouir paisiblement dans les combats du chaos.

La prochaine fois...
Refuser, obtempérer, apprendre à marcher
S'opposer, déserter, voler, mentir
S'anéantir, revenir à la vie
Grandir, muter, haïr, vieillir, aimer
Prend un temps fou et grille autant d'énergie.
La prochaine fois,
j'y réfléchirai à deux fois.
Relié, délié de Philippe Gindre
Poèmes et textes courts destinés à une lecture en musique, Relié, délié s’apprécie tout autant en hiver bien au chaud qu’en été bien au frais

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Au commencement était le verbe, et le verbe était l'impulsion, le germe apte à s'accroître et se conclure en toute chose. Et toute chose s'est faite ainsi.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Relié, délié, c’est ainsi que s’appelle le recueil de poèmes qui vient de paraître aux éditions des sauvages. Il est d’obédience rock, humoristique et contestataire, offensivement positiviste et faciéteusement religieux.

Il serait possible d’imaginer que victime d’un méchant romantisme, l’auteur avant d’avoir dix-sept ans soit parti de chez mes parents, pour devenir insomniaque… La musique et les livres ont joué leur rôle et aujourd’hui l’auteur partage son viatique poétique.

Vendredi :
aller à l'essentiel
revenir à la raison
passer pour un fou

La fenêtre des Rouet

Dominique ne s’est jamais mariée et pour vivre très chichement elle est contrainte de louer une chambre de son appartement et entendre le jeune couple qu’elle loge jouir de leur amour. Alors, quand elle voit par sa fenêtre une voisine laisser mourir son mari sous ses yeux, elle prend conscience du vide abyssal de sa propre vie.

Furtive, consciente de sa déchéance, elle se frottait à la foule qu'elle reniflait. Déjà des rites s'étaient établis, à son insu : elle traversait toujours la place au même endroit, tournait à tel coin de rue, reconnaissait l'odeur de certains petits bars, de certaines boutiques, ralentissait le pas à certains carrefours dont l'haleine était plus forte que celle des autres.
Elle se sentait si misérable qu'elle aurait été capable de pleurnicher en marchant. Elle était seule, plus seule que n'importe qui. Qu'arriverait-il si elle venait à tomber au bord du trottoir? Un passant buterait sur son corps, quelques personnes s'arrêteraient, on la porterait dans une pharmacie et un agent tirerait un calepin de sa poche.
 ─ Qui est-ce ?
Personne ne saurait.
La fenêtre des Rouet de Georges Simenon
Un livre plein de désirs inassouvis, tellement profonds, tabous, impensables

Le 51e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
La sonnerie triviale d'un réveille-matin éclata derrière la cloison, et Dominique sursauta, comme si c'était elle que cette sonnerie ─ mais n'allait-on donc pas l'arrêter ! était chargée de réveiller, à trois heures de l'après-midi. Un sentiment de honte. Pourquoi? Ce bruit vulgaire ne lui rappelait que des souvenirs pénibles, vilains, des maladies, des soins au milieu de la nuit ou au petit jour, mais elle ne dormait pas, elle ne s'était même pas assoupie. Pas une seconde sa main n'avait cessé de tirer l'aiguille; elle était à vrai dire, l'instant d'avant, comme un cheval de cirque qu'on a oublié à l'exercice et qui a continué de tourner, qui tressaille et s'arrête net en entendant la voix d'un intrus.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Dominique Salès, vieille fille déchue et déçue, vit une existence confinée et insipide dans son logement exigu, dérangée par la seule vitalité du jeune couple, les Caille, ses proches voisins... En face, dans une maison bourgeoise, vivent de riches industriels, les Rouet: au second, les parents Rouet, au premier le fils et son épouse Antoinette...
La vieille fille vit sa vie par procuration en observant et guettant les moindres faits et gestes du jeune couple Rouet, elle est témoin de la crise cardiaque du fils Rouet que sa femme laisse mourir sans lui venir en aide... La suite des événements va tout d'abord offusquer Dominique, puis peu à peu elle se prend à envier le goût du plaisir et de liberté qui dévore Antoinette, lui offrant le spectacle d'un scandale délectable...
Mais Antoinette est bientôt chassée par ses beaux-parents et les Caille déménagent, emportant avec eux leur bonheur exubérant... Dominique confrontée au vide qui l'entoure prend alors conscience de l'échec de sa vie...

Oncle Charles s’est enfermé

En tombant sur un courrier qui ne lui était pas destiné, Charles comprend que son beau-frère, en plus d’être avare, mesquin et odieux, est une crapule !

Lulu le lut à haute voix :
« Prière de me ficher la paix! »
Et Laurence rit, d'un rire à peine nerveux.
Quand elle riait, toute sa chair pâle tremblait et ses gros seins dansaient dans son corsage. Elle n'avait jamais voulu porter de soutien-gorge. Elle prétendait que ça l'étouffait. Sans doute à cause de cela, en la regardant, on pensait à du lait tiède. Elle était blonde. Ses cheveux ne tenaient pas. Ses chapeaux ne tenaient pas davantage sur ses cheveux, et toutes les robes, sur elle, paraissaient mal coupées.
Oncle Charles s’est enfermé de Georges Simenon
Sans dire un mot, il risque bien de le faire craquer.

Des familles où pas grand chose ne va, où l’arnaqueur se fait arnaquer et nul n’en sort indemne

Le 46e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
C'était l'époque de l'année où il fait nuit dès quatre heures.
Laurence descendit du tram en même temps que le wattman qui allait changer son trolley de côté pour repartir en sens inverse. Et comme toujours, tenant autant de place dans son horizon que la lune dans le ciel, Laurence vit, juste devant elle, la lanterne du passage à niveau.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Charles est bouleversé lorsqu'il apprend le monstrueux secret de la fortune d'Henri, son beau-frère. Il se barricade dans le grenier pour y réfléchir et ni les appels de sa femme, ni les suppliques de ses filles ne le feront le quitter.

Seule la certitude de tenir son beau-frère à sa merci pourra le convaincre de sortir...

L’ours en peluche

Tout se mêle et s’emmêle dans la tête de du Professeur Chabot. Et tout s’embrouille jusqu’au drame.

Ces femmes n'avaient-elles pas raison ? C'était l'autre, dont il ne retrouvait pas le nom tout de suite... ah! oui... Emma... c'était Emma qui avait tort ou plutôt qui avait fini par comprendre.
Était-ce bien cela qu'on attendait de lui ? Commençait-il à se montrer raisonnable ? Devenait-il, passé quarante-huit ans, un homme comme un autre ?
Dans ce cas, tout était parfait. A votre service, messieurs-dames! J'arrive, bien sage, bien é-qui-li-bré. Et, comme récompense, vous me servirez, avec mon café, un grand verre de cette fine 1843 qu'on ne boit plus guère que chez vous...
Il parlait tout seul, ne pouvait en dire davantage parce que, derrière son volant, dans l'obscurité de la voiture, il pleurait comme un idiot.
L’ours en peluche de Georges Simenon

Un court drame bien dans l’esprit de Simenon ou la fatalité ne concède rien à la causalité quand la folie se glisse dans les tréfonds de la culpabilité

Le 96e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Il rêvait, il en était sûr, mais, comme presque toutes les autres fois, il aurait été incapable de dire le sujet de son rêve.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Un ours en peluche dans un lit d'enfant : c'est l'image qui vient à l'esprit du professeur Chabot, gynécologue réputé, en surprenant une jeune garde de nuit endormie dans sa clinique d'Auteuil. Et cet homme de quarante-neuf ans, las d'une existence harassante et d'une vie familiale qui n'est plus que routine, va laisser l'attendrissement se transformer en désir...

Il apprend quelque temps plus tard que la jeune Emma, enceinte, congédiée de la clinique, s'est jetée dans la Seine. Est-ce pour cela qu'un inconnu entreprend de le surveiller et lui adresse des menaces de mort ? Pour le brillant médecin, envahi par la culpabilité, commence une descente aux enfers qui le mènera au pire... La profondeur psychologique et l'art du récit de Georges Simenon atteignent ici une intensité exceptionnelle.

Le fils Cardinaud

La femme d’Hubert s’est tirée avec Mimille, un petit voyou, une sale bête. Mais Hubert, qui reste avec ses deux enfants, l’aime, même si ce n’est pas tout à fait réciproque. Il décide d’aller la récupérer.

Un peu plus tard, il descendait l'escalier de pierre et pénétrait dans le sous-sol où il avait passé son enfance. Sa mère, les genoux écartés sous le tablier bleu, écossait des petits pois. Il l'embrassa au front, comme d'habitude, fit partir le chat du fauteuil d'osier où il s'assit, et dit avec sérénité :
 ─ Marthe est partie avec Mimile... Le fils de Titine...
S'il s'était écouté, s'il n'avait craint, par un reste de superstition, de défier le sort, il aurait ajouté aussi naturellement :
 ─ Je vais la rechercher...
Et la ramener chez elle, où c'était sa place !
Le fils Cardinaud de Georges Simenon
Mais où sont-ils allés ?

Elle ne l’aimait pas, elle ne l’avait jamais aimé, elle ne l’aimerait jamais. Il le savait depuis toujours. Est-ce que cela importait ? Il l’aimait et c’était suffisant, il se contentait qu’elle fût sa femme, qu’elle vécût dans sa maison, qu’elle lui fît des enfants…
C’était tellement plus simple que ce que pensaient les gens !

Un fils Cardinaud touchant, et bien de son époque !

Le 45e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Il était porté, comme un bouchon l'est par le flot. Le corps droit, la tête haute, il regardait devant lui et ce qu'il voyait se mariait intimement à ce qu'il entendait, à ce qu'il sentait, à des souvenirs, à des pensées, à des projets.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Enfant déjà il savait qu'il ne serait ni ouvrier,ni artisan, ni commerçant, qu'il vivrait comme le premier clerc vu chaque dimanche à la messe, toujours correct, avec un rien de lenteur majestueuse. Le fils Cardinaud a tenu ses promesses. M. Mandine, l'assureur des Sables-d'Olonne, parle de lui comme son successeur. On le salue en ville. Jusqu'à ce que sa femme le quitte avec l'argent du ménage. Lui qui croyait être devenu quelqu'un est rappelé à sa condition de roturier. Le voile se déchire. Cardinaud découvre un monde de laideur où seule son intuition, comme son amour, pourra désormais le soutenir. Une seule certitude : il retrouvera sa femme.

Être de papier

Peut-on aimer dans le mensonge ? Peut-on aimer celui ou celle qui nous trompe ? Et jusqu’où peut-on aller dans la construction de nos mondes illusoires, sont-ils si évanescents ? Et comment faire le jour où la réalité (laquelle ?) nous rattrape ?

Soigner ses blessures ne suffira pas.
Yann s'adresse à mi-voix à l'infirmière. Il souhaite que son épouse soit vue par un psychiatre. C'est pour ça qu'il est venu la solliciter. L'infirmière est très touchée par sa situation. Elle essaie de comprendre avec lui ce qui a incité Aline à s'inventer de tels mensonges. Yann se livre un peu, soulagé de trouver cette oreille neutre et bienveillante. Il perçoit nettement que l'aide-soignante, en retrait, assise derrière son cahier avec une tasse de thé, est aussi à l'affût de ses confidences. Elle a l'air d'une commère.
Être de papier de Marie Beer
Avec cette fiction, Marie Beer s’amuse avec le mensonge jusqu’à en faire perdre pied à ses personnages.

Et sans mentir, c’est une vraie réussite

Une histoire qui n’est pas sans rappeler cette chanson de Paloma Faith, Do You Want the Truth or Something Beautiful ?

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Aline dit souvent : les enfants acceptent telles quelles les histoires qu'on leur raconte. Ils aiment, ils n'aiment pas. Ils rêvent ou ils cauchemardent. Mais ils acceptent. Personne ne songe à dire : ça n'a pas pu se passer ainsi.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Un homme accourt au chevet de sa femme, renversée par un bus quelques heures plus tôt. En cherchant à contacter son employeur, il découvre qu’elle s’invente une vie professionnelle depuis des années et il est bien décidé à la confronter à ses mensonges.

Au fil de dialogues acérés, Marie Beer aborde avec verve et lucidité la place de l’imaginaire dans notre quotidien et au sein du couple.

Clamser à Tataouine

De la vraie fiction, drôle et amorale. Les meurtres s’enquillent sans qu’on ne s’intéresse trop au victimes. Et qu’importe, car ici, c’est l’action qui compte.

Mon plan achève de prendre forme. La société doit s'acquitter de ce mal-être dont je la tiens responsable. Pour que l'anéantissement soit total et que mon action porte, je dois frapper symboliquement. Je vais tuer un représentant de chacune des classes sociales. Je choisirai des femmes, non par virilisme vengeur mais simplement parce que, si ces coups d'éclat doivent être mes derniers et se solder par un enfermement définitif, autant dépenser mes dernières heures auprès de ceux qui ont toujours eu ma préférence. À savoir les femmes.
C'est l'histoire d'une misandrie qui faisait qu'une misanthropie prenait l'apparence d'une misogynie.
Clamser à Tataouine de Raphaël Quenard
Et ça fonctionne plutôt bien avec quelques phrases, pensées et pépites fort sympathiques.

Un bon divertissement dont j’ai toutefois eu peine à trouver le message

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Tataouine, novembre 2024

Je coule les jours les plus doux de mon existence. J'ai trouvé la parade ultime. Vivre aux crochets d'une octogénaire, c'est quand même le pied.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« La discutable dextérité dont j'ai fait montre pour me dépatouiller de mon existence laisse à penser que je suis tout sauf un exemple à suivre.»

C'est le moins qu'on puisse dire. Le narrateur est un jeune marginal qui n'a jamais cherché à s'intégrer. Ce qui ne l'empêche pas de trouver plus commode de rejeter l'entière responsabilité de son ratage sur la société. Et il compte bien, « en joyeux sociopathe », lui faire salement payer l'addition de sa défaite. Son plan ? S'immiscer dans toutes les classes sociales pour dénicher chaque fois une figure représentative de cette société détestée. Et la tuer. En écrivant le roman de ce psychopathe diaboliquement pervers, provocateur et gouailleur, l'auteur entraîne le lecteur dans une épopée macabre mâtinée d'un humour noir très grinçant. Avec un style aussi électrique qu'inventif, Raphaël Quenard dissèque le cerveau malade d'un monstre moderne et met en scène toute la galerie de personnages qui l'entourent.

L’abandon du mâle en milieu hostile

Quelle passion, quel amour ! Je me suis fait cueillir comme une petite fleur des champs par ce roman qui sort clairement des clichés du genre.

Un soir de décembre 1980, alors que nous grignotions une assiette de charcuterie en commentant Eraserhead, que nous venions de voir à d'Eldorado (« Un putain de génie, ce David Lynch, non? »), tu me demandas à brûle-pourpoint si je n'en avais pas marre d'habiter chez mes parents, à presque vingt et un ans. Je m'y trouvais fort bien, mais te répondis évasivement, afin que tu précises ta pensée.
 ─ J'ai trouvé un appartement super, mais il est trop cher pour moi toute seule. Si tu voulais le partager avec moi...
J'en lâchai la rondelle de saucisson que je tenais à la main. Il est des bibelots que l'on se lasse de voir sur la cheminée du salon ; chaque soir, je m'attendais à être répudié sans ménagement, et voilà que tu me proposais ta table 
de nuit.
 ─ Mais... pourquoi moi ?
 ─ Parce que je pense que nous nous entendrons bien. Et puis j'ai presque confiance en toi. Assez du moins pour te proposer ça.
L’abandon du mâle en milieu hostile de Larher Erwan
Alors, certes, l’incessante utilisation du passé simple peut sembler un peu précieuse. Mais le narrateur ne l’est-il pas ?

Le livre d’une passion qui a tout emporté, un amour de jeunesse comme un saut dans le vide sans parachute. Mais connait-on vraiment ceux qu’on aime ?

Une merveille pleine d’humour et d’amour

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Je te haïssais.
Avec tes cheveux verts, sales, tu représentais tout ce que j'exécrais alors: le désordre, le mauvais goût, l'improductive et vaine révolte juvénile.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Dijon, 1977. Les téléphones avaient des fils, les téléviseurs ne diffusaient que trois chaînes, La Poste s'appelait PTT. Entre une fille fantasque, rebelle, et un jeune garçon trop sage s'ébauche une relation inattendue et insolite. Dans la France en pleine mutation du début des années 1980, où fric et paillettes tiennent peu à peu lieu d'idéaux, le narrateur va brusquement découvrir la part sombre de sa belle compagne. Et relire leur histoire sous cette lumière noire.

Marguerite n’aime pas ses fesses

Charmé par la dernière autofiction de Loulou Robert, je suis allé guigner pour savoir qui était son mari si vieux publié dans une grande maison d’édition et je suis tombé sur Erwan Larher. Et là, surprise, en recherchant ses livres, je suis tombé sur des romans Harlequin ?!? Y aurait-il eu méprise ? C’est alors que je me suis rendu compte qu’il en était le traducteur.
Passé la petite histoire, j’ai finalement découvert le titre de ce livre et je m’y suis plongé. Avec délice !

Billie partit d'un long éclat de rire avant d'écraser sa cigarette dans un pot de fleurs.
 ─ Mon chaton, tu es si naïve, c'est confondant !
Est-elle trop naïve ou entourée de gens qui ne le sont pas assez, qui ne le sont plus ? Les confidences d'Aymeric, les découvertes sur Jonas, les propos de sa mère qui lui reviennent en boomerang : elle s'aperçoit que son monde n'est que doubles-fonds, escaliers dérobés, façades en trompe-l'œil. La légitimité, c'était son père, et il est mort; cela aurait dû être sa mère, elle l'écrase; c'était ses professeurs, et l'un d'eux a essayé de l'embrasser, en terminale. Elle a été modelée par l'absence du père, par l'omniprésence étouffante de la mère; par son genre, femelle, qui la pousse à vouloir enfanter avec un mâle fidèle. Elle n'est construite que de morceaux d'autres qu'elle-même. Elle est un alliage, pas bien résistant. Elle est prévisible. Cela l'attriste. Tout ce qu'elle a cru solide se fissure. Elle est seule, désormais.
Seule devant sa psyché, avec son cul trop plat.
Marguerite n’aime pas ses fesses de Erwan Larher
C’est drôle et truculent, il y a de l’enquête, du sexe, de la perversion, du pouvoir et… une fois encore, beaucoup d’humour. Oui, nous sommes loin d’une bluette formatée aux poncifs stéréotypés.

Certes, la fin un peu explicative et la narration fort embrouillée m’ont surpris, mais zou ! C’est vraiment un bon moment avec Marguerite

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Marguerite n'aime pas ses fesses.
Elle fronce les sourcils. Ce que le français peut être imprécis, parfois ! Ces fesses que Marguerite n'aime pas pourraient être celles de n'importe qui. Si elle écrivait un roman, ce qui ne risque pas d'arriver (elle écrit mal et n'a rien d'intéressant à dire), il ne débuterait pas ainsi. Cette phrase-seuil sème la confusion. Elle choisirait plutôt un incipit in media res ─ croit-elle se souvenir, ses cours de construction narrative écaillés par l'inusage. Et puis le français n'incite-t-il pas au coulis narcissique de la première personne du singulier ? Je n'aime pas mes fesses, voilà qui est clair.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Marguerite a un mec mais pas de libido, une mère mais plus de père, et rêve d’une vie de famille. Lorsqu’on lui propose d’aider un ancien président de la République à rédiger ses mémoires, elle accepte – elle ne sait pas dire non. Alors, sa réalité et la réalité prennent leurs distances, peu aidées par l’irruption d’un flic qui enquête en secret sur les liens entre une trentaine d’assassinats politiques.

Rythmé et subtilement décousu, Marguerite n’aime pas ses fesses met en récit l’apathie politique d’une génération un brin nombriliste, questionne la puissance dévastatrice des pulsions sexuelles et s’aventure dans les méandres de la sénescence.
Un roman caustique et piquant.