Le passager clandestin

Une fois encore avec Simenon, l’histoire semble prétexte aux portraits. À Tahiti dans les années 40, les hommes blancs s’encanaquent entre men’s club, alcool, poker et jeunes tahitiennes. Un tableau abrutissant de vacuité sous le soleil dans un paysage magnifique.

Ils étaient là une trentaine de Blancs venus d'Europe, Dieu sait pourquoi, une trentaine d'hommes pour qui la grande distraction, celle de tous les jours, de toutes les nuits, était de boire et de se frotter à la chair brune de ces filles maoris qui semblaient appartenir à un autre monde.
Un bateau était arrivé, jadis, devant cette île où vivaient, comme dans un Paradis terrestre, des hommes et des femmes couronnés de fleurs.
Les hommes, aujourd'hui, étaient garçons de café ou chauffeurs; les filles, les plus belles d'entre elles, passaient en riant des bras d'un homme blanc aux bras d'un autre homme blanc.
Le passager clandestin de Georges Simenon
Une histoire d’héritage qui fait tourner bien des têtes

Le 57e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Un bateau italien qui venait de San Francisco était accosté au pier, devant les bâtiments de la douane. De ce côté-là, on avait allumé toutes les lampes, d'énormes ampoules électriques à la lumière blanche et crue qui pendaient à des fils un peu partout, de sorte que de loin cela donnait l'impression d'un plateau de cinéma, avec des ombres s'agitant en tous sens, les coups de sifflet commandant le vacarme métallique des grues et des palans, les couleurs mangées par les projecteurs, le vert et le rouge du pavillon, par exemple, tout pâles, tranchant à peine sur le blanc.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
L'Aramis vogue entre Panama et Papeete. Parmi les passagers, le major Owen, parti à la recherche de René, fils et héritier de son ami Joe Hill, magnat de l'industrie cinématographique, récemment décédé.

Et voici qu'au cours du voyage, Owen découvre un passager clandestin, à qui il vient en aide. Il s'agit en réalité d'une jeune femme, Lotte. Elle aussi souhaite retrouver René, désormais riche, et dont elle a naguère été la maîtresse. Ils décident de faire équipe. Mais c'est compter sans un repris de justice, lui aussi à bord du bateau, qui a surpris leur secret.

Loin de ses décors coutumiers, quartiers de Paris ou province française, le grand romancier fait surgir sur une toile de fond exotique des personnages ambigus, dont les motivations ne sont pas forcément des plus nobles. Inquiétants, fascinants, ils nous entraînent sur leurs traces, et nous nous demandons à chaque page ce qu'ils cherchent...

Robinsons père et fils : à Madagascar, l’île aux Nattes

Immédiatement après avoir lu la bande dessinée qui m’avait beaucoup touché, j’ai commandé le petit livre qui lui avait donné naissance.

Robinsons père et fils : à Madagascar, l’île aux Nattes de Didier Tronchet

Et au début de ma lecture, j’ai eu un peu peur d’être déçu, de ne pas y retrouver l’humour, de regretter les images si parlantes qui épargnaient bien des mots. Puis, petit à petit, je me suis laissé gagner par ce rythme différent, moins immédiat mais plus profond, plus intime et moins rigolard

Et j’ai été absolument conquis par sa tendre introspection, celle d’un père qui se retrouve confronté à l’adolescence de son enfant sur une île paradisiaque au large de Madagascar.

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Un îlot perdu dans l'océan Indien... quelques récits de voyageurs, une ou deux photos... il n'en faut pas plus à l'auteur pour quitter son univers urbain et s'expatrier plusieurs mois sur l'île aux Nattes, au large de Madagascar, quintessence du concept îlien, avec « la ferme intention de vivre sans les béquilles que la société moderne fait passer pour indispensables. »

Pourtant, une fois déchiré le voile du fantasme, la réalité rattrape vite le fugitif... À commencer par les réalités personnelles. Partir hors du monde n'est pas partir hors de soi...

Sur cette île sans issue, Didier Tronchet fait l'apprentissage d'une autre vie, non pas en solitaire, mais avec une bombe à retardement devant lui, sur la pirogue, un adolescent, son fils Antoine...

Robinsons, père et fils

Didier Tronchet, pour moi, c’était Fluide Glacial. Jean-Claude Tergal, Raymond Calbuth, Sacré Jésus, la bite à Urbain et toutes ces drôleries sans trop de second degré avec pourtant un regard assez aiguisé sur tous les gentils paumés qu’on comprenait généreusement saupoudrées d’autodérision.

Robinsons, père et fils de Didier Tronchet

Mais là, quelle BD ! Un vrai bijou aussi lumineux que l’île aux Nattes sur laquelle il est parti vivre une période indéterminée avec son fils de 13 ans.

Et paradoxalement sur cette île perdue au milieu de rien, il s’est mis à l’introspection. Et il raconte : lui et son fils, son rôle de père et le fossé que l’adolescence creuse entre eux au milieu d’un paradis post-colonial (oui, tout n’est pas si magnifique)

Une BD tirée d’un petit livre tout aussi sublime !

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
L'auteur, urbain sur-connecté du XXIe siècle, tente l'aventure du naufragé volontaire sur une île lointaine et minuscule. Et en plus, il emmène son fils en pleine adolescence. Comment survivre à cette double épreuve ? S'isoler plusieurs mois sur l'île aux Nattes, un îlot proche de Madagascar, en profiter pour évaluer son niveau de résistance à l'absence de confort moderne, se confronter à un nouveau quotidien et le faire avec son ado de 13 ans pour goûter encore un peu à la joie d'être père, voilà une opportunité que Didier Tronchet n'était pas prêt à laisser passer. Mais il ne s'attendait pas vraiment à ça...

La vie sexuelle des cannibales

J’étais tombé sur cette couverture et il s’est avéré que derrière se cache le livre le plus drôle que j’ai lu ces derniers temps.
Attention, le titre est quelque peu trompeur et peut vous laisser sur votre faim.

La vie sexuelle des cannibales de J. Maarten Troost
La vie sexuelle des cannibales de J. Maarten Troost
4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
On peut s'ingénier à empiler les diplômes inutiles pour différer son entrée dans la vie active, n'en vient pas moins le temps où il faut bien se décider à faire quelque chose. À moins que ne surgisse l'idée de génie de tout laisser tomber, et de ficher le camp au bout du monde - pourquoi pas au paradis des mers du Sud ?

Et c'est ainsi que l'inoffensif Maarten et sa vaillante compagne, Sylvia, débarquent un jour aux îles Kiribati, petite nation perdue au fin fond du Pacifique Sud. Pleins d'ardeur et de rêves : la vraie vie, enfin ! Comme quoi tout le monde peut se tromper...

Chaleur terrifiante, bactéries meurtrières, poissons toxiques, mer polluée : l'endroit n'est peut-être pas le paradis espéré. Surtout si la seule musique qui s'y entend en boucle, quand l'électricité veut bien être au rendez-vous, est la Macarena, que prolifèrent autour de vous des bestioles de dimensions inquiétantes, des fonctionnaires tatillons et dérangés, et des voisins aux facultés altérées par l'abus de substances variées.

Rien n'est plus ennuyeux que le récit d'un voyage réussi : autant dire que celui-ci vous tient en haleine de bout en bout, vous fait pleurer de rire à chaque page et vous permet, une fois le livre reposé, de mieux apprécier certains produits courants de la vie moderne comme le café, les douches à volonté ou la presse à scandale