Nani

Après avoir lu, voilà deux jours, Les sources de Marie-Hélène Lafon, je me suis retrouvé avec Nani dans les mains. Et quelle horreur de lire encore, et encore la même histoire. Un homme violent, une femme battue. Une fois dans une vallée en France, cette fois en Suisse.

Dans le miroir, Albina renonce à regarder le reflet de cette femme vendue, trahie. Battue. Lâche ?
Cette femme qu'elle se refuse d'être...
Elle ferme les yeux.
A l'aveugle, elle ouvre le robinet, recueille de l'eau froide dans le creux de ses paumes et se rince les joues, le front. Rattrapée par l'émotion, elle s'interrompt dans son action ; derrière un bouclier de doigts joints, elle aimerait pleurer, 
mais ne peut pas, 
ne peut plus.
Elle a tant pleuré, tout pleuré ce qu'elle contenait de larmes l'été de ses quatorze ans où, de la bouche d'une camarade de classe, elle avait appris être promise à Burim. D'ici la fin du mois d'août, elle allait devoir se fiancer avec lui et une fois mariée, renoncer à tout pour la Suisse.
Nani de Mélanie Richoz
La violence n’a pas de pays, mais encore et toujours le même sexe.

L’histoire des hommes violents. Une horreur

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Albina emmène Siara et Arben à l'école. Sur le trottoir, devant le grillage, elle s'agenouille et les enlace. Très fort. Elle resserre les bretelles de leur sac à dos et arrange le col de leur veste, un peu légère pour la saison. Au loin, les Vanils ont déjà enfilé leur capuchon blanc. Sur les joues rondes et rouges de ses enfants, Albina dépose un baiser sonore, puis plonge son nez à la racine de leurs cheveux. Elle ne sent rien. Depuis plusieurs années, la seule odeur perçue est celle, putride et âcre, de la peur.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Comme si chaque détail exige d’être
évoqué, revécu, pour se désagréger dans la
vase avec les cellules meurtries de ce corps.
Son corps.
Épuisé, souillé, appartenant plus à sa
progéniture et à son mari qu’à elle-même,
ce corps nourricier. Objet. Torture. Étranger.
Ce corps déjà mort. »

Nani, raconte l’histoire d’une jeune femme vendue par son frère à l’âge de quatorze ans à un mari violent.

Addictions

Il y a évidemment un petit air de Sempé ou de Voutch dans ces planches aux traits et à l’humour léger.

Addictions de Francois Ravard

Des dessins d’humour drôle (ne chipotons pas) avec de bons moments de sourires subtils et poétiques

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Oui, je trouve aussi ce spectacle absolument magnifique, Nathalie. Et d'ailleurs, cela me fait penser que j'ai oublié le rosé dans la voiture.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Nombreuses sont nos addictions, des plus douces aux plus terribles, des plaisirs coupables aux mauvaises habitudes...

Ravard se saisit de saynètes du quotidien pour rire de nos vices les plus tenaces, avec son cynisme et son regard narquois, et met son aquarelle au service d'une poésie délicieusement drôle.

Les sources

Quelle violence dans ce petit livre ! Alors que ces sources ne semblent que survoler la campagnes, tout le talent de Marie-Hélène Lafon nous embarque pudiquement dans un cauchemar rural, bien loin des yeux.

C'est un dimanche ordinaire dans la vie ordinaire et pas foutue des gens normaux qui n'ont pas peur tout le temps. Ces mots lui montent à la gorge, exactement dans cet ordre. Elle pense aussi aux deux fils de la Marissou. Elle s'appuie contre le buffet, elle se sent soulevée, elle a le vertige mais quand sa mère entre dans la salle à manger, elle commence à parler; elle parle ; ça ne dure pas longtemps parce qu'elle raconte le pire tout de suite, sans pleurer, elle montre aussi les bleus, les traces, sous la jupe; elle dit que là-haut elle ne peut rien empêcher, les enfants ont peur et elle a peur pour eux, main-tenant ils grandissent et comprennent tout, ils voient tout. Sa mère a refermé la porte et reste debout ; elles sont seules dans la salle à manger. Elle dit que c'est fini, qu'elle ne remontera pas, plus jamais.
Les sources de Marie-Hélène Lafon
Une histoire désespérante comme tant d’autre, d’une tristesse désolante. Une femme qui subit la violence dans une ferme isolée. Et trois enfants !

Un livre dans l’attente de la goutte qui fera déborder la source

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Il dort sur le banc. Elle ne bouge pas, son corps est vissé sur la chaise, les filles et Gilles sont dans la cour. Ils sont sortis aussitôt après avoir mangé, ils savent qu'il ne faut pas faire de bruit quand il dort sur le banc. Claire a refermé derrière elle les deux portes, celle de la cuisine et celle du couloir. La table n'est pas débarrassée, elle s'en occupera plus tard, quand il aura fini la sieste.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
La cour est vide. La maison est fermée. Claire sait où est la clef, sous une ardoise, derrière l'érable, mais elle n'entre pas dans la maison. Elle n'y entrera plus. Elle serait venue même sous la pluie, même si l'après-midi avait été battue de vent froid et mouillé comme c'est parfois le cas aux approches de la Toussaint, mais elle a de la chance ; elle pense exactement ça, qu'elle a de la chance avec la lumière d'octobre, la cour de la maison, l'érable, la balançoire, et le feulement de la Santoire qui monte jusqu'à elle dans l'air chaud et bleu. Années 1960. Isabelle, Claire et Gilles vivent dans la vallée de la Santoire, avec la mère et le père. La ferme est isolée de tous.

Willibald

Il y a des livres où, même à la dernière page tournée, on se demande encore si l’histoire est vraie. Un peu, beaucoup… ? Qu’importe.

Les doigts de Willibald travaillent patiemment. Un petit tas de clous se forme à côté de son genou droit. Il se lève, fait le tour de la toile, assouplit les plis du tissu criblé de trous. Désolidariser le Sacrifice du cadre en bois.
Plier une peinture est un sacrilège. Plier une toile signifie en abîmer les multiples couches qui la recouvrent: enduits, peinture, vernis. C'est une blessure profonde qui demande chirurgie, une cicatrice indélébile. Willibald ne l'ignore pas et pourtant il n'hésite pas. Combien de plis pour placer Le Sacrifice dans sa valise ? Quelle nécessité le pousse à un tel geste, alors que sa vie est en danger ?
Willibald de Gabriella Zalapì
L’histoire d’un aïeul juif, collectionneur d’art à Vienne fuyant l’Anschluss avec le tableau d’un élève de Rembrandt, « Le sacrifice d’Abraham ».
Une histoire de famille comme elles le sont toutes, avec des joies et des souffrances, des richesses, des douleurs et des non-dits qui laissent un voile de mystère auréoler les fables pour les enfants.

Un roman fascinant entre Vienne, le Brésil et Genève autour de deux personnages : Willibald et son tableau

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
La salle est surchauffée. Une voix d'homme annonce « Lot numéro 467 ». C'est leur lot. Silence. Elle ne voit pas les mains discrètes qui font grimper les prix. Les visages restent impassibles. Quand le marteau du commissaire-priseur frappe, cela produit un bruit sec, clac. C'est dans l'autorité de ce « clac-adjugé » que Mara réalise l'aspect définitif de la situation.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Depuis l’adolescence Mara est habitée par un tableau suspendu dans le salon de son H.L.M. Willibald, qui a acheté cette toile dans les années 1920, la hante toute autant. Lorsqu’il fuit Vienne en 1938, il n’emporte que ce Sacrifice d’Abraham, soigneusement plié dans sa valise. Entrepreneur et collectionneur juif, il refait sa vie au Brésil, loin des siens. Lors d’un séjour en Toscane chez sa mère Antonia, Mara déchiffre les lettres de Willibald qu’elle retrouve dans un hangar. Elle observe les photos, assaille de questions Antonia, « qui sait mais ne sait pas ».

Ultramarins

Un navire marchand, une commandante et vingt (ou vingt et un ?) marins qui font halte au beau milieu de l’Atlantique pour piquer une tête dans les eaux abyssales. Et alors…

Quand dans ce dîner, après quatre jours de pleine mer, le second se penche vers elle et, avec une candeur qu'elle ne lui connaît pas, demande: on pourrait, hein, sans blague, couper les moteurs, descendre les canots, s'offrir une petite baignade ? une voix sortie d'elle dit sans réfléchir: « D'accord. » Répète : « D'accord. » 
Un court silence suit, bien sûr, et puis un grand rire incrédule.
Ultramarins de Mariette Navarro
L’histoire d’un dérèglement, léger, presque imperceptible, juste un doute, un sentiment… une brume qui grossit.

Une intrigante histoire de bateau qui navigue entre gothique, fantastique et introspection des âmes marines

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Dans le geste connu, le geste de travail, dans le geste refait chaque jour, un espace s'est glissé. Un tout petit espace blanc inexistant jusqu'alors, une seconde suspendue. Et dans la seconde suspendue, la seconde imprécise, toute la suite de la vie s'est engouffrée, a pris ses aises, a déroulé ses conséquences.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Ils commencent par là. Par la suspension. Ils mettent, pour la toute première fois, les deux pieds dans l’océan. Ils s’y glissent. A des milliers de kilomètres de toute plage.»

A bord d’un cargo de marchandises qui traverse l’Atlantique, l’équipage décide un jour, d’un commun accord, de s’offrir une baignade en pleine mer, brèche clandestine dans le cours des choses. De cette baignade, à laquelle seule la commandante ne participe pas, naît un vertige qui contamine la suite du voyage. Le bateau n’est-il pas en train de prendre son indépendance ?

Ultramarins sacre l’irruption du mystère dans la routine et l’ivresse de la dérive.

De mon plein gré

Un court roman sur une déposition dans un commissariat suite à crime. Enfin… c’est confus. Un récit qui part dans tous les sens, chaotique, répétitif, digressif et parfois incohérent à l’instar de l’inévitable confusion suite à une telle agression et à un état de choc post-traumatique.

L'inspection terminée, nous repartons. Assise à l'arrière de la voiture, en dessous du gyrophare en marche, je repense aux deux moutons que j'adore dans le champ près de chez ma grand-mère. Quand elle apprendra ce que j'ai fait, à quel point ça a mal tourné pour la petite orpheline ; c'était prévisible, mais pas à ce point, un crime, c'est quelque chose quand même. Quand elle apprendra ce que j'ai fait, elle aura honte de moi. Et les moutons aussi.
De mon plein gré de Mathilde Forget
Une très brève lecture, difficile et parfois même désagréable. Mais tous les livres n’ont pas vocation à être faciles !

Un livre qui révolte deux fois. Lorsqu’on comprend et quand on réalise

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Je me suis livrée à la police moi-même. J'essaye d'enlever la crasse coincée sous mes ongles mais c'est compliqué. Il en reste toujours un peu. Il me faudrait une fine lame comme la pointe de mes ciseaux en acier, ceux rangés avec ma brosse à dents sur l'évier de ma salle de bains. Mes ongles sont suffisamment longs pour se salir mais trop courts pour m'aider à racler cette terre. Il faudrait que je me lave les mains.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Elle a passé la nuit avec un homme et est venue se présenter à la police. Alors ce dimanche matin, au deuxième étage du commissariat, une enquête est en cours. L’haleine encore vive de trop de rhum coca, elle est interrogée par le Major, bourru et bienveillant, puis par Jeanne, aux avant-bras tatoués, et enfin par Carole qui vapote et humilie son collègue sans discontinuer.

Elle est expertisée psychologiquement, ses empreintes sont relevées, un avocat prépare déjà sa défense, ses amis lui tournent le dos, alors elle ne sait plus exactement. S’est-elle livrée à la police elle-même après avoir commis l’irréparable, cette nuit-là ?

Inspiré de l’histoire de l’auteure, De mon plein gré est bref, haletant, vibrant au rythme d’une ritournelle de questions qui semblent autant d’accusations. Mathilde Forget dessine l’ambiguïté des mots, des situations et du regard social sur les agressions sexuelles à travers un objet littéraire étonnant, d’une grâce presque ludique. Il se lit comme une enquête et dévoile peu à peu la violence inouïe du drame et de la suspicion qui plane très souvent sur sa victime.

J’ai péché, péché dans le plaisir

S’il m’a été difficile de rentrer dans ce livre (principalement à cause de mon ignorance – et de mon peu de goût pour la poésie), il m’a bouleversé !

En mesurant la distance entre elle et Marie, Forough saisit l'injustice de sa relation au père. Nous guérissons en acceptant l'inéluctable. Peut-être qu'il est déjà trop tard pour Forough. En guérissant de son père, elle aurait encore dû se consoler de sa mère, de ses frères et sœurs, de la société, des intellectuels, de l'Iran. Mais peut-on seulement guérir de son pays natal ?
J’ai péché, péché dans le plaisir de Abnousse Shalmani
Une biographie croisée qui suit Forough Farrokhzad et Marie de Régnier, vies de passions, de poésie et de liberté.

Mais la liberté est dangereuse.

Merci Abnousse Shalmani. Forough, Marie et Cyrus, je vous ai aimé

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Téhéran, avril 1956
Seul un regard peut enhardir un timide. Celui intense de Forough enflamme instantanément le jeune homme planqué derrière la mince rangée de lecteurs, cigarettes en main, journaux en guise d'éventails sous la chaleur printanière de Téhéran, qui se poussent du coude pour attirer le regard de la poète. Forough, craintive, regarde justement au-delà des volutes de fumée et des initiés qui se regroupent dans l'arrière-salle d'une librairie, pour écouter la poète qui, paraît-il, révolutionne la poésie classique et assume le scandale d'une vie libre, et elle se fixe sur le timide se ratatinant sur son siège, comme sur une échappatoire, un horizon. Il prend ce regard pour lui et se sent capable, se promet-il, de lui adresser la parole - c'est la première fois qu'elle le regarde.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Téhéran, 1955. A la suite d’une lecture de ses poèmes, le regard de Forough Farrokhzad (1934-1967), égérie des milieux littéraires iraniens qui n’a que vingt ans, est accroché par celui d’un jeune homme. Elle s’apprête à repousser les avances de Cyrus, ou la Tortue, comme elle le surnomme, et ignore qu’il va bouleverser son existence. Erudit, francophile, Cyrus lui traduit en persan les poèmes de Pierre Louÿs tout en lui racontant la vie du poète et celle de son grand amour, Marie de Régnier.

A travers celle de Marie, Forough entrevoit la vie dont elle aurait rêvé. Grâcieuse, intelligente, perverse, la fille du grand poète José-Maria de Heredia est une des reines de la très libre Belle Epoque, tout Paris se l’arrache. Elle collectionne amants et maîtresses, publie sans cesse et s’amuse dans les salons les plus prestigieux. La poétesse iranienne, elle, mariée à 16 ans à un artiste sans fantaisie, est bridée par sa famille, son militaire de père et les mœurs de son pays. Tout le monde s’épie, tout se sait. Mais Forough ne sait qu’être libre et provoque scandale sur scandale au fil de la parution de ses recueils. Elle célèbre la chair, la vie, l’émancipation et ne se renie pas. Toute son existence, Forough cheminera avec l’histoire de Marie de Régnier et de Pierre Louÿs au cœur, au point de venir à Paris avec Cyrus, sur les traces des deux amants et de leur cohorte d’amis, Claude Debussy, Marcel Proust, Léon Blum, Liane de Pougy et Nathalie Clifford-Barney. Sa mort tragique, à 32 ans, mettra un terme à son œuvre d’une immense intensité, qui en fait sans aucun doute la plus grande poétesse de l’Iran contemporain.

Dans ce roman puissant et subtil, au rythme effréné, Abnousse Shalmani met en regard les vies extraordinaires de ces deux écrivaines qui firent toujours le choix de la passion, amoureuse, poétique ou purement sensuelle, au risque de s’en brûler les doigts. Une ode très contemporaine à la liberté artistique et à celles qui ne renoncent jamais, en Occident comme en Orient.

Patronyme

Peut-on tout écrire impunément sur les gens ? À priori, il me semblerait plutôt que non. Enfin… s’ils sont morts, et en plus de la famille, c’est plus simple. Pour autant ?

Dans ce sinistre appartement où mon père a fini ses jours, je découvre aussi tout un pan ignoré de son existence. Face à cette intimité dévoilée, je me sens un peu comme une voyeuse. Ai-je le droit de profaner ses secrets ?
Patronyme de Vanessa Springora
Autant le consentement m’avait semblé légitime et important (en plus d’être brillant) ; autant ici… la démarche ne me semble guère utile, voir même franchement irrespectueuse. Que sa relation avec son père ait été difficile, qu’il ait été un sombre mytho colérique ou que sais-je… Avait-elle le droit de révéler son homosexualité qu’il avait toujours pris soin de cacher ?
Les écrivains sont des ogres.Ça te ferait quoi, au juste, d'être la petite-fille d'un criminel nazi ? me demande une amie. Est-ce que ça mettrait enfin des mots sur la honte qui a écrasé ton père, sur ta propre illégitimité à exister, à te « faire un nom » ?Reste une enquête plutôt passionnante sur son grand-père et son rôle durant la seconde guère mondiale qui laisse quand-même la porte ouverte à bien des interprétations

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Il m'est plus facile de te le dire, maintenant que tu es mort : tu as toujours été pour moi un personnage intrigant. Toute ta vie, tu as tenté d'être quelqu'un, tu t'es inventé de multiples personnalités, une aura et une légende aussi fictives que l'était l'histoire de notre nom de famille. Tu es mort seul sur ton vieux canapé élimé, et tu ne m'as laissé qu'un mystère, ce champ de ruines qu'a été ta vie.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Un nom sans passé ni mémoire, un nom fantôme, en quelque sorte, c'était inhabituel. Mais peut-être avait-il tout de même une histoire ? »

Quelques jours après la sortie de son premier livre, Vanessa Springora apprend la disparition brutale de son père. En vidant son appartement, elle y découvre deux photos de son grand-père paternel qui la plongent dans la sidération. C'est le début d'une traque obsessionnelle pour comprendre qui était réellement cet homme pris dans la tragédie des deux totalitarismes du XXe siècle.

Questionnant le roman de ses origines et la mythologie des figures masculines de son enfance, l'autrice nous entraîne dans une enquête kaléidoscopique où se réfléchissent tour à tour légendes familiales, récit intime et sources documentaires, fiction et témoignages, petite et grande Histoire.

À travers l'aventure de son patronyme se révèlent l'héritage d'un passé enfoui et les effets dévastateurs du non-dit.

Strega

À la fin de cette lecture, j’ai vraiment regretté de ne pas savoir lire le suédois afin de pouvoir comparer la géniale traduction (de Catherine Renaud) à son original. Car il est de plus en plus rare de lire un texte avec une telle débauche de passé simple et de telles constructions de chapitres qui donnent à ce livre son style tellement baroque – voir gothique.

CHAQUE NUIT, JE PENSAIS À MON MEURTRIER.
Je m'imaginais une rangée de belles femmes. Derrière elles, une rangée de femmes laides. Derrière elles, les femmes stupides, les femmes intelligentes, les femmes aux joues épaisses. Je voyais des femmes dégoûtantes, des femmes vieilles, des femmes aux mains vides, sans bague. J'étais sûre qu'un meurtrier nous attendait toutes. Je le dessinais dans son costume marron et sa chemise à carreaux. Je le faisais apparaître. J'avais toujours pensé que je ferais un beau cadavre.
Strega de Johanne Lykke Holm
Une histoire de jeunes filles envoyées dans un hôtel pour qu’elles y apprennent à devenir de bonnes épouses. Un hôtel vide, où rien ne se passe… vraiment pas grand-chose.L'hôtel n'était plus un hôtel, mais une machine à détruire. Des mesures disciplinaires plus ou moins brutales étaient mises en place partout. Les fenêtres se rétrécissaient alors que les lits devenaient de plus en plus durs et finirent surtout par ressembler à des sarcophages. Chaque jour était une représentation horrifique où plusieurs fantômes semblaient faire des entrées et des sorties, comme des poupées mécaniques. Nos mains rassemblaient nos cheveux en un chignon de plus en plus serré. Nos mains attrapaient les cigarettes. Nous nous placions automatiquement dans des formations rituelles. Nous voyions nos corps faire des choses contre notre volonté.
Je regardais autour de moi. Des employées d'hôtel anonymes qui se disciplinaient elles-mêmes. De petites coupures régulières et de l'eau bouillante. C'était insupportable, mais nous le supportions.Jusqu’à ce que l’une d’entre-elle disparaisse. Et même là…

Un livre impressionnant de style, hypnotique et envoûtant dans lequel tout semble rester figé hors du temps

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Je me contemplai dans le miroir. J'y reconnus une femme jeune, mais déchue. Je me penchai pour presser ma bouche contre le miroir. La buée se diffusa sur le verre comme de la vapeur dans une pièce où quelqu'un avait dormi aussi profondément qu'un mort. Derrière moi, la pièce se reflétait. Sur le lit se trouvaient des épingles à cheveux, des somnifères et des culottes en coton. Sur le drap, il y avait des taches de lait et de sang. Je pensai : si quelqu'un prenait une photo de ce lit, toute personne sensée se dirait qu'il s'agit de la reconstitution du meurtre d'une petite fille ou d'un enlèvement particulièrement brutal. Je savais que la vie d'une femme pouvait se transformer à tout moment en scène de crime. Je n'avais pas encore compris que je vivais déjà dans cette scène de crime, que la scène de crime n'était pas le lit mais mon corps, que le crime avait déjà eu lieu.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Strega est un village dans la montagne que borde un lac noir. Neuf femmes de dix-neuf ans empruntent le téléphérique qui rejoint l’Hôtel Olympic. Filles de mères travailleuses et de pères invisibles, elles ont été envoyées là par leurs parents pour apprendre à devenir des femmes au foyer, en se formant au service de clients qui ne viennent jamais. Le temps s’étire, une sororité résistante s’installe comme un rêve dans le luxe des salles vides. Liqueurs et cigarettes accompagnent l’indolence de ces jeunes rebelles qui vivent dans la lumière brillante du grand parc de l’hôtel. Puis l’une d’elle disparaît. Elle a été assassinée, toutes le pressentent, car depuis l’enfance, elles le savent, la vie d’une femme peut se transformer à tout moment en scène de crime.
Dans un style exceptionnel, d’un onirisme sensuel à mi-chemin entre l’univers de Zelda Fitzgerald et le cinéma de Sofia Coppola, Strega raconte l’histoire, empreinte de lait et de sang, de neuf femmes aux prises avec un maléfice insaisissable.

Paul

Ce roman biographique semble dès le début, dirigé vers sa fin : la folie, la maladie et la mort. Et les nombreux retours dans la vie de Paul Gauguin ne témoignent que de l’inéluctabilité de sa piteuse extrémité.

Il eut un sourire de pitié, son sexe se dressait de nouveau. Il le prit à deux mains et se mit à le malaxer.
— C'est ça, la vraie transfiguration. Quand des deux têtes que possède l'homme, celle d'en bas l'emporte de loin sur celle d'en haut. Je me sens maintenant plus vivant que jamais. Ah, cette fougue, je ne peux pas y renoncer, et je ne compte pas le faire ; elle me survivra certainement !
Paul de Zoé Valdés
Une vie consacrée à la peinture rongée par l’alcool, les problèmes d’argent, la maladie et la douleur.

La biographie de Gauguin est foisonnante, ses rencontres avec Pissaro ou van Gogh, ses voyages et sa mort aux marquises, sa femme et les très jeunes marquisiennes… Zoé Valdés en tire un sombre portrait, aux couleurs des hallucinations d’un alcoolique délirant au seuil de la mort

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Son auriculaire fut pris de tressautements, sa main se mit à trembloter toute seule, à un rythme effréné ; ses doigts n'avaient plus désormais l'assurance et la précision d'autrefois. Il gagna péniblement le centre de la pièce.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Il n'allait plus guère tarder à claquer comme un chien. Tout seul. La petite Chinoise n'était pas revenue lui apporter la soupe cuisinée par son père. Ou peut-être ne l'avait-il pas vue, en proie à ses accès de douleur et de delirium tremens. Il connut la faim, certes, mais sa peinture s'éclaircissait, elle respirait mieux. Une peinture qui respire est la plus grande réussite d'un peintre, car elle porte la vie ; il lui insuffle sa vie, sa respiration, les battements de son cœur, ses palpitations heureuses et ses craintes les plus profondes. »

Accablé par la maladie, sur une île paradisiaque de la Polynésie française, Paul Gauguin affronte les fantômes de son passé. Fiévreux et délirant, il se souvient de sa vie bourgeoise de financier avant que la peinture, devenue pour lui une passion, le pousse à tout quitter. Ce roman crépusculaire met en scène l'artiste en proie à ses ultimes visions et à ses derniers désirs.

Zoé Valdés livre ici « son » Paul, rhapsodie intime où les voix du passé se mêlent, comme des litanies. L'écrivaine fait la part belle aux corps, aux sens, à l'intime, et poursuit sa réflexion autour de l'amour, la mort, l'exil, la création et bien sûr la transgression, autant de thèmes qui nourrissent son œuvre.