L’escalier de fer

Ce roman dur annonce une fin fort prévisible et pourtant, Simenon arrive encore à en faire une fin remarquable. Mais ni par un twist invraisemblable, ou un grandiose retournement de situation. Non ! Juste une fin misérable à la hauteur du protagoniste.

Peut-être, sans la phrase de la concierge, cela se serait-il passé autrement. Cette phrase-là ne lui était jamais sortie de la mémoire et l'avait hanté pendant les trois jours qu'il avait passés dans son lit, après le jeudi que Louise avait emmené Mariette dans sa chambre et que les deux femmes étaient restées long-temps à chuchoter. S'il avait décidé de vivre, c'était probablement à cause de l'image qu'évoquaient les mots entendus jadis par la fenêtre ouverte.
 ─ Quand on l'a mis dans son cercueil, il ne pesait pas plus qu'un enfant de dix ans.
Il ne pouvait s'empêcher de voir Guillaume Gatin, avec son chapeau sur la tête, son demi-saison beige et ses moustaches, réduit à la taille et au poids d'un gamin de dix ans. Car, dans son esprit, il lui diminuait la taille aussi.
L’escalier de fer de Georges Simenon
Un livre sans grand éclat ni suspense, juste un couple dans un magasin avec, au fond, un escalier de fer qui monte à l’appartement. Un homme incapable de réagir et une femme… comment dire ? Superbe d’amoralité

Le 78e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
La première note fut écrite au crayon, sur une feuille de bloc-notes de la grandeur d'une carte postale. Il ne crut pas devoir mettre la date complète.
« Mardi. Crise à 2 h 50. Durée 35 minutes. Colique.
Mangé purée de pommes de terre au déjeuner. »
Il fit suivre le mot déjeuner du signe moins, qu'il entoura d'un cercle, et, dans son esprit, cela voulait dire que sa femme n'avait pas pris de purée. Il y avait des années que, par crainte d'engraisser, elle évitait les féculents.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Etienne Lomel ressent depuis quelque temps de vives douleurs à l'estomac, sans qu'on puisse déterminer chez lui une maladie. Il a peur. Sa femme Louise a été mariée une première fois et Etienne était son amant avant que le mari meure. Etienne, au début de son mariage, a entendu par inadvertance une phrase de la concierge disant que Guillaume, lors de sa mort, était devenu si maigre qu'il ne pesait pas plus lourd qu'un enfant de dix ans.

Khomeiny, Sade et moi

Après avoir fui avec ses parents une théocratie autoritaire et misogyne, Abnousse Shalmani se retrouve face aux voiles dans son pays d’accueil, à Paris, en même temps qu’elle y découvre Sade.

J'ai vingt ans. J'ai vingt ans et j'ai déjà connu l'amour avec Louÿs et j'ai découvert combien le sexe pouvait être révolutionnaire avec Sade. J'ai vingt ans et je sais que je vis les plus belles années de ma vie. Il me suffit de penser à Sade, il me suffit de penser au dialogue de Madame de Saint-Ange et d'Eugénie pour savoir que rien n'est perdu. Il me suffit de penser à Juliette pour savoir que la femme a un étendard et qu'elle le porte bien haut. Un jour, Sade sera la seule arme disponible pour casser les ténèbres. La violence de Sade n'est pas violente, elle est née de l'imagination et de la foi. La foi dans l'homme devenu le centre de la pensée et non plus le pantin d'hommes cachés derrière Dieu. Ce qui est violence, ce sont les attentats successifs contre le corps féminin à travers le monde. La violence c'est exciser des petites filles qui aiment la chair et des grandes filles qui aiment la bite. La violence, c'est d'interdire à une petite fille d'apprendre à lire et à une jeune fille de choisir qui elle veut mettre dans son lit. La violence, c'est ce que les barbus font subir aux esprits en les broyant. Un jour, comme la Révolution française a mis ses barbus à la porte, d'autres révolutions éclateront qui réduiront les barbus au silence et célébreront la parole des Hommes.
Khomeiny, Sade et moi de Abnousse Shalmani
Avec cette biographie (ou ce manifeste), elle dénonce la mainmise des religieux sur le corps de femmes.

Et c’est plein de fougue, d’amour et de colère. Ça part dans tous les sens, la famille, les barbus, les corbeaux, l’érotisme et le corps de femmes. C’est plein d’érudition et de politique, c’est anticlérical et porté par la France des lettres et des Lumières.

Magnifique ! Mais depuis sa parution en 2014, les extrémismes religieux continuent de gagner du terrain… Une lecture qui reste tristement d’actualité

« Je désirerais qu’on fût libre de se rire ou de se moquer de tous ; que des hommes, réunis dans un temple quelconque pour invoquer l’Éternel à leur guise, fussent vus comme des comédiens sur un théâtre, au jeu desquels il est permis à chacun d’aller rire. Si vous ne voyez pas les religions sous ce rapport, elles reprendront le sérieux qui les rend importantes (…).
Je ne saurais donc trop le répéter : plus de dieux, Français, plus de dieux, si vous ne voulez pas que leur funeste empire vous replonge bientôt dans toutes les horreurs du despotisme ; mais ce n’est qu’en vous en moquant que vous les détruirez ; tous les dangers qu’ils traînent à leur suite renaîtront aussitôt en foule si vous y mettez de l’humeur ou de l’importance. Ne renversez point leurs idoles en colère : pulvérisez-les en jouant, et l’opinion tombera d’elle-même. »
Donatien Alphonse François de Sade, Français, encore un effort si vous voulez être républicain, in La Philosophie dans le boudoir

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Téhéran, 1983
Si la petite fille que j'étais a éprouvé le désir de se mettre nue dans l'enceinte de son école, ce n'était pas à cause des fortes chaleurs. C'était par provocation. Provocation du même ordre que de jouer à saute-mouton dans la salle de prière de la mosquée de l'école.
C'était physique.
Je ne veux pas porter ce truc ! En plus c'est moche. Non !


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
A Téhéran, dans les années 1980, une petite fille de six ans, contrainte de porter le voile, se révolte en se dénudant. Se soumettre aux exigences des « barbus » et autres « corbeaux » lui paraît absurde. Son père l’approuve et, afin de fuir brimades et contraintes, la famille va s’exiler à Paris. Abnousse Shalmani découvre alors que la liberté n’est pas celle qu’elle aurait souhaitée. Sa révolte n’est donc pas finie. Mais cette fois, c’est la littérature française qui va lui fournir des armes. La petite fille, devenue femme, va faire de Sade, de Victor Hugo et de Colette (entre autres) des appuis précieux dans son combat contre l’oppression en général et celle du corps féminin en particulier.
Joyeux pamphlet, ce récit alterne les anecdotes intimes et les événements socio-politiques avec humour et enthousiasme.

Mon vrai nom est Elisabeth

En partant de son histoire familiale (d’où un possible parti pris qui n’enlève pas grand-chose au sordide), Adèle Yon peint l’écœurant tableau d’une époque que je croyais plus lointaine. Celle où des médecins apprentis-sorciers venaient triturer les cerveaux (majoritairement féminins) au pic à glace. Celle où l’on se débarrassait des encombrantes dans des asiles. Celle où la femme se devait d’être fertile, docile et ménagère.

Lorsque j'interroge les membres de ma famille sur la lobotomie de Betsy, leur réponse à tous est peu ou prou la même.
La lobotomie, c'est le fait qu'on lui a enlevé une partie du cerveau qui soi-disant ne fonctionnait pas.
C'est ce qu'on faisait à l'époque.
On pensait qu'en enlevant des morceaux ça allait... je ne sais pas... se régénérer... en mieux ?
Ils ont voulu enlever la partie défaillante, un peu comme un cancer.
Si la lobotomie a pour fonction de réguler les comportements divergents, pourquoi les journaux de l'époque diffusent-ils l'idée que la lobotomie est capable d'intervenir sur la cause de la maladie mentale ? Pourquoi ma famille a-t-elle majoritairement retenu l'idée que le neurochirurgien était en mesure d'ôter la folie comme un cancer, alors que son ambition était, comme ce qu'on appellera plus tard la lobotomie chimique (les médicaments), non pas de guérir mais de contenir ? Comment comprendre la pérennité de cette représentation de la lobotomie chez les descendants de Betsy soixante-dix ans après les faits ?
Mon vrai nom est Elisabeth de Adèle Yon
Une biographie familiale autour de Betsy qui a subit lobotomie, comas, électrochocs et qui fut finalement enfermée plus de 15 ans. Une enquête personnelle entre archives, souvenirs familiaux, interviews et visites durant laquelle les révélations tissent patiemment le portrait de la misogynie patriarcale d’alors enfouie sous les tabous et possiblement une certaine culpabilité.

Mais cette époque… c’est pas si loin ! C’est les années 50.

Une histoire qui rappelle évidement celle de Rosemary Kennedy lobotomisée par le fameux Walter Freeman ; mais aussi les questionnements autour de l’internement forcé de Camille Claudel

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Objet: Jean-Louis Important
Date: 4 janvier 2023 à 02:18:49
À: LA FILLE CADETTE
Quand tu liras ces mots, j'aurai fini mes jours après avoir basculé dans le vide depuis le balcon de l'appartement que j'ai loué au 7e étage.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Une chercheuse craignant de devenir folle mène une enquête pour tenter de rompre le silence qui entoure la maladie de son arrière-grand-mère Elisabeth, dite Betsy, diagnostiquée schizophrène dans les années 1950. La narratrice ne dispose, sur cette femme morte avant sa naissance, que de quelques légendes familiales dont les récits fluctuent. Une vieille dame coquette qui aimait nager, bonnet de bain en caoutchouc et saut façon grenouille, dans la piscine de la propriété de vacances. Une grand-mère avec une cavité de chaque côté du front qui accusait son petit-fils de la regarder nue à travers les murs. Une maison qui prend feu. Des grossesses non désirées. C'est à peu près tout. Les enfants d'Elisabeth ne parlent jamais de leur mère entre eux et ils n'en parlent pas à leurs enfants qui n'en parlent pas à leurs petits-enfants. « C'était un nom qu'on ne prononçait pas. Maman, c'était un non-sujet. Tu peux enregistrer ça. Maman, c'était un non-sujet. »

Mon vrai nom est Elisabeth est un premier livre poignant à la lisière de différents genres : l'enquête familiale, le récit de soi, le road-trip, l'essai. À travers la voix de la narratrice, les archives et les entretiens, se déploient différentes histoires, celles du poids de l'hérédité, des violences faites aux femmes, de la psychiatrie du XXe siècle, d'une famille nombreuse et bourgeoise renfermant son lot de secrets.

J'aime quand les archives perdent les pédales. Quand les mots ne rentrent plus dans les cases. Quand les registres et les voix s'entremêlent. C'est là qu'ils montrent leur vraie nature. Leur polyphonie. Leur artifice.

Badjens

La voix d’une toute jeune fille en Iran aujourd’hui. A seize ans, durant les révoltes qui suivirent la mort de Masha Amini, elle se souvient de son enfance, la place des hommes et celle des femmes, la religion, le voile…

Quand je pense à l'Iran, j'ai du mal à voir une femme, dotée d'un utérus et d'un hymen. Je m'imagine plutôt ce pays, qui a la forme naturelle d'un chat, pissant allègrement en dehors de sa litière. Non par esprit de provocation, mais par instinct de domination. Un mec hypocrite et poilu qu'un jour, peut-être, il faudra finir par castrer.
Je me suis toujours demandé si la cartographie ou encore la langue d'un pays avaient une influence sur sa sociologie.
En persan, ce n'est peut-être pas anodin, il n'y a ni masculin ni féminin.
Comme si les lettres mâles avaient endormi les femelles avec un coton d'éther.
Badjens de Delphine Minoui
Et cette voix, pleine de force et de candeur est puissante et magnifique. Pas encore résignée, elle se lève crânement, peine de toute son incompréhension face au régime, au sexisme, à l’hypocrisie religieuse et à la violence des hommes.

Un livre qui tire sa force de ce monstrueux décalage entre la voix d’une jeune fille qui découvre la joie de vivre face à la brutalité d’un système-régime-sexe qui piétine toute aspiration des femmes à la liberté

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Chiraz, 24 octobre 2022
T'entends leurs cris ?
Tu les entends t'applaudir alors que t'as encore rien fait ?
Froussarde ! T'es même pas cap.
Même pas capable de grimper sur la benne.
Autour de toi, les cris résonnent : « Boro dokhtaram ! », « Vas-y, ma fille ! »
En plein milieu de l'avenue Zand, les manifestants ont renversé une grosse poubelle en ferraille.
Elle te fait de l'œil.
Tu brûles d'envie de l'escalader.
Tu flippes.
Tu te revois. Petite et peureuse.
Invisible sous ce foulard obligatoire qui pend au bout de ton index transformé en potence.
Tu te revois et tu te dis : Je fais quoi, là ?


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Bad-jens : mot à mot, mauvais genre.
En persan de tous les jours : espiègle ou effrontée. »

Chiraz, automne 2022. Au coeur de la révolte « Femme, Vie, Liberté », une Iranienne de 16 ans escalade une benne à ordures, prête à brûler son foulard en public. Face aux encouragements de la foule, et tandis que la peur se dissipe peu à peu, le paysage intime de l'adolescente rebelle défile en flash-back : sa naissance indésirée, son père castrateur, son smartphone rempli de tubes frondeurs, ses copines, ses premières amours, son corps assoiffé de liberté, et ce code vestimentaire, fait d'un bout de tissu sur la tête, dont elle rêve de s'affranchir. Et si dans son surnom, Badjens, choisi dès sa naissance par sa mère, se trouvait le secret de son émancipation ? De cette transformation radicale, racontée sous forme de monologue intérieur, Delphine Minoui livre un bouleversant roman d'apprentissage où les mots claquent pour tisser un nouveau langage, à la fois tendre et irrévérencieux, à l'image de cette nouvelle génération en pleine ébullition.

Déshumaine

Ce livre commence comme nombre de romans français actuels : je parle de moi, je me mire et je m’introspecte. Je suis artiste, écorchée vive, ma souffrance est mon encre !
Mais Loulou Robert, à son habitude, va loin, plus loin encore et de façon bien sentie sans crainte du sang, des bleus et de la douleur.

Ma psy me dit sur l'écran de mon ordinateur qu'il faut que je réfléchisse à ce que je pourrais faire d'autre.
 ─ Pardon ?
 ─ D'autre qu'écrire. Imaginez que ça ne revienne pas.
 ─ Si l'écriture ne revient pas, une seule solution s'offre à moi: tuer quelqu'un. Moi ou un autre. Vous voulez vraiment que je réfléchisse ?
Elle ne trouve pas ça drôle.
 ─ Avant d'écrire, vous viviez bien, non ?
 ─ Non, j'étais en gestation. L'écriture m'a fait vivre. M'a fait ressentir toutes ces émotions.
 ─ Donc vous ne ressentez plus rien en ce moment ?
 ─ Je ressens de la violence.
 ─ Comment s'exprime cette violence ?
Déshumaine de Loulou Robert
Alors, viandards, passez votre chemin ! Ou non, ouvrez ce livre et prenez en plein les tripes. C’est jouissif. Pas sûr que cela vous fasse réfléchir, mais elle aura essayé.

Confrontée à la violence subie par les animaux Loulou Robert ne le supporte plus. Alors, prenez garde ! Elle et bébé-loup ne vous manqueront pas

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Je suis assise sur une chaise de jardin en bois dans ma cuisine, face à la fenêtre. Le soleil brille. Je coupe des courgettes en deux dans le sens de la longueur, puis en tronçons de six centimètres. Il faudrait que je mette un coussin sous mes fesses. Ma chienne Penny dort sous la table. Elle a la tête posée sur mon pied.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Alors je peux lui dire. Que je suis mariée, qu'à son âge j'étais folle et que je le suis toujours, que je pourrais tuer pour ma chienne, que je pourrais tuer, que j'ai toutes ces images en moi, que j'ai un monstre dans le ventre, un lapin dans la tête, dans une cage, sur un palier, que je suis pleine de colère, que je n'écris plus, que ça me tue à petit feu, que j'aime mon mari, que bientôt son roman va sortir en librairie, que je veux lui faire du mal, que je vais devoir rentrer pour promener Penny, que je suis morte, que je suis bonne à enfermer, que je l'ai déjà été, que j'aimerais qu'il me baise encore, que ça soit beau comme une danse, que je n'ai jamais parlé comme ça, que je veux qu'il me salisse, qu'il me griffe jusqu'au sang, que demain j'irai faire les courses aux halles, que je ne veux plus penser, juste ressentir, agir, comme un animal, que s'il veut partir, qu'il le fasse maintenant. »

La prose nerveuse et crue de Loulou Robert ainsi que son humour à vif disent en creux un monde d'où s'absente une humanité de moins en moins bienveillante. Un roman aussi puissant que troublant.

Et pour rentrer chez moi, je contourne l’ambassade de Chine

Il semblerait qu’Erida Bega sache tout faire ! Du violon, de la guitare, autrice, compositrice, interprète, shopping et… écrire. Et chaque fois avec talent !

Mon voisin de palier est parti comme une flèche, laissant derrière lui sa silhouette sportive. Footballeur, m'étais-je dit. Je n'avais encore jamais rencontré une pareille beauté. Le genre de perfection qui produit un doux hérissement des poils, bloque le souffle. D'un pas vif, il s'est éloigné rapidement de ma vue. J'ai eu l'image d'un paysage inaccessible où l'homme n'a pas encore construit de route. Je ne pouvais que rester sidérée devant une telle beauté, et l'envie de remplacer mon chignon par une robe m'a prise de court. Mes jambes maigrichonnes, écartées d'un bout à l'autre, laissant circuler les courants d'air, je les ai jugées sévèrement, et l'impatience de voir mes seins grossir fut subite.
Et pour rentrer chez moi, je contourne l’ambassade de Chine de Erida Bega
C’est tendre, doux, nostalgique et malicieux. Elle nous parle de l’enfance et de l’attachement. Mais aussi, fatalement, de cet instant où l’on quitte, on déménage, on émigre.

C’est l’enfance en Albanie, vue par les yeux d’une petite fille. Mais aussi de Genève, vue par les yeux d’une femme

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
À 19 h, ce jour-là
Souvent, je crains l'arrivée du soir. À 19 h, je ressens un creux à l'estomac. Certainement la faim. Je n'ai qu'une envie: partir du bureau vite, m'échapper. De l'air, de l'air ! Comme si j'avais retenu mon souffle la journée entière.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Le compte à rebours arrivait à son terme. Il fallait encore traverser le dernier jour dans des conditions supportables. J’avais vécu ce déménagement comme une milicienne dans des récits de guerre. Des sentiments homériques et audacieux bousculaient mon quotidien. J’imaginais ma grand-mère, jeune et belle, devant cette maudite grenade qui avait emporté sa jambe et sa jeunesse. Alors que je craignais les séquelles dans mon âme face au claquement définitif d’une simple porte.

Tirana, 1988. Alors qu’une jeune fille apprend que sa famille va déménager, c’est tout son équilibre qui vacille. Genève, trente ans plus tard, devenue femme, elle fait une rencontre impromptue à travers laquelle ressurgit l’Albanie communiste de son enfance. Un texte vif et frais, qui questionne avec malice le déracinement ainsi que le poids des souvenirs.

La pulpe et le jus

C’est l’été, il fait beau, trop chaud pour entreprendre quelque activité : ce livre est parfait pour cet instant ! Drôle et léger avec un petit questionnement malgré tout. De la douleur mais une fin qu’on ose espérer heureuse (et quand même assez prédictible).

Après quelques secondes, elle s'immobilise. Que lui importe le puéril orgueil d'avoir raison face à l'adénocarcinome... Ces mots proférés monotonement viennent tout de même de modifier le cours de son existence. Ils érigent un mur entre la possibilité du bonheur, avant, et le malheur inexorable d'après. Jusqu'ici, elle n'a pas réalisé sa chance. Pourtant, elle en a eu elle aussi. Sans la comprendre ni l'honorer. Avant, le cancer n'était pas. De la santé, qu'a-t-elle fait ? Depuis des années, la peur règne. Dommage et gâchis. L'avenir qu'elle entrevoit lui révèle son passé. Chaque jour précédant l'entrée dans ce bureau, elle a été heureuse.
Pour l'instant, les symptômes sont minimes..., continue Thévenot.
La pulpe et le jus de Laura Chomet
Avec ce feel-good à la sauce blanche (Gallimard), teinté de développement personnel aux parfums d’agrumes et de phobies à surmonter, Laura Chomet nous propose un divertissement sympathique teinté de téléréalité – bien amorale, comme il se doit !

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
L'envie se déclenche toujours entre le deuxième et le troisième étage, aux abords du ficus à moitié cané sur le palier de la famille croate. À peine la porte du studio claquée, Jenna relâche son sphincter urétral externe, tire la chasse d'eau, vide son manteau. Dans un saladier, elle dépose les yuzus et les combawas volés à La Pause de Sisyphe, le bistrot où elle travaille. Oranges et clémentines s'amoncellent déjà dans la cuisine, mais les petits nouveaux brillaient sous son nez, étranges et colorés. Elle n'a pas su résister ni simplement demander; elle en a rempli ses poches.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Vous êtes phobique, cela vous empêche de vivre, vous souhaitez changer ? Participez au tirage au sort de l’émission Les Nouveaux Guérisseurs. Pour la prochaine saison, il n’y aura qu’un seul élu. Comme Denis, il ne sera pas prévenu. »

Jenna, grande hypocondriaque et amatrice d’agrumes rares, dévore Les Nouveaux Guérisseurs, une émission de télé-réalité en caméra cachée qui prétend libérer les participants de leurs peurs en s’infiltrant dans leur quotidien. L’expérience de Denis, agoraphobe-star de la saison en cours, apporte à Jenna espoir et réconfort. Lorsque son médecin lui annonce une grave maladie, elle devine qu’il est de mèche avec les Guérisseurs et se réjouit d’être à son tour sélectionnée pour la saison suivante. D’ailleurs ce Gabriel, gastronome fraîchement rencontré, a tout l’air d’un appât lancé par la production. Pour guérir, Jenna doit-elle se fier au séduisant programme qu’il lui a concocté ?

Un premier roman à l’acidité tendre, féroce portrait de notre époque, plein d’invention et d’humour.

Superhôte

Dans un ping-pong plein d’émotions, deux femmes rejouent le drame. Entre douleur absolue et colère irréfrénable elles tentent de comprendre, de justifier, de trouver la ou les coupables.

Je me suis souvent demandé si les flatteries dont elle couvrait ma mère visaient à la féliciter ou à la ficeler. Les deux sans doute. J'y ai toujours vu une façon détournée de la maintenir sous pression, de la forcer à garder l'échine courbée, le front baissé et le regard fixé sur ses chiffonnettes, sa serpillière et son balai.
Superhôte de Amélie Cordonnier
Dans ce petit roman fort bien monté, Amélie Cordonnier laisse les protagonistes s’exprimer, sans jugement. C’est bien foutu et ça se lit d’une traite jusqu’à une fin apaisante… mais un peu mélo quand-même.

Un livre qui, en passant, rend justice aux femmes de ménage dans un magnifique portrait plein de sensibilité

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Immortalisée par Harcourt, dans un savant fondu de noir et blanc, une femme me double au carrefour. J'ai presque l'impression qu'elle me toise. Au centre de la publicité, que je photographie au moment où le bus 70 me dépasse, trône une phrase entre guillemets : « Je suis mise en lumière pour sortir mon métier de l'ombre. » Blondeur hollywoodienne, regard en coin, lèvres closes, Mélanie a l'air fier, voire un peu hautain, pour une fois, tant qu'à faire. Son prénom figure dans le coin gauche de l'affiche, juste au-dessus de sa fonction : employée de maison chez Shiva depuis dix ans. Employée de maison... Est-ce que le boulot passe mieux, est-ce qu'on a moins mal au dos et aux articulations grâce à cette expression ?


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Deux femmes, Camille et Anaïs, prennent tour à tour la parole. Camille est la fille de Sylvie, la femme de ménage qu'Anaïs emploie depuis quinze ans dans sa maison du Touquet. Maintenant qu'Anaïs la loue sur Airbnb, Sylvie s'épuise à tout nettoyer de fond en comble avant l'arrivée de chaque nouvel occupant.
La petite entreprise fonctionne jusqu'à ce jour des vacances de la Toussaint qui fait basculer leur vie et les sépare à jamais. Dévastée, Anaïs démonte un à un les mécanismes qui ont irrémédiablement conduit au drame dont elle tient Sylvie pour responsable. Révoltée, Camille refuse de voir sa mère injustement accusée.

Dans ce roman tendu et percutant, Amélie Cordonnier met en scène la dérive de nos vies où tout est à louer, la force de travail des uns, la maison des autres. Qui en paiera le prix ?

Les gestes

Après cette touchante lecture, je me suis dit qu’Amanda Sthers devait avoir une bien grande collection de petites histoires à raconter et qu’elle les avait regroupées ici. C’est en tous cas, une jolie réussite qui sent le réel, les voyages, le vécu et les émotions partagées.

Dans la voiture, papa ne parlait pas. Mon père s'inquiétait dans les moments trop heureux : le malheur rôdait dans les bruits de rires grelots, comme un vautour prêt à s'abattre au moindre signe de faiblesse. D'après lui, chaque bonheur se payait. Et dans les vies faites de grandes joies, il y avait des déchirures, des drames. Les destins choisissaient pour nous entre les contrastes dévastateurs et la vie tiède. Il appelait ça « la balance des chagrins ». Voilà pourquoi, quand il essuyait un revers professionnel ou subissait une peine d'amour, il se précipitait aux courses, persuadé qu'il ne pouvait que gagner le tiercé.
Les gestes de Amanda Sthers
Cette histoire de famille à destination d’un enfant à venir fait la part belle au père du narrateur, un homme fantasque au mille défauts et tellement attachant.

C’est d’ailleurs assez amusant que l’autrice de l’excellent De l’infidélité propose une si belle place dans son roman à un homme si volage et inconstant

Cet amour inconditionnel le bouleverse et le dégoûte tout à la fois. Il présente Jeanne à Florentine. Alors qu’Hippolyte raccompagne sa mère à un taxi et lui demande ce qu’elle a pensé de la jeune femme, elle lui dit, avec toute la subtilité cruelle dont elle était capable : « Tu vas la faire souffrir et elle risque d’aimer ça. »

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Camillo,
J'ai lu ton court dossier au centre d'adoption.
Tu ne sais rien de moi ni de ton autre papa, pourtant je te connais par cœur et je t'attends. Quand tu auras grandi, que tu tireras sur les fils du passé pour pouvoir t'accrocher à l'avenir, tu ouvriras ce livret. Tu y trouveras ce que je sais de l'histoire de ton grand-père Hippolyte, quelques lettres qu'il n'a pas postées, pas jetées non plus, comme s'il espérait qu'elles soient lues, des photos, la retranscription d'enregistrements qui datent de mon enfance et certains plus récents que je me suis amusé à faire à son insu avec mon téléphone portable. Je serai heureux de te les faire écouter si, un jour, tu souhaites entendre sa voix.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Il y a évidemment des secrets derrière ses secrets, des moments de mystère, de tristesse et de joie dans l’ombre des silences que certains entendront. Il est possible que mes souvenirs aient leurs fantaisies, mais j’ai fait de mon mieux pour lui rendre justice, pour exprimer ce que mon père m’a raconté comme ce qu’il a tu, les gestes que je vais te transmettre et ceux qu’il n’a pas faits. »

Alors que Marc s’apprête à adopter un enfant, son père meurt. Pour offrir à son fils un morceau de son histoire, il plonge dans la vie hors du commun d’Hippolyte, chauffeur de taxi exubérant devenu archéologue fantasque, et remonte aux histoires d’amour de ses parents et de ses grands-parents, procédant à une archéologie de l’intime.De l’Égypte à Paris en passant par la Grèce et l’Italie, Amanda Sthers compose une fresque familiale sur la transmission et l’origine, peuplée de personnages aux incroyables destins. Impossible de lâcher cette saga à l’écriture aussi poétique que ses héros.

L’automne est la dernière saison

Trois jeunes femmes à Téhéran, coincées entre tradition et rêves d’émancipation, promises à un avenir mariées à Téhéran ou libres ailleurs… une danse entre peurs et désirs.

 ─ On est des sortes de monstres, Shabaneh. On n'est plus du même monde que nos mères mais on n'est pas encore de celui de nos filles. Notre cœur penche vers le passé et notre esprit vers le futur. Le corps et l'esprit nous tirent chacun de son côté, on est écartelées. Si nous n'étions pas ces monstres, à l'heure qu'il est, on serait chacune chez soi à s'occuper de nos enfants. On leur consacrerait tout notre amour, nos projets, notre avenir, comme toutes les femmes ont toujours fait à travers l'histoire. On ne serait pas en train de poursuivre des chimères. Leyla aurait courbé l'échine comme les autres pour suivre son mari. Moi, je m'emmerderais pas avec l'argent, les emprunts, le boulot... Je resterais ici bien tranquille à mener ma petite vie. Toi, tu aurais un mari, des enfants, tu serais heureuse. Au lieu de servir de mère à Mahan, tu aurais tes propres enfants. Le week-end, on irait toutes les trois se faire une beauté.
L’automne est la dernière saison de Nasim Marashi
Trois tranches de vies d’amies d’université à l’heure des grands choix entre contraintes et espoirs, soutenues par leur amitié.

Une photographie de l’Iran aujourd’hui, un regard féminin dans des milieux plutôt aisés

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Je te cherchais, je courais. Sur le carrelage blanc glacial du hall de l'aéroport. Dans un silence de mille ans. À chaque foulée, ma respiration haletante bourdonnait à mes oreilles, de plus en plus fort, emplissant ma gorge d'amertume.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Leyla, Shabaneh et Rodja se sont rencontrées sur les bancs de l’université à Téhéran. Soudées par un lien indéfectible, elles s’efforcent, envers et contre tout, de mener une vie libre. Leyla s’est mariée avec Misagh et a débuté une carrière de journaliste. Shabaneh est habitée par ses lectures et les souvenirs de la guerre. Rodja vient d’être acceptée en doctorat à Toulouse – il ne lui manque plus que son visa. Mais cet équilibre fragile vacille quand Misagh part seul pour le Canada.

En un été et un automne, entre espoirs et déconvenues, toutes trois affrontent leurs contradictions. Suffit-il de partir pour être libre ?

L’automne est la dernière saison est le reflet sensible et bouleversant de la société iranienne d’aujourd’hui. Une histoire prodigieuse et universelle d’amour et d’amitié.