Les complices

Le hasard faisant, j’ai lu Les complices juste après Les demoiselles de Concarneau et j’ai eu la surprise d’y voir quasiment le même fait divers. En voiture, un homme provoque un accident mortel et prend la fuite. Il tue un enfant dans le précédent, tout un car d’enfants cette fois-ci.

Les complices de Georges Simenon
Mais il n’est pas question de sœurs étouffantes ici, c’est face à lui même que Lambert se retrouve. Lambert et la culpabilité qui commence à le prendre, l’enserrer et l’étouffer à mesure que l’enquête avance.

L’histoire d’un homme seul avec sa conscience face à son crime

Le 85e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Ce fut brutal, instantané. Et pourtant il resta sans étonnement et sans révolte comme s'il s'y attendait depuis toujours.
D'une seconde à l'autre, dès le moment où le klaxon se mit à hurler derrière lui, il sut que la catastrophe était inéluctable et que c'était sa faute.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Seule Edmonde, sa secrétaire, connaît le terrible secret qui ronge l'industriel Joseph Lambert. Elle était dans la voiture. Elles sait pourquoi Lambert, distrait, a laissé le véhicule rouler au milieu de la chaussée. Et quel drame atroce a résulté d'un moment d'égarement sensuel...
Elle ne dira rien. Quant à Joseph, c'est en vain qu'il cherchera le réconfort auprès de Nicole, sa femme, avec qui il n'a jamais eu de contact réel, ou de la facile Léa, sa maîtresse occasionnelle. Pas plus qu'à son frère, qui dirige avec lui...

Les demoiselles de Concarneau

Jules est heureux, à peu près, enfin… s’il ne se pose pas trop de questions. Certes ses sœurs l’écrasent un peu, mais c’est si confortable.

Jusqu’au jour où il renverse et tue un petit garçon qui traversait la route.

Quand Marthe apporta de la cuisine un plat odorant de homard, Céline, pour qui c'était déjà devenu une habitude, se tourna vers son frère et lui adressa un petit signe. Ou plutôt il n'y avait pas de signe à proprement parler. Elle n'avait qu'à le regarder d'une façon spéciale. Cela voulait dire :
 ─ Tu sais ce que le docteur a dit...
Il soupira. Que pouvait-il faire? Il resta sans manger, l'assiette vide, pendant que les autres se régalaient. C'était le second anniversaire du mariage de Marthe. Les deux sœurs et le frère avaient été invités à dîner dans le petit appartement du quai de l'Aiguillon et les Gloaguen avaient bien fait les choses : fleurs sur la nappe, quatre verres devant chaque couvert, bourgogne qui chambrait près du poêle, champagne sous le robinet de la cuisine... 
Émile était très animé et, bien qu'il n'y eût là que de la famille, il veillait à ce que tous les rites fussent suivis.
Les demoiselles de Concarneau de Georges Simenon
Une histoire de remords, de volonté maladroite de réparer et finalement… (on ne se refait pas) de soumission à ses sœurs.

L’histoire d’un homme ─ bien inconsistant ─ dans les tourments. Le drame d’un faible comme Simenon l’aime à raconter

Le 15e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Il y avait trop de tournants, et aussi de montées, des descentes, pas très longues, mais brutales.
Il y avait aussi et surtout la question des cinquante francs qu'il fallait résoudre coûte que coûte avant d'atteindre Concarneau.
Seulement voilà : Jules Guérec n'arrivait pas à penser, du moins à penser cinq minutes durant à la même chose. Des tas d'idées venaient le distraire, tandis qu'il restait immobile sur son siège, les mains au volant, le corps raidi, la tête en avant.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Mentir. Chaque jour. Être surveillé dans ses moindres faits et gestes. Avoir deux sœurs qui lisent dans vos pensées et comptent le moindre centime. Jules Guérec a quarante ans. Il est le frère qui subit. Celui qui cache ses désirs, ses passions. Jusqu'au jour où l'irréparable arrive. Un accident. Le drame. De ces enchaînements de circonstances qui mènent au tragique.

Roman de l'intime et de l'égoïsme, roman d'une ville vouée à la mer et au crachin, Les demoiselles de Concarneau est aussi le portrait d'une époque et d'un milieu, celui de la pêche, où l’œil de Simenon aura su, une nouvelle fois, voir tout ce que l'humanité aimerait tant cacher d'elle-même.

La fuite de Monsieur Monde

Qui n’a jamais rêvé, pris par la vie, la tête dans le guidon, le boulot, les factures… de tout plaquer et de partir en Ardèche pour élever des chèvres ?

Il ne s'était certes pas désincarné. Il était toujours M. Monde, ou Désiré, plutôt Désiré...
Non ! Peu importe... Il était un homme qui avait traîné longtemps sa condition d'homme sans en avoir conscience, comme d'autres traînent une maladie qu'ils ignorent. Il avait été un homme parmi les hommes et il s'était agité comme eux, poussant dans la cohue, tantôt mollement, tantôt avec acharnement, sans savoir où il allait.
Or voilà que, dans les rayons lunaires, il voyait soudain la vie autrement, comme à l'aide de prodigieux rayons X.
Tout ce qui comptait auparavant, toute l'enveloppe, la pulpe, la chair, n'existait plus, ni les faux-semblants, ni presque rien et ce qu'il y avait à la place...
La fuite de Monsieur Monde de Georges Simenon
Pour Monsieur Monde, ça lui est tombé dessus d’un coup, comme ça, il est passé à la banque et il a pris le train, laissant femme, enfants et entreprise prospère. Direction le Sud, Marseille. Et on verra bien.

L’histoire touchante et sensible d’un homme qui fuit avant de dépérir. Sa dernière chance

Le 52e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Il était cinq heures de l'après-midi, à peine un peu plus ─ une légère flexion de la grande aiguille vers la droite ─, quand, le 16 janvier, Mme Monde fit irruption, en même temps qu'un courant d'air glacé, dans la salle commune du commissariat de police.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
A quarante-huit ans, secrètement déçu par son existence, Norbert Monde décide de tout quitter, sa femme Thérèse, ses enfants, son entreprise d'exportation. Délibérément il choisit une vie errante, marginale et pauvre, qui le conduit bientôt dans un médiocre hôtel marseillais.
C'est là qu'il rencontre Julie, une jeune femme malheureuse qu'il empêchera de se suicider. De la façon la plus imprévue, Monsieur Monde va retrouver le chemin qui mène vers les autres, et vers son ancienne existence... Aucun roman n'est plus typique de l'univers de Georges Simenon, de sa fascination pour les existences en apparence les plus ternes, pour les décors en demi-teinte, pour les marges de la société.
Aucun de ses personnages n'est aussi singulier et mystérieux que ce Monsieur Monde, personnage ordinaire qui découvrira au fond de lui les voies d'une seconde naissance et d'une « froide sérénité ».

Le fils Cardinaud

La femme d’Hubert s’est tirée avec Mimille, un petit voyou, une sale bête. Mais Hubert, qui reste avec ses deux enfants, l’aime, même si ce n’est pas tout à fait réciproque. Il décide d’aller la récupérer.

Un peu plus tard, il descendait l'escalier de pierre et pénétrait dans le sous-sol où il avait passé son enfance. Sa mère, les genoux écartés sous le tablier bleu, écossait des petits pois. Il l'embrassa au front, comme d'habitude, fit partir le chat du fauteuil d'osier où il s'assit, et dit avec sérénité :
 ─ Marthe est partie avec Mimile... Le fils de Titine...
S'il s'était écouté, s'il n'avait craint, par un reste de superstition, de défier le sort, il aurait ajouté aussi naturellement :
 ─ Je vais la rechercher...
Et la ramener chez elle, où c'était sa place !
Le fils Cardinaud de Georges Simenon
Mais où sont-ils allés ?

Elle ne l’aimait pas, elle ne l’avait jamais aimé, elle ne l’aimerait jamais. Il le savait depuis toujours. Est-ce que cela importait ? Il l’aimait et c’était suffisant, il se contentait qu’elle fût sa femme, qu’elle vécût dans sa maison, qu’elle lui fît des enfants…
C’était tellement plus simple que ce que pensaient les gens !

Un fils Cardinaud touchant, et bien de son époque !

Le 45e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Il était porté, comme un bouchon l'est par le flot. Le corps droit, la tête haute, il regardait devant lui et ce qu'il voyait se mariait intimement à ce qu'il entendait, à ce qu'il sentait, à des souvenirs, à des pensées, à des projets.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Enfant déjà il savait qu'il ne serait ni ouvrier,ni artisan, ni commerçant, qu'il vivrait comme le premier clerc vu chaque dimanche à la messe, toujours correct, avec un rien de lenteur majestueuse. Le fils Cardinaud a tenu ses promesses. M. Mandine, l'assureur des Sables-d'Olonne, parle de lui comme son successeur. On le salue en ville. Jusqu'à ce que sa femme le quitte avec l'argent du ménage. Lui qui croyait être devenu quelqu'un est rappelé à sa condition de roturier. Le voile se déchire. Cardinaud découvre un monde de laideur où seule son intuition, comme son amour, pourra désormais le soutenir. Une seule certitude : il retrouvera sa femme.

Le clan des Ostendais

Alors qu’il a écrit des années 30 à 70, Simenon parle assez peu de la guerre, et ce, tant dans ses romans durs qu’avec Maigret. Ce clan des Ostandais, par contre, est en plein dedans, en pleine débâcle, même. Des familles de marins flamands fuyant la guerre qui arrivent en Belgique à bord de cinq bateaux. Coincés à la Rochelle, Simenon raconte leur cohabitation – difficile – avec les locaux et l’occupation allemande.

Comment s'arrangeaient-ils, là-dedans, on n'en savait rien. Il y eut quelques paysannes pour offrir leurs services :
 - Dank u... leur répondait-on plus sèchement.
Est-ce qu'ils avaient demandé à être là ? Avaient-ils sollicité la charité ? Ils s'en allaient tranquillement, par leurs propres moyens, pour fuir l'Allemand qu'ils avaient assez vu en 1914, et c'étaient les Français qui les empêchaient d'aller plus loin, parce qu'ils se croyaient plus malins que les autres, parce qu'ils s'imaginaient encore qu'ils al-laient arrêter la marée grise.
On ne se bat pas contre un mur et les règlements constituent le plus implacable des murs.
Le clan des Ostendais de Georges Simenon

Et comme presque toujours dans ses romans durs… une tension malsaine qui s’installe…

Un bon Simenon, plus socio que psychologique avec un personnage central tout en force tranquille

Le 56e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Comme une grosse mouche bleue bourdonne entre les murs blanchis à la chaux d'une cuisine vide, il n'y avait, dans les trois étages de bureaux déserts de la Préfecture, qu'un petit appareil noir, le téléphone, à vivre sa vie rageuse, à faire entendre sa sonnerie qui n'en finissait pas.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
En juin 1940, en pleine débâcle, alors que la bataille de France est déjà perdue et que les réfugiés se bousculent vers le sud, une flottille de cinq chalutiers venue des Pays-Bas arrive à La Rochelle.

A la tête de ces navires ayant bravé l'aviation et les mines allemandes se trouve Omer accompagné de ses fils. Ils ont mis meubles, femmes et enfants dans les cales et pris la mer en hommes libres qui ne céderont rien à l'occupant.

Leur place est sur la mer. Ils veulent travailler, ne parlent pas français et refusent la panique. Sans effort sinon celui d'être fidèles à eux-mêmes, mais avec un héroïsme certain, ces hommes vont résister. Ils en payeront le prix...

Le fond de la bouteille

Ce fond de la bouteille est très cinématographique et à sa lecture on imagine fort bien les canyons, la rivière en furie, l’ambiance moite rendue floue par l’alcool et la violence contenue de chaque instant.

 - Viens !
Il pousse une porte, une autre porte. Il traverse la chambre de Nora, toute bleue, la salle de bains de Nora, bleue aussi, et d'un luxe qu'on ne s'attendrait pas à trouver dans une vallée perdue de l'Arizona. Puis c'est chez lui, une chambre jaune et brune, avec une salle de bains jaune.
Il allume les lampes au fur et à mesure, ouvre un placard où pendent des complets.
 — Tu étais de la même taille que moi.
 — Je suis devenu un peu plus maigre.
Sans gêne, sans pudeur, comme quand ils étaient gamins, son frère retira sa chemise, découvrant une poitrine blanche, un torse puissant, bien musclé, que P. M. lui a toujours envié. Il laisse tomber son pantalon, son caleçon. Il est nu comme un ver.
Le fond de la bouteille de Georges Simenon
Pour autant, à sa lecture, le rythme m’a semblé lent, limite un peu poussif.

L’histoire de deux frères que tout sépare, contraints par des forces plus grandes qu’eux. Le fleuve et la famille

Le 66e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Il tenait son verre à la main et regardait vaguement le fond de whisky pâle qu'il contenait encore. On aurait dit - et c'était sans doute vrai - qu'il reculait le plaisir de boire la dernière gorgée. Quand il l'eut enfin avalée, il continua un bon moment a fixer le
verre. Il hésitait à le poser sur le comptoir, à le pousser un tout petit peu, de deux ou trois centimètres.
Bill, le barman, qui paraissait pourtant plongé dans une partie de dés avec des cow-boys, comprendrait le signal, car il était aux aguets: il était toujours aux aguets. surtout avec un client comme P.M.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Lorsque les pluies diluviennes de juillet viennent gonfler la rivière Santa Cruz, qui traverse la petite ville frontalière de Tumacacori, il devient impossible de passer de l'Arizona au Mexique.

Donald, évadé de prison, a mal choisi le moment pour se réfugier temporairement dans le ranch de son frère Patrick Ashbridge, dit "P.M.". Rien n'a jamais rapproché les deux hommes, si ce n'est un goût immodéré de l'alcool et un étrange dégoût de la vie. Mais Patrick est devenu un riche propriétaire et "deputy sheriff". Donald, le frère prodigue et séduisant, un criminel en fuite. Celui-ci doit passer le fleuve à tout prix.

Simenon a construit ce drame de la solitude et de l'amour fraternel comme un western tragique et sanglant. A l'image du désert illimité qui en est le décor, c'est un de ses romans les plus désespérés.

Au bout du rouleau

Il ne se passe pas grand chose ici, juste l’inéluctable et lamentable fin d’un jeune homme, un peu voyou, joueur, jaloux et violent… Après être allé trop loin.

Il connaissait la place du soleil dans cette pièce à toutes les heures de la journée.
Il aurait bien aimé vivre, pourtant, vivre n'importe comment. Garçon de café, par exemple, comme Raphaël. C'est un rêve qu'il avait fait souvent. Ranger la terrasse, le matin, après avoir descendu à la manivelle le vélum à rayures rouges. Allumer le percolateur. Passer les miroirs au blanc d'Espagne. Pourquoi cela lui semblait-il si plage de las miroir au blanc d'Espagne ? Et de passer le torchon, d'un geste de prestidigitateur, sur le marbre des tables ?
Et d'être aimable avec les clients, tout en n'en pensant pas moins d'eux...
Cela ne durerait pas. Voilà le malheur. Quoi qu'il fasse, cela ne durerait pas, et il recommencerait parce qu'il serait repris par ses fantômes. Cela débuterait sourdement, par de petites humiliations, par des regards en dessous, puis, un beau jour...
A quoi bon penser à tout cela, puisque c'était fini ?
Au bout du rouleau de Georges Simenon
En fuite en compagnie d’une jeune femme il ne saisira aucune occasion de s’en sortir, ne voyant là que rabaissement. Il mérite la peine qui le grandira et il boira le calice jusqu’à la lie.

Une sombre peinture des rapports humains avec bonne dose d’autoflagellation… souffrir et faire souffrir

Le 58e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
- Tu ne crois pas que tu bois un peu trop ?
Était-ce « trop » qu'elle avait dit ? Peut-être que non. Peut-être qu'elle s'était contentée de dire « beaucoup », parce que c'était une femme qui avait appris comment on parle aux hommes, à certains hommes en tout cas, et justement aux hommes dans le genre de Viau. Elle ne le disait pas sèchement, sur un ton de reproche, ou de mépris, comme les épouses qui ne savent pas s'y prendre. Elle ne le disait pas non plus avec des lèvres pâles qui frémissent, comme d'autres épouses ou maîtresses qui ont peur d'être battues.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Elle, entraîneuse dans une boîte de nuit, n'était pas faite pour cela : c'était une femme qui savait se taire comme personne. Lui, un flambeur, trichait aux cartes et n'était pas né pour cela non plus. Rapprochés par hasard, leurs destins resteront unis une semaine. Au bout du rouleau, il faut jouer franc et parler franc. Pour eux, il est déjà trop tard…

Long cours

Long cours est une plongée profonde dans les torpeurs de Mittel, rongé par la tuberculose et la jalousie. Un homme fidèle à l’ombre qu’il s’est forgée de lui-même, incapable de reprendre un nouveau souffle.

A présent, ils étaient une dizaine à venir plusieurs fois par jour, à s'accouder au comptoir, à passer quelques minutes en tête à tête avec Charlotte, qui avait pour tous le même sourire, le même rire vulgaire et sonore. Elle prenait son rôle au sérieux ! Elle se sentait désirée et elle devait se croire aussi puissante qu'une courtisane romantique.
Il la détestait, c'était sûr ! Il voulait la détester, mais il était incapable de partir.
 - C'est à cause du petit... se répétait-il.
En était-il si certain que ça ?
Et n'était-il pas pris dans la même glu que les autres ?
Elle n'était pas belle. La maternité, certes, n'avait pas déformé son corps, mais la moindre fille était plus désirable.
Alors, par quoi attirait-elle ? Elle n'était même pas intelligente! Et elle était méchante, vulgaire, avec le besoin inné de faire preuve de sa méchanceté et de sa vulgarité.
Car, à tout moment, elle éprouvait comme le vertige de la gaffe.
 - On ne rencontre ici que des gens qui ont un casier judiciaire, disait-elle par exemple à Tioti.
Celui-ci faisait semblant de rire, mais son rire manquait de sincérité.
Au docteur, elle lançait.
 - En somme, après vingt ans de colonies, tout le monde est parfaitement abruti ?
Long cours de Georges Simenon
Accroché à Charlotte qui doit fuir la France après avoir assassiné son patron poussée de vagues motivations anarchistes, ils se retrouvent sur le bateau de Mopps, qui s’occupera bien de Charlotte pendant que Mittel s’esquintera à la chaudière. Après l’or de la Colombie, Mittel et Charlotte retrouvent Mopps à Tahiti.

Dans ce Long cours, Simenon n’est pas plus tendre avec les colons – épaves alcooliques, qu’avec les principaux protagonistes, piégés dans leur propres filets, tous aussi malades et dysfonctionnels à leur façon.

Un très bon roman dur, glauque et oppressant où la jalousie tourne à la paranoïa

Le 17e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Une auto qui venait en sens inverse éclaira un instant la borne kilométrique et Joseph Mittel se pencha juste à temps pour lire : Forges-les-Eaux, 2 kilomètres.
Cela ne l'avançait guère, car il ne savait pas à quel endroit de la route Paris-Dieppe se situe cette ville.
Il se rassit sur le tonneau vide et s'accrocha de la main droite à un montant de fer, de sorte que la bâche mouillée touchait sa main et la glaçait. On roulait vite. La camionnette était légère. A l'avant, le chauffeur, un grand garçon au nez cassé, était assis avec Charlotte, mais, de l'intérieur, Mittel ne les voyait pas.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Après avoir assassiné son patron, Charlotte, une jeune anarchiste, s’enfuit avec son amant Jef Mittel. À Dieppe, ils embarquent sur le Croix de vie, un cargo à destination de l’Amérique du Sud. Au fil de la traversée et de ses péripéties, des liens se tissent avec le capitaine Mopps, vieux contrebandier et trafiquant d’armes, obsédé par Charlotte.

Ce triangle amoureux tragique les conduira en Colombie puis à Tahiti au gré de leurs errances...

Le locataire

Il ne se passe pas grand chose ici. Un meurtre. Un assassin désemparé. Incapable de réagir. Sous le choc, il se terre dans une petite pension en Belgique.

un filet de sang, se faufilant entre les cheveux, atteignait son front !
Il essaya de bouger, pour voir ce qui se passait. Elie frappa à nouveau, deux fois, trois fois, dix fois, avec colère, à cause de ces stupides yeux calmes qui le regardaient.
S'il s'arrêta, ce fut à bout de souffle, parce qu'il n'en pouvait plus. La clef anglaise échappait à ses mains moites. Il s'assit, tourné vers la glace, et reprit sa respiration. En même temps il tendait l'oreille, il tendait tous ses nerfs. Y avait-il encore une autre respiration que la sienne dans le compartiment ? II espérait que non. Il n'avait pas envie de recommencer. Son poignet lui faisait mal.
Sans regarder le corps, il baissa le rideau, puis la vitre. Il remarqua que, s'il n'y avait pas de neige à Saint-Quentin, les champs, ici, étaient blancs, à perte de vue, et le ciel aussi clair qu'un ciel de glace.
Son pardessus gênait ses mouvements. Il le retira.
Le locataire de Georges Simenon

Peu d’intérêt donc pour ce petit locataire, si ce n’est, une fois encore à la lecture des Simenon d’avant guerre, la sensation que la valeur de la vie à bien évolué depuis. Le meurtre semble moins terrible ou tabou, et la peine de mort en était la sanction. Simple.

Et que dire de l’accroche du livre ? 100 000 femmes ! Et hop, l’éditeur ajoute un zero à la légende comme un argument de vente ? Curieux

Adapté au cinéma par Pierre Granier-Deferre, L’Étoile du Nord en 1982 avec Simone Signoret, Philippe Noiret et Fanny Cottençon

Le 10e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
— Ferme la fenêtre! geignit Elie en remontant la couverture jusqu'à son menton. Deviens-tu folle ?
— Cela sent le malade, ici! répliqua Sylvie dont le corps nu se dressait entre le lit et la fenêtre grise. Ce que tu as pu transpirer, cette nuit !
Il renifla, rapetissa son corps maigre tandis que la femme pénétrait dans la lumière chaude de la salle de bains et faisait bouillonner l'eau de la baignoire. Pendant quelques minutes, il était inutile de parler, car le vacarme des robinets dominait tous les bruits.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Élie Nagéar doit se cacher après avoir assassiné, pour le voler, un très riche Hollandais dans un train. Il se réfugie dans la pension pour étudiants que tient Mme Baron, la mère de sa maîtresse, à Charleroi. C'est dans la cuisine qu'il passe le plus clair de son temps, à guetter les autres locataires, de plus en plus soupçonneux...

Il pleut bergère

Simenon a regardé tomber la pluie bergère par la fenêtre un peu comme Hergé avait recherché les bijoux de la Castafiore. Une histoire construite autour de pas grand chose, un suspense vide, un soufflé tenant juste le temps du service. Un exercice de style en creux.

J'ai été gratifié, ce matin-là, d'un réveil aérien, un de ces réveils qui vous imprègnent de joie pour toute la journée. Encore fort avant dans le sommeil, à peine conscient du tambourinage d'une pluie fine sur les toits de zinc, un frôlement plutôt, comme la vie d'un nid de souris qu'on perçoit dans l'épaisseur d'un mur, je retrouvais confusément la promesse d'un jour exceptionnel. Mais cette promesse, je ne mettais aucune hâte à la préciser. Je me couvrais frileusement, au contraire, de toutes les bribes de sommeil que je pouvais ramener à moi.
Il pleut bergère de Georges Simenon

Oui, ça fonctionne presque et c’en devient même fascinant, hypnotique. On regarde avec Jérôme cette pluie noire avec attention, on la sent même sur la peau, pesante, froide, oppressante. Autant que la repoussante tante Valérie.

Mais quand même un peu vide, non ?

Le 42e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
J'étais assis par terre, près de la fenêtre en demi-lune, au milieu de mes petits meubles et de mes animaux. Mon dos touchait presque l'énorme tuyau de poêle qui, venant du magasin et traversant le plancher, allait se perdre dans le plafond après avoir chauffé la pièce. C'était amusant car, quand le feu, en bas, ne ronflait pas, le tuyau conduisait le son et j'entendais distinctement tout ce qui se disait.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Quand il avait sept ans, Jérôme passait toutes ses journées à la fenêtre, regardant le spectacle de la rue. Dans la maison en face de la sienne il y avait un petit garçon, Albert, qui, lui aussi, était toujours à sa fenêtre. Une grande sympathie naquit entre les deux enfants et Jérôme peu à peu découvrit le secret de son petit voisin. Le père de celui-ci était un assassin recherché par la police et dont la tête était mise à prix. Et, de sa fenêtre, Jérôme put voir la police resserrer lentement son étreinte et finalement arrêter le père du petit garçon qui, comme lui-même, regardait toujours à sa fenêtre.