45° à l’ombre

Il fait chaud sur l’Aquitaine qui remonte du Congo vers Bordeaux. Et un voyage qui commence mal, ne finit que rarement bien. Le navire gite et prend l’eau, les annamites en troisième classe meurent sous l’œil vaguement concerné de l’équipage (c’était l’époque coloniale, et ça se sent salement bien à 45° sans mauvais jeu de mots), les premières classes s’échauffent… Il y a des voyages où semble planer une sombre malédiction.

Le second Chinois en profita pour mourir pendant le dîner, que Donadieu dut interrompre. Il remarqua, en passant, que Jacques Huret, qui avait bu plusieurs apéritifs, était gai et parlait d'une voix sonore.
Le docteur plongea dans la chaleur des troisièmes classes, trouva Mathias au seuil d'une cabine.
 - Fini ! annonça l'infirmier. J'ai trouvé son argent sous l'oreiller.
Il y avait deux mille trois cents francs, gagnés en trois ans à poser des traverses de chemin de fer.
Cela se traduisait, pour Donadieu, par une bonne heure à remplir des paperasses.
45° à l’ombre de Georges Simenon
Et les problèmes s’enchaînent en espérant impatiemment que les côtes françaises apparaissent.

Un roman où la sauce peine à prendre et l’ennui des passagers tend à gagner les lecteurs

Le 14e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Le steward, de son doigt replié, frappa trois ou quatre petits coups, approcha l'oreille de la porte de la cabine et, après quelques instants d'attente, murmura doucement :
- Il est quatre heures et demie.
Dans la cabine du Dr Donadieu, le ventilateur ronronnait, le hublot était ouvert, mais le docteur, couché nu sur les draps, n'en était pas moins moite des pieds à la tête.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Le docteur Donadieu, médecin de bord, observe les passagers de l'Aquitaine qui s'agitent sous le soleil africain: Lachaux, qui prédit toujours les pires catastrophes, Bassot, le fou enfermé dans sa cabine, la coquette madame Dassonville, Huret, injustement accusé de vol... Les drames se nouent, les passions s'exacerbent et le mercure continue à monter.

Le coup de lune

Ce coup de lune ressemble furieusement au Long cours que Simenon publiera en 1936. Certes, sur un autre continent, mais avec la même folie qui frappe un homme dans les colonies.

Au pied des arbres hauts de cinquante mètres, dans cette forêt dont nul ne connaissait les limites, il n'y avait, sur les nattes, que quelques poignées de manioc, quelques bananes, quatre ou cinq petits poissons fumés. Les vieilles femmes étaient nues. Deux d'entre elles fumaient la pipe. La troisième allaitait un gamin de deux ans qui, de temps en temps, se tournait avec curiosité vers les blancs.
Aucun contact entre ceux-ci et les indigènes. Pas un salut. Adèle marchait la première, regardait les petits tas de marchandises, se penchait pour jeter un coup d'œil dans les cases. Elle se baissa et prit une banane qu'elle ne paya pas.
Il n'y avait pas d'hostilité non plus ! C'étaient des blancs ! Ils faisaient ce qu'ils voulaient, parce qu'ils étaient blancs !
Le coup de lune de Georges Simenon
Un homme qui perd pied (un gros coup de lune), fou de jalousie, épuisé par la dengue, écrasé par la chaleur étouffante et abruti par l’alcool.

Un roman au Gabon des années 30, à Libreville et dans la forêt intérieure, l’occasion d’un portrait écœurant du racisme et de l’entre-soi des colons

Un roman adapté par Serge Gainsbourg au cinéma en 1983 sous le titre Equateur avec Barbara Sukowa et Francis Huster

Le 4e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Avait-il une seule raison grave de s’inquiéter ? Non. Il ne s’était rien passé d’anormal. Aucune menace ne pesait sur lui. C’était ridicule de perdre son sang-froid et il le savait si bien qu’ici encore, au milieu de la fête, il essayait de réagir.
D’ailleurs, ce n’était pas de l’inquiétude à proprement parler et il aurait été incapable de dire à quel moment l’avait pris cette angoisse, ce malaise faits d’un déséquilibre imperceptible.
Pas au moment de quitter l’Europe, en tout cas. Au contraire, Joseph Timar était parti bravement, rouge d’enthousiasme.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Parti plein d’enthousiasme pour les colonies, Joseph Timar ressent, dès son arrivé au Gabon, un malaise indéfinissable qui n’est pas seulement dû à la moiteur accablante du climat. Il s’installe dans l’unique hôtel de la ville. Dès son arrivé, la patronne, Adèle, s’offre à lui...

L’Africain du Groenland

Le génial récit de voyage de Tété-Michel qui, dans les années 60, fugua à 16 ans du Togo pour le Groenland. Un voyage de près de 10 ans fait de rencontres, d’amitiés et de découvertes !

Tout en parlant, Jakobina nous sert le café puis apporte de la graisse de renne. Chacun coupe un morceau de cette graisse et le met dans son café chaud, sucré ou non, et arrosé d'akvavit. J'imite les autres. La graisse fond en partie et forme à la surface de petits cercles huileux. Le café bu, il reste au fond des tasses un bout de graisse que l'on prend avec sa cuillère pour le manger accompagné d'un morceau de sucre.
 - Comment le trouves-tu ? me demande Knud.
 - Mais c'est très bon !
L’Africain du Groenland de Tété-Michel Kpomassie

Un livre plein d’émerveillement et de surprises face aux coutumes, mœurs, habitudes alimentaires, paysages, températures rencontrées… mais aussi sur la lente perte d’identité groenlandaise face à l’acculturation danoise. Comme un livre d’anthropologue fasciné par ses rencontres, accueilli comme un prince invraisemblable dans ces glaciales contrées inhospitalières

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Le cocotier et le serpent
- Il n'est pas encore réveillé, l'autre ? demanda l'oncle, avec mépris.
Il parlait à voix basse, faisant visiblement un effort pour ne pas hausser le ton, soit pour retenir sa colère, soit pour ne pas déranger, dans leur sommeil, ceux qui étaient couchés dans les cases avoisinantes.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Quand j'ai débarqué, tous croyaient avoir vu le diable. J'étais le premier Africain qu'ils voyaient de leur vie. »

Né en 1941 dans une famille traditionnelle togolaise, Tété-Michel Kpomassie est destiné à 16 ans à servir le culte du python après avoir réchappé à un accident causé par ce serpent. Effrayé par cette perspective, il est saisi d'une fulgurance singulière à la lecture d'un livre sur le Groenland. Il se découvre, lui, l'homme de la forêt tropicale, de profondes affinités avec ces hommes du Grand Nord.

Passionné par cette région et par le mode de vie de ses habitants, il fuit son village et entame une odyssée improbable qui le conduira huit ans plus tard au Groenland. Froid, neige, obscurité ou soleil de minuit, rien ne le décourage. Accueilli par les Inuits, Tété-Michel Kpomassie découvre une société traditionnelle, vivant de la pêche et de la chasse, mais aussi une société fragilisée, dépendante et de plus en plus individualiste, conséquences de la colonisation danoise.

Janet Burroughs

Une femme au 19e part en Afrique. Une histoire féministe ou coloniale ? Qu’importe ! Un choc de cultures, des rencontres, des paysages, des personnes.

Janet Burroughs de Françoise-Sylvie Pauly, dessins de Pascal Croci et Sandrine Py

Un carnet de bord tout en images et en voix off.

Un dessin très inspiré avec un narration subtile… trop, peut-être, et je m’y suis finalement un peu perdu.

Faute à un propos peu inspiré, une vision colonialiste trop datée ou un manque d’action ?

Restent les images, superbes !

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Au XIXe siècle, l'Afrique est un continent encore méconnu. Pour Janet Burroughs, jeune femme indépendante à la curiosité scientifique, la rencontre avec une tribu matriarcale va bouleverser son existence... La fascinante Aboudalé, chef de cette étrange tribu, l'initie aux mystères d'un étonnant cimetière de pierres... Et lui raconte la légende de l'enfant-singe, celui que Edgar Rice Burroughs nous fera connaître sous le nom de Tarzan. Après Marie-Antoinette, Pascal Croci réalise à nouveau un sublime portrait de femme : celui d'une européenne découvrant une société inconnue, qui remet en questions son éducation et toutes ses certitudes

Une maternité rouge

Une histoire complexe trop brièvement racontée tant les problématiques sont tentaculaires. Et pourtant, un dessin superbe ! L’histoire d’une statuette trouvée au Mali et apportée par un jeune migrant jusqu’au Louvre pour la protéger de l’obscurantisme islamiste.

Une maternité rouge de Christian Lax

Pourtant, cette co-édition du Louvre pose bien plus de questions que cette bande dessinée n’évoque. Les questions d’appropriation des biens, de restitutions des objets spoliés, des moyens existants pour permettre aux œuvres de rester dans leurs pays, de la bienveillance condescendante des musées occidentaux ne sont pas traités – ou trop brièvement – pour un sujet aux pareilles ramifications.

… Voilà donc une bande dessinée qui ressemble beaucoup à un livre publicitaire et qui me laisse bien dubitatif

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Un jeune chasseur de miel malien, Alou, se dirige vers les ruches sauvages d'un baobab. Circulant en 4x4, armés jusqu'aux dents, des djihadistés foncent sur lui et font exploser l'arbre sacré.
Parmi les débris, Alou découvre, presque intacte, une statuette représentant une femme enceinte. Encouragé par son père, il se rend dans le pays Dogon pour la présenter au sage du village, le hogon, respecté de tous pour sa culture.
Le vieil homme reconnaît aussitôt cette Maternité rouge. Elle est l’œuvre, selon lui, du maître de Tintam, dont une première Maternité se trouve déjà au Louvre, au Pavillon des Sessions.
Pour le vieil homme, la sculpture, en ces temps de barbarie, sera plus en sécurité au Louvre près de sa sœur qu'ici au Mali. Et c'est à Alou, naturellement, que le hogon confie la mission impérative d'emmener la Maternité à Paris.
Pour atteindre son but, le jeune homme, migrant parmi les migrants, ses sœurs et frères d'infortune, devra prendre tous les risques en traversant désert et mer...

Le roi des cons

Comment choisir ? Peut-on voir la beauté de ce qui nous est imposé ? Les yeux de ma voisine sont-ils plus verts que ceux de ma femme ?

Le roi des cons de Idi Nouhou

Un livre drôle et naïf dégageant une candeur délicieuse dont il faudrait se méfier de trop en rire.

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
"Voici un roman qui nous vient du Niger. Oubliez ce que vous savez du Niger. Oui c'est un pays pauvre, peut-être le plus pauvre. Non, y être une femme n'est pas facile. Oui, la faim n'y est jamais loin, et oui il y a des dunes magnifiques, où furent détenus des otages français, près d'Arlit. Idi Nouhou ne va pas radicalement bousculer ce que vous savez. Mais il va tout déplacer, comme les dunes sous le vent. Le roi des cons est le récit d'un homme partagé entre deux genres de femmes : leur complémentarité semble classique, mais s'avère un peu plus complexe que le schéma occidental de la maman et de la putain. Ne serait-ce que parce que la"putain", selon nos critères, y est voilée comme la maman, et que la maman y est d'une audace redoutable...
C'est un Niamey sensuel, érotique et drôle que nous révèle Idi Nouhou ; mélancolique aussi. Et c'est dans la bouche d'une femme que revient la proustienne phrase : Il n'est pas mon genre."
Marie Darrieussecq

Barracoon : l’histoire du dernier esclave américain

Un livre témoignage, celui du dernier survivant du dernier navire négrier qui traversa l’Atlantique pour rejoindre les États du Sud. Cudjo Lewis, esclave libéré par la guerre de Sécession cinq ans plus tard et qui vécu jusqu’à l’âge 86 ans aux États-Unis.

Barracoon : l’histoire du dernier esclave américain de Zora Neale Hurston

Un des rares témoignages de première main, sur sa capture par le peuple du Dahomey, son passage dans les Baraccoon, sa vente, le transport, son arrivée et sa vie en Amérique.

Un livre dont les atrocités sont atténuées par la douceur nostalgique de leur conteur.

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Barracoon désigne les bâtiments utilisés pour le confinement des Africains destinés à être vendus et exportés vers l’Europe et les Amériques. Ces bâtiments allaient du modeste « abri à esclaves » aux imposantes « maisons d’esclaves » ou « châteaux d’esclaves ». Les captifs y restaient souvent confinés pendant des mois entiers.  
En 1927, la jeune anthropologue Zora Neale Hurston, qui va devenir l’une des plus grandes écrivaines noires du XXe siècle part rencontrer en Alabama Cudjo Lewis. A 86 ans, Cudjo est l’ultime survivant du dernier convoi négrier qui a quitté les côtes du Dahomey pour l’Amérique. Pendant des mois, Zora va recueillir sa parole, devenir son amie, partager ses souffrances et des fiertés. Le témoignage de Cudjo restitue comme nul autre la condition, la vie d’un esclave : de sa capture en 1859 par un village voisin à sa terrifiante traversée, de ses années d’esclavage jusqu’à la guerre de sécession, jusqu’à son combat pour son émancipation.
Un témoignage unique d’une sincérité et d’une précision bouleversante

Congo

Comme un prélude à l’ordre du jour qui en reprend les codes, Congo commence par présenter les criminels. Ceux qui, bavant devant le gâteau, concupiscents, affamés ou manipulés, se prélassent dans les ors et les mets raffinés.

Puis vient la crasse et la honte, la merde et viande, les petits exécuteurs, les salauds et les besogneux.

Congo de Éric Vuillard
Congo de Éric Vuillard

Spectacle de la violence en cols blancs et de l’horreur du crime loin des lustres en cristal.

Un drôle de livre au style magnifique qui s’égare parfois.

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Le Congo, ça n'existe pas. » Il faut donc l'inventer. En 1884, à la conférence de Berlin, les grandes puissances se partagent l'Afrique et créent l'État indépendant du Congo, une simple entreprise commerciale. Viennent alors le défrichage, l'installation des comptoirs, les massacres...

En évoquant le roi Léopold II, Charles Lemaire l'éclaireur, Léon Fiévez le tortionnaire, les frères Goffinet les négociateurs, Éric Vuillard donne au mal un visage. À la fois récit historique et réflexion politique sur le libre-échange, Congo ressuscite, d'une plume lucide et irrévérente, la période coloniale, l'aube de notre modernité

L’Empire de l’or rouge : enquête mondiale sur la tomate d’industrie

Si l’industrie de la viande me fait vomir, cet essai démontre que la cupidité n’a nulle limite et que tout est source de profit. De la viande à la tomate, même inhumanité. De la Chine à l’Italie en passant par l’Afrique, l’industrie de tomate (et je n’y vois évidement qu’un exemple) génère du fric avec des produits frelatés, reconditionnés, dilués ou périmés sur le dos des plus pauvres en s’appuyant sur des méthodes mondialisées, esclavagistes et mafieuses.

L'Empire de l'or rouge de Jean-Baptiste Malet
L’Empire de l’or rouge de Jean-Baptiste Malet

Édifiant jusqu’à l’écœurement avec l’aveugle complicité d’états laxistes et du commerce globalisé, anonymisé, aseptisé sous des jolis emballages aux magnifiques logos ornés du drapeau vert-blanc-rouge.

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Que mange-t-on quand on ouvre une boîte de concentré, verse du ketchup dans son assiette ou entame une pizza ? Des tomates d'industrie. Transformées en usine, conditionnées en barils de concentré, elles circulent d'un continent à l'autre. Toute l'humanité en consomme, pourtant personne n'en a vu. Où, comment et par qui ces tomates sont-elles cultivées et récoltées ?

Durant deux ans, des confins de la Chine à l'Italie, de la Californie au Ghana, Jean-Baptiste Malet a mené une enquête inédite et originale. Il a rencontré traders, cueilleurs, entrepreneurs, paysans, généticiens, fabricants de machine, et même un « général » chinois.

Des ghettos où la main-d'oeuvre des récoltes est engagée parmi les migrants aux conserveries qui coupent du concentré incomestible avec des additifs suspects, il a remonté une filière souvent opaque et très lucrative, qui attise les convoitises : les mafias s'intéressent aussi à la sauce tomate.

L'Empire de l'or rouge nous raconte le capitalisme mondialisé. Il est le roman d'une marchandise universelle