La vie continuée de Nelly Arcan

Nelly Arcan fascine pour beaucoup de raisons… certaines plutôt tordues. Toutefois, il me semble difficile de l’aborder en dissociant l’autrice de son oeuvre tant sa vie et ses livres se sont répondus dans une danse schizophrène.

La publication d'À ciel ouvert constitue un soubresaut médiatique. Certains s'amusent à exploiter le champ lexical érotique pour en rendre compte. Ils évoquent un quickie, sourient de ses vêtements sexy. L'allure un brin cagole de Nelly Arcan est évoquée dans chacune des rencontres. Le caractère irréconciliable de ce qu'elle dénonce dans ses livres et auquel elle prête pourtant le joug est reçu en paradoxe. Jamais il n'est affronté comme démonstration de son propos. Jamais il n'est traité pour ce qu'il est : le cœur du sujet.
La vie fait des farces.
Elle se charge de le prouver par l'exemple.
La vie continuée de Nelly Arcan de Johanne Rigoulot
Un grand écart, jamais satisfaisant entre le besoin de plaire et la douleur de cette injonction. Mais comment croire une victime aussi pratiquante ?

Une biographie pleine de tendresse et d’empathie

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Blonde aux cheveux longs, les traits délicats, elle offre un sourire constant, éclairé par des dents parfaites. Une poitrine atomique surplombe sa taille de guêpe. Ses jambes de plastique tendre et légèrement articulé sont fuselées. Quant aux pieds, minuscules, ils ont la cambrure d'un stiletto Louboutin.

Elle est haute de 28 centimètres.

La poupée Barbie apparaît entre les mains des fillettes dans les années 1960. Son corps répond aux normes de perfection de l'époque.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Une enquête intime dans l'oeuvre et la vie de Nelly Arcan, une réflexion sur l’écartèlement identitaire du féminin.

Dans un récit vif, interrogeant son propre rapport à la féminité et à l’évolution des codes de la séduction, Johanne Rigoulot explore les ferments que l’écrivaine Nelly Arcan nous a légués. Indissociable de la parution en 2001 de Putain, ovni littéraire sur son quotidien d’escorte à Montréal, et d’une image ultra-travaillée de blonde fatale, Nelly Arcan, qui s’est suicidée à 36 ans, est longtemps restée en marge du panthéon intellectuel. Trop sexy, trop fragile, trop québécoise. Pourtant, elle a exploré en visionnaire toute la complexité de la condition des femmes, prises entre besoin d’exister et impératif de plaire.

Qimmik

Les peuples premiers du Canada (et ce n’est pas le seul pays), ont été victimes d’atrocités, d’acculturation, de vols d’enfants, liquidations, pensionnats, viols… la liste est longue. Michel Jean réussi avec Qimmik à donner vie aux victimes. Ce ne sont plus des centaines ou des milliers ou plus encore, mais c’est Saullu et Ulaajuk, deux jeunes amoureux Innu, leurs chiens, leurs difficultés, le grand Nord hostile, la faim, les ours, la passion de vie.

J'ai un peu de difficulté à accoster à cause de la glace. La bête est lourde, mais je parviens quand même à la hisser à bord. Je remonte, m'éloigne et prends cette fois le chemin le plus court pour traverser l'archipel. Je vois un autre phoque sur un rocher. Il m'a vue lui aussi, mais avant qu'il ait le temps de sauter à l'eau je l'abats d'un coup précis. Il est plus petit mais bien gras.
La lumière décline et je file vers le soleil qui plonge dans le lac. Notre campement apparait au détour d'une ile. La fumée s'élève de la cheminée de la tente avec lenteur dans le bleu ambré du ciel. Sur la berge, assise, Tallujuak guette mon retour. Ce regard fidèle et patient qui fixe le lac en m'attendant me rappelle que les humains ne sont pas seuls. Cette pensée réchauffe mon cœur.
Qimmik de Michel Jean
Et l’état fédéral, la police…

Un récit entrecroisé avec une enquête pour le meurtre de vieux policiers.

Un livre magnifique malgré un rapprochement qui pourrait sembler un peu trop évident entre les deux parties mais qui évite toutefois de sombrer dans un mélo trop convenu.

Un livre trouvé dans la magnifique petite librairie-café Le vent se lève lors d’un passage à Saint-Ursanne avec un délicieux jus de gingembre-citron bio

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Le ciel, le roc, l'océan. Sous une lumière obscène, face à l'Arctique, mer de glace. Terre nue. Pays sans arbre. Entre te ressac et le silence, le vent, le vent du nord, règne sans partage. Son souffle glacial soulève les flots, emporte dans son sillage des tourbillons de neige qui courent sur la terre comme sur l'eau. La toundra gronde.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Vingt chiens.
Vingt cœurs fidèles et courageux
me ramènent chez moi, sur la côte.
Le bruit de leurs pas résonnent dans
l’air froid et bat la cadence.
C’est la musique des Inuit.

Dans les années 1960, au Nunavik, la jeune Saullu rencontre Ulaajuk, un mystérieux Inuk du Nord. Fascinée par sa douceur et son insouciance, elle décide de le suivre. Avec l’aide de leurs chiens de traîneaux, les Qimmiit, le jeune couple parcourt le territoire encore sauvage. Leur quotidien est fait de chasse, de pêche, de moments de plénitude et de rencontres mémorables. Ils sont heureux et libres. Mais, plus au sud, les autorités obligent les Inuit à se sédentariser et à se regrouper dans des communautés.
Quelques décennies plus tard, Eve Beaulieu, une jeune avocate montréalaise est chargée de défendre Uqittuq Ainalik, un vieil Inuk accusé des meurtres de paisibles retraités. L’homme reste mutique et Eve peine à comprendre ce qui pourrait avoir déclenché une telle folie meurtrière. Cela a-t-il un lien avec le fait que les victimes étaient d’anciens policiers, en poste au Nunavik dans les années 1960 ?
Cette recherche de la vérité entraînera la jeune avocate plus loin qu’elle ne l’imaginait, l’obligeant à s’interroger sur ses propres origines.

Trash anxieuse

Devant un monde invraisemblablement incohérent qui court (et vite !) à sa perte, en pleine séparation de ses parents et expérience des premiers amours, une jeune femme sombre.

J'm'use comme une peau de bébé qu'on papier-de-sablerait. Je gratte ma chair sécheresse jusqu'à l'hémorragie. Sur mon corps des plaques m'encroûtent et me sclérosent. 
Le jour, j'tiens sans arrêt un crayon entre mes dents pour sourire. La nuit, j'me greye la bouche de duct tape. Plus tu souris, plus le bonheur trouve un moyen d'entrer en toi. C'est scientifiquement prouvé. Sauf que j'finis par fatiguer d'la face et par plus dormir pantoute. 
Entretenir l'allégresse m'épuise. Ma force s'ankylose.
Trash anxieuse de Sarah Lalonde
Et tente pourtant de surnager, crier, agir…

Un cri d’écoanxiété, un appel au secours et à une prise de conscience. Réveillez-vous !

Comme un manifeste, bien plus tout public que les mentions jeunesse ne le laissent supposer.

Une rage rafraîchissante qu’on espérerait mobilisante. Ah, l’espoir…

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
à toi
qui t'apprêtes à marcher sur un chemin parsemé d'embûches
persévère


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
L’empreinte carbone de la planète explose. Les médias sociaux dérapent.

Perdue dans sa fuckaille intérieure , l’adolescente de ce roman atypique se heurte à l’écoanxiété et aux contradictions morales de notre époque. Entêtée, elle avance, elle se dépêtre dans la période de turbulence qu’elle traverse. L’écriture lui sera salutaire.

Oscillant entre l’acidité et la tendresse, la crudité et la sensibilité, la revendication et l’indulgence, mêlant dans une narration éclatée dialogues caustiques, scénarios de sitcom et poésie, la voix de Sarah Lalonde nous écorche et nous console tout à la fois.

La mécanique des désirs

Réécriture de Escorte paru en 2010 (que j’avais lâché après quelques pages que j’avais alors trouvées un peu indigestes), on retrouve ici une femme [qui] regarde les hommes regarder les femmes comme l’écrivaient Siri Hustvedt ou Louise Chennevière dans Pour Britney… avec le désespoir en moins.
Mais toujours et encore, une femme, son corps, sa jeunesse… pour les hommes.

Elle allait aussi recommencer à être quelqu'un d'autre, emprunter un autre prénom, enfiler des habits cachés depuis des années sous son lit, dans des tiroirs, contre le mur. Elle m'avait montré des photos d'elle, en latex, avec un fouet. Je m'étais rapprochée d'elle, parce que dans les cours d'école, j'ai besoin des autres mères, j'ai besoin de rire encore fort et de vouloir pleurer. J'aime arriver seule, sans maquillage, les cheveux mouillés, toujours presque en retard, puis m'entourer des femmes qui attendent, elles aussi. Sous les lunettes aux verres sombres, je réussissais intuitivement à aller vers celles qui me ressemblent : après maints jours, nous nous disions que nous n'avions pas qu'embrassé des hommes, et que nous avions déjà été payées pour être nues et aimer ceux qui recherchent quelque chose qu'ils n'ont pas.
Ils ne réussissent pas à l'avoir avec nous, non plus, ce qu'ils cherchent, raconter leurs histoires et avoir notre attention et notre sexe, sans considérer les heures. Moi aussi, je ne peux pas avoir ce que je cherche, mais je peux m'en approcher, comme un homme sous moi, à laper entre mes jambes.
La mécanique des désirs de Mélodie Nelson
Forcément impudique, évidement dérangeant, cette mécanique des désirs est pourtant très touchante par son intime sincérité.

Certes, on n’y retrouve pas le même sentiment d’oppression qu’avec Nelly Arcan, pas non plus l’exhibitionnisme autofictionnel d’Emma Becker… mais toujours cette ambiguïté dont parlait Nancy Huston, oscillant entre le désir de plaire et la souffrance de cette soumission – désirée autant que subie. Une autobiographie qui semble nous renvoyer à Schopenhauer et sa fameuse citation « La vie oscille, comme un pendule, de la souffrance à l’ennui ». Et comme seul l’art pourrait nous en sauver… Mélodie écrit. Et même fort bien !

Mais désormais mère ! Et la maternité n’efface pas la violence du désir…

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
J'ai toujours été un peu mélancolique, et cette tristesse s'incruste même quand je change de couleur de cheveux ou de vernis à ongles, même quand je me blottis contre un homme, comme une bête sauvage qui fait semblant d'être apprivoisée dans un lit, sous un arbre, au parc, dans l'espace restreint d'une banquette arrière, avec de la buée dans les fenêtres.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
La mécanique des désirs transpose le regard lucide et distancié d'une femme devenue mère qui revisite son passé d'escorte. Ce récit littéraire parfois cru, révèle la froideur des hôtels du centre-ville, les secrets des maisons de la banlieue et les confidences entre amies sur les banquettes de la Belle Province. Sans fard, la narratrice évoque ses moments d'intimité avec les clients, les rencontres marquantes qui ont jalonné sa trajectoire, ainsi que ses relations avec ses proches. La mécanique des désirs, c'est aussi l'exploration de la nature profonde d'une femme, de sa sexualité, et au-delà du désir et des attentes jamais vraiment comblées, des décisions qui fabriquent une vie.

Le jour des corneilles

Un jour des corneilles hallucinant et halluciné. Au milieu des forêts québécoises, vivent deux ermites, un père et son fils.

Ce même jour, tandis que le soleil finissait son déroulement en cieux, père, vaincu, vidangé de ses larmes, empoigna son herminette et commença d'usiner quelques planches. Il en forma une bière à dimension de mère puis, saisissant celle-ci une finale fois en ses bras, la déposa doucettement en cercueil. Enfin, portant sur échine mère emboîtée dans ce couche-mort, il chemina en forêt jusqu'au pied de la grande pruche, ainsi que j'en fus instruit bien après. Juste ci-dessous, de ses grosses mains, père approfondit un trou, qui accueillit bientôt mère en son repos durable. Par suite il rebroussa à la cabane, me trouvant bien établi sur paillasse et attendant sagement de prendre repas.
Le jour des corneilles de Jean-François Beauchemin

Suite à des « actes inqualifiables », le fils raconte sa vie dans un invraisemblable français. La mort de sa mère le jour de sa naissance, la douleur et la folie du père, leur vie loin de tous.

Je reste subjugué. Ravi et interloqué

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Nous logions, père et moi, au plus épais de la forêt, dans une cabane de billes érigée ci-devant le grand hêtre. Père avait formé de ses mains cette résidence rustique et tous ses accompagnements. Rien n'y manquait : depuis l'eau de pluie amassée dans la barrique pour nos bouillades et mes plongements, jusqu'à l'âtre pour la rissole du cuissot et l'échauffage de nos membres aux rudes temps des frimasseries. Il y avait aussi nos paillasses, la table, une paire de taboureaux, et puis encore l'alambic de l'officine, où père s'affairait à extraire, des branchottes et fruits du genièvre avoisinant, une eau-de-vie costaude et grandement combustible.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Sise au fin fond de la forêt, une cabane en rondins abrite deux êtres hallucinés : un colosse marqué par la folie et son fils. Orphelin de mère livré à lui-même, nourri dans ses premiers jours avec le lait d'une hérissonne trouvée morte, ce dernier se retrouve adulte devant un juge silencieux pour avouer des actes inqualifiables. Son témoignage l'amènera à révéler peu à peu, en toute ingénuité et dans une langue unique, l'incroyable histoire de sa vie comme le destin tragique de son père.

« Le Jour des corneilles est un roman d'amour halluciné, un ovni littéraire incendiaire qui brûle les yeux, tourneboule les sens et la morale. Ici, l'horreur flirte avec la grâce. »
Martine Laval, Télérama

Encabanée

Si Gabrielle a bien vécu 10 jours dans une cabane en plein hiver et coupée de tout, difficile de connaître la part authentique dans cette autofiction.

La lune illumine le désert blanc. Immense. Immortel. La cabane se tient là dans son ombre, comme un perce-neige. Assoupie dans la chaise berceuse, je rêve à Cerbère et me réveille en sursaut au son des glaçons qui tombent du toit et se fracassent en mille éclats. Je gagne mon lit de fortune au bord du poêle, et la souris dans le mur ne fait plus un bruit. Je suis dans de beaux draps, mais au moins, ce n'est pas un nid de laine minérale. L'ennemi a quitté son siège, mais des fantômes me tenaillent.
Encabanée de Gabrielle Filteau-Chiba

Reste que la plume est très belle, légère et amusée !

Je gagne la cabane tête baissée, comme un chien, la queue entre les jambes. Le miroir me renvoie un visage qui m'est étranger.
 - Miroir, ô miroir, dis-moi qui est la plus belle ?
 - T'avais une chance avant de te hacher le visage en deux.
 - Ça y est. Je parle toute seule.
Mon visage est un barbeau de couleurs blessées. Une prune fendue. Je retourne dehors. Boules de neige se tachent de sang une à une, me suivent comme les pierres de lune du Petit Poucet dans la forêt. Je ne pense ni au sang, ni aux coyotes, ni à ma défiguration. Je ne pense qu'à ma survie. Aussi que ma première erreur a été d'hésiter en hachant la glace.

Une jeune femme décide de quitter la société dans laquelle elle ne se reconnait plus. Et c’est cool, vraiment cool. Icy, même.

Le froid et la solitude comme obsession avec un fond éco-féministe plutôt bien vu

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
J'ai filé en douce. Saint-Bruno-de-Kamouraska, ce n'est pas la porte à côté, mais loin de moi le blues de la métropole et des automates aux comptes en souffrance.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Lassée de participer au cirque social qu'elle observe quotidiennement à Montréal, Anouk quitte son appartement pour une cabane rustique au Kamouraska, là où naissent les bélugas. Encabanée dans le plus rude des hivers, elle apprend à se détacher de son ancienne vie et renoue avec ses racines. Couper du bois, s'approvisionner en eau, dégager les chemins, les gestes du quotidien deviennent ceux de la survie. Débarrassée du superflu, accompagnée par quelques-uns de ses poètes essentiels et de sa Marie-Jeanne, elle se recentre, sur ses désirs, ses envies et apprivoise cahin-caha la terre des coyotes et les sublimes nuits glacées du Bas-Saint-Laurent.

Maikan

Un livre comme un film d’horreur, mais en pire. Car tout cela a réellement existé. Et pire encore.

Quelques jours plus tard, quand les élèves se lèvent, personne ne remarque le lit vide. Personne ne note l'absence du numéro vingt. C'est en allant chercher du bois de chauffage, Charles qui, dans la remise. Elle se balance dans la pénombre Sa tête est bizarrement inclinée, ses yeux exorbités semblent fixer le mur de planches, comme si Jeanne avait tenté de voir au-delà.
Charles soulève le corps inerte. Il lui paraît étonnamment léger. Il retire délicatement la corde qui ceint le cou de Jeanne. Puis pose la jeune fille sur le sol. Charles secoue la dépouille déjà refroidie. Isolerait que Jeanne s'éveille, qu'elle a battre et yeux. Il aimerait que son cœur se remette à réchauffe sa poitrine. Mais Jeanne est déjà ailleurs. Son visage, purgé de sang, offre une blancheur qui en rappelle une autre à Charles et qui fait monter en lui une rage sourde et irrépressible.
Maikan de Michel Jean

Acculturation, viols, disparitions, violences systématiques et encore pire (oui, vraiment !), en témoignent les macabres découvertes des dernières années. Des crimes perpétrés par l’église et l’état, main dans la main.

Salle de classe du pensionnat de Fort George, 1939. Archives Deschâtelets-NDC, fonds Deschatelets, Z SS20 D15-3.
Salle de classe du pensionnat de Fort George, 1939. Archives Deschâtelets-NDC

Pourtant, Maikan, reste un beau livre sous la plume de Michel Jean, un très beau livre même grâce à l’humanité et la sensibilité de l’auteur de Kukum ou Atuk. Un livre qui persiste à croire en l’amour, la fraternité et la solidarité, même dans les pires moments

Note en fin d’ouvrage :
Le pensionnat catholique de Fort George a ouvert ses portes en 1936 et les a fermées seize ans plus tard, en 1952. On ne connaît pas avec certitude le nombre de pensionnats ayant existé au Canada. De la fin du XIX siècle à la fin du XX siècle, la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens en a répertorié cent trente-neuf, dont douze au Québec. Le dernier pensionnat a fermé ses portes en 1996, en Saskatchewan.
Cent cinquante mille enfants autochtones ont fréquenté ces établissements. Plus de quatre mille y sont morts. Les conditions de vie difficiles qui prévalaient dans les pensionnats sont le plus souvent attribuables au financement insuffisant du gouvernement canadien. Elles ont entraîné des problèmes sanitaires, un régime alimentaire inadéquat et un manque de vêtements et de médicaments pour les enfants sur place.
La situation est devenue si inquiétante qu’au début du XX siècle le médecin et directeur de la santé du ministère des Affaires indiennes, Peter H. Bryce, a sonné l’alarme et a rédigé pour ses supérieurs de nombreux rapports qui indiquaient que les Autochtones du Canada risquaient d’être décimés, par la tuberculose notamment. Le gouvernement canadien ignora les recommandations de Bryce et le démit de ses fonctions. Dans un ouvrage publié en 1922, Bryce qualifia l’attitude du Canada de « crime national ».
Aujourd’hui, les Nations unies considèrent comme un génocide le fait de retirer les enfants de leurs foyers en se basant sur leur appartenance ethnique pour les placer dans un environnement étranger afin de les endoctriner. Le Canada reconnaît maintenant publiquement que l’objectif des pensionnats était d’assimiler les Autochtones, en somme de « tuer l’Indien dans l’enfant » ; mais souvent, comme le dit le chanteur innu Florent Vollant, ils ont tué l’enfant aussi. Le 11 juin 2008, le Premier ministre Stephen Harper a présenté les excuses officielles du gouvernement canadien aux Autochtones: « L’héritage laissé par les pensionnats indiens a contribué à des problèmes sociaux qui persistent dans de nombreuses communautés aujourd’hui. » A l’image de plus de vingt-cinq pays dans le monde, dont l’Afrique du Sud après l’apartheid et plusieurs États d’Amérique du Sud, tels le Brésil et l’Argentine, le Canada a créé en 2007 la Commission de vérité et de réconciliation, avec pour mandat de lever le voile sur les agressions physiques, sexuelles et mentales qu’ont subies beaucoup d’enfants ayant fréquenté les pensionnats. Dans le rapport final qu’il a rendu en 2015, le chef de la Commission, le juge et actuel sénateur Murray Sinclair, a parlé d’un « génocide culturel » perpétré à l’encontre des populations autochtones du pays aux XIX siècle et XX siècle, une qualification reprise par Beverley McLachlin qui était alors la juge en chef de la Cour suprême du Canada.
Quatre-vingt mille anciens pensionnaires vivent encore.

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
La pelle frappe le sol, comme la hache l'arbre à abattre. Cette terre ne se laisse pas travailler facilement et l'acier s'y enfonce avec difficulté. II creuse, un coup à la fois, avec une sourde résolution. À mesure que s'ouvre le sol, il bute contre des pierres, de plus en plus nombreuses, de plus en plus grosses, qu'il extrait à la main, une à une.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
À quatorze ans, Virginie, Marie et Charles sont arrachés à leurs familles sur ordre du gouvernement canadien. Avec les autres enfants innus du village, ils sont conduits dans un pensionnat, à près de mille kilomètres de chez eux, pour y être éduqués. Là-bas, il leur est interdit de parler leur langue, leurs cheveux sont rasés, leurs objets personnels confisqués. Ils ne sont désormais plus qu'un numéro.

Que s'est-il réellement passé à Fort George, île maudite balayée par l'impitoyable vent du large ?

Soixante-dix ans plus tard, l'avocate Audrey Duval cherche à comprendre ce qu'il est advenu des trois jeunes gens mystérieusement disparus.

Atuk

Après le magnifique Kukum, Michel Jean continue à explorer son ascendance avec la fille de Almanda, Jeanette sa grand mère, Shashuan Pileshish ou Hirondelle, en innu.

La montée vers le territoire est un long voyage qui respecte chaque année les mêmes rites, suit les mêmes chemins, depuis des millénaires. Cela prend plusieurs semaines. Tout est calculé : le nombre d'étapes, le temps qu'il faudra pour les franchir, les portages qui permettent de sauter les rapides et les chutes. Le temps du voyage varie selon les familles et les territoires de chasse, mais il faut arriver avant les grands froids et avant que les rivières ne gèlent. Plus on monte loin vers le nord, plus le froid et la neige surviennent tôt. Le territoire de ma famille se trouvait à plus de cent cinquante milles au nord de Pekuakami. Il nous faudrait un mois et demi cette année-là pour franchir la distance.
Atuk de Michel Jean

Si on retrouve beaucoup d’éléments découverts avec Kukum, le point de vue change légèrement, Jeanette s’étant mariée avec un ouvrier du chemin de fer.

 - Ce n'est pas là qu'il faut mettre ton piège si tu veux attraper une martre, Shashuan Pileshish. Malek me considérait de ce regard que je lui ai toujours connu. Calme et indéchiffrable.
 - Il faut le placer sur la mousse. C'est là que la uapishtan va aller après être sortie de l'eau pour manger. Parce que ça ne laisse pas de traces. C'est malin, une uapishtan. Faut l'être plus qu'elle pour l'attraper. 
Le vieux chasseur m'a montré comment assembler le piège de bois. Comment le disposer sur le tapis de mousse. Je me souviens de ses mains dont on aurait dit qu'elles avaient été taillées avec un couteau rond, de ses doigts courts et de la paume épaisse. Sa peau usée était craquelée et couverte de taches brunes. Des mains usées et pourtant qui étaient plus habiles que les miennes, toutes neuves. 
 - Voilà comment il faut faire, petite, me disait-il sur le ton le plus serein du monde. 
Grand-père avait assemblé et installé le piège. Restait à attendre la martre. Il avait fait ça sans se dépêcher, mais sans perdre de temps.

Un livre où la question des origines, du racisme, de l’appartenance est omniprésent. Et Michel Jean, plus présent dans ce livre se retrouve lui aussi à se questionner sur son identité.

 - Je m'appelle Xavier. François-Xavier Gagnon. Et toi ? Quel est ton nom ? 
Lui, il avait un nom. Beau comme une galanterie.
 - Shashuan Pileshish. Hirondelle, en innu. Mais tu ne parles sans doute pas notre langue, François-Xavier ? 
Il a souri. Et j'ai tout de suite aimé son sourire. Un sourire révèle beaucoup de l'âme d'une personne. Il peut être candide, moqueur, méchant, sournois, niais, hésitant, timide, éclatant. Un sourire peut être tout ce que l'âme d'une personne lui inspire. Son sourire était bon. Et la bonté me touche. 
 - Jeannette. Appelle-moi Jeannette si tu veux. C'est plus simple.
 - Hirondelle. Ça te va bien. J'aime ça. Et il a souri à nouveau. Personne encore ne m'avait jamais souri ainsi, les yeux plantés dans les miens. Je n'aurais pas été davantage troublée s'il m'avait enfoncé son pic dans le cœur. 
Il m'a appelée Hirondelle toute sa vie. Mon vrai nom, soufflé au creux du cou, lancé comme une caresse et parfois avec un brin de taquinerie. Une formule magique, un mot de passe pour ouvrir mon cœur, connu de lui seul à Alma, et que mes propres enfants ignoraient et ignorent encore.

Une biographie familiale où l’intime côtoie des questionnements et des problématiques toujours sensibles au Canada

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Elle repose devant moi, figée dans la mort. Un cadavre embaumé est tout ce qu'il reste de cette femme à la silhouette autrefois robuste et souple. Tout de sa jeunesse a été emporté, maintenant que ses beaux yeux noirs se sont fermés pour de bon. Rien ne subsiste de celle qui a souvent bravé le froid et parfois la faim. Ce corps a frissonné de peur, ressenti le plaisir.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Jeannette a grandi entre les lacs et les forêts de son territoire ancestral, le Nitassinan. Mais lorsqu'elle épouse un Blanc, elle est exclue de sa communauté et forcée de quitter les siens pour s'installer en ville, loin de tout ce qu'elle connaît. Des années plus tard, Michel, son petit- fils journaliste à Montréal, vient se recueillir sur sa tombe et s'interroge sur ce choix qui le fait vivre lui aussi entre deux cultures. Car l'Indien, lui dit-on, il l'a en lui...

Le vent léger

Le vent léger, c’est l’enfance heureuse, joyeuse et insouciante. La vie qui naît, ensemble, en famille avec une sœur et des frères. La musique des saisons et l’amour qui porte et transporte.

Mon grand-père justement avait répandu toute sa vie cette légende jamais démentie: « Un jour, dans la petite vallée où nous avions notre ferme, le grand char du vent, passant en trombe dans le pacage, a soulevé notre plus grosse vache et l'a déposée sur le toit de la grange. Parce qu'il ne disposait pas d'une grue, mon père a dû grimper là-haut avec sa scie et découper la portion du toit où reposait l'animal. Aussitôt la dernière planche sectionnée, la vache a traversé le grenier à la verticale pour aller lourdement finir sa course dans l'énorme tas de foin aménagé sur le plancher du bâtiment. » Voici ce que j'en pense : ça ne s'est pas passé comme ça. Mais je considère cette histoire merveilleuse comme étant l'origine familiale de notre intérêt pour un usage, disons, poétique de la vie, et pour une certaine refonte du réel appuyée aux ressorts de l'imagination, à sa cause agissante, sa force occulte et morale.
Le vent léger de Jean-François Beauchemin

Et la maladie et la mort qui s’invitent.

Et c’est très beau, même si ça force un peu sur le mélo et le « c’était plus authentique avant »

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Un matin de l'été mille-neuf-cent-soixante-cinq, peu après le passage de la benne à ordures, la verroterie des dernières étoiles a cessé de scintiller, et la nuit noire du monde a majestueusement cédé sa place aux rayons poétiques et très anciens du soleil.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
À l’automne de l’année mille-neuf-cent-soixante-et-onze, une famille composée de six enfants délurés et de leurs parents vit une existence paisible à la campagne. La mère, bientôt malade, est l’objet de l’attention tendre et des soins empressés du père et de ces enfants aimants, à la fois graves et légers, introspectifs et expressifs. À leur récit de ce passage obligé par le malheur et le chagrin s’enchevêtrent divers événements ponctuant l’histoire récente du Québec et du monde. Comme si l’aventure humaine n’était en vérité ni petite ni grande, mais jalonnée de faits, de courants et de hasards, tragiques ou frivoles, formant à la fin un collier, ou une chaîne, celle de cette existence dérisoire et merveilleuse que nous traversons tous.

Kukum

Kukum m’a fait pleurer deux fois. Par la beauté des premiers instants et par l’horreur de la fin.

C'est difficile d'expliquer le territoire d'avant. Le bois d'avant les coupes à blanc. La Péribonka d'avant les barrages. Il faut imaginer une forêt sautant d'une montagne à l'autre jusqu'au-delà de l'horizon, visualiser cet océan végétal balayé par le vent, réchauffé par le soleil. Un monde où la vie et la mort se disputent la préséance et au milieu duquel coule, entre des berges sablonneuses ou des falaises austères, une rivière qui ressemble à un fleuve. C'est ardu à expliquer parce que cela n'existe plus. Les usines à papier ont dévoré la forêt. La Péribonka a été soumise et souillée. D'abord par la drave, puis par les barrages qui ont avalé ses chutes impétueuses et créé des réservoirs dont l'eau nourrit maintenant les centrales électriques.
Kukum de Michel Jean

L’histoire de l’arrière-grand-mère de l’auteur, Almanda Siméon née en 1882, qui épousa un jeune indien Innu. Une histoire d’amour magnifique au milieu du grand nord canadien. Une belle, très belle histoire qui aurait pu durer toujours.

Jusqu’à ce que Michel Jean nous rappelle brutalement à la réalité…

Et à l’annihilation de peuples premiers en détruisant les forêts, les lacs, la langue et les traditions par le « progrès », la sédentarisation, l’alcool, la langue, les pensionnats…

Un livre aussi beau que terrible

Et voilà que deux semaines après, je tombe sur cette info de Radio Canada : Protection de l’enfance : l’APN confirme qu’Ottawa versera 48 G$ pour réformer le système.

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Une mer au milieu des arbres. De l'eau à perte de vue, grise ou bleue selon les humeurs du ciel, traversée de courants glacés. Ce lac est à la fois beau et effrayant. Démesuré. Et la vie y est aussi fragile qu'ardente. Le soleil monte dans la brume du matin, mais le sable reste encore imprégné de la fraîcheur de la nuit. Depuis combien de temps suis-je assise face à Pekuakami?


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Almanda a 15 ans quand elle tombe amoureuse de Thomas, jeune Innu de l'immense lac Pekuakami. Orpheline québécoise d'origine irlandaise, elle quitte les siens pour le suivre dans cette existence nomade, brisant bientôt les carcans imposés aux femmes autochtones pour apprendre la chasse et la pêche. Ancré dans une nature omniprésente, sublime et très vite menacée, son destin se mêle alors à celui, tragique, d'un peuple ancestral à la liberté entravée.