La danseuse

Cette danseuse est un pur Modiano.

Il se promène dans Paris, fait des rencontres et se souvient. Tout ça dans un style éblouissant.

Il y en a eu souvent des promenades comme celle-là. À la sortie du studio Wacker, elle avait besoin, me disait-elle, de marcher. J'attendais que le cours finisse, assis tout au fond du studio pour ne gêner personne, dans le renfoncement d'une fenêtre qui donnait sur la rue de Douai.
La danseuse de Patrick Modiano

Alors oui, c’est vraiment beau !

Mais quel ennui

Ah, oui, et aussi, il y a une danseuse

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Brune? Non. Plutôt châtain foncé avec des yeux noirs. Elle est la seule dont on pourrait retrouver des photos. Les autres, sauf le petit Pierre, leurs visages se sont estompés avec le temps. D'ailleurs, c'était un temps où l'on prenait beaucoup moins de photos qu'aujourd'hui.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« La danseuse arrivait, le matin, à sept heures quarante-cinq, gare du Nord. Ensuite le métro jusqu'à la place de Clichy. Le bâtiment du studio Wacker était vétuste. Au rez-de-chaussée, une dizaine de pianos d'occasion, rangés en désordre comme dans un dépôt. Aux étages, une sorte de cantine avec un bar et les studios de danse. Elle prenait des cours avec Boris Kniaseff, un Russe que l'on considérait comme l'un des meilleurs professeurs... Une odeur particulière de vieux bois, de lavande et de sueur. »

Mensonges au paradis

Il y a dans ces romans autobiographiques un petit quelque chose qui me dérange. Ne pas pouvoir trancher entre le vrai et l’imaginaire me gène. Pourtant, en quoi cela pourrait-il changer la lecture ? Je ne sais pas trop, mais je n’arrive pas à m’y faire. Certes, pour des questions juridiques, je peux comprendre qu’on s’en tienne au terme « roman », mais même là encore, reste un goût d’inassumé.

En plus, dans ce livre qui explore justement la fiabilité des souvenirs et cette tendance que nous avons tous à remodeler notre mémoire pour la rendre consistante, n’aurait-il pas justement fallu trouver un autre mot ? Un terme indiquant qu’il s’agit d’un livre basé sur des souvenirs, forcément inexacts et remodelés par les années et qui n’engagent en rien de plus ?

J'hésitais.
Si j'avais l'intention de travailler sérieusement, il me fallait réexaminer notre montagne au risque de casser mes illusions. L'ignorance et l'oubli me conviennent bien, écrire un roman suisse m'aurait arrangée. Je devais donc y renoncer, consciente que la réalité aussi cruelle soit-elle était plus intéressante que la jolie histoire que j'avais commencé à imaginer.
Mensonges au paradis de Colombe Schneck

Retour sur des années heureuses dans un home d’enfants en Valais. Heureuses ? Vraiment ? Pour toutes et tous ?

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
C'est un grand chalet aux fenêtres encadrées par des volets peints en vert foncé.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« J'ai passé toutes mes vacances, de mes six ans à mes vingt ans, dans un Home d'enfants situé dans une vallée suisse. Comme à tant d'autres jeunes aux familles absentes, ces heures de marche dans la montagne, les punitions et les frites me plaisaient infiniment. Le chalet était tenu par la famille Ammann, les parents et leurs enfants Patou et Vava. Trois décennies plus tard, je suis retournée dans la vallée, que j'ai trouvée intacte. Quand je commence à écrire ce livre, je le rêve pur comme ce passé. Mais j'apprends que Patou est en prison pour escroquerie, que Vava, mon amie d'enfance, est en souffrance psychique et passe ses journées sur les réseaux sociaux.

Sidérée, j'ai enquêté de manière obsessionnelle. Pourquoi ont-ils renoncé à la réalité pour vivre au pays du mensonge ? Mais répondre à cette question n'était pas suffisant : il m'a fallu ouvrir les yeux sur mes propres impostures. »

Odile l’été

C’est peu dire que l’érotisme féminin est généralement plus riche et diversifié que celui des auteurs masculins. Certes, on y trouve nombre de grosses bouses tant l’exercice est compliqué, mais de vraies pépites s’y retrouvent sous la plume de Anne Archet, Zoé Vintimille ou Belinda Cannone… pour ne citer qu’elles dans des registres très différents.

 - J'ai eu longtemps l'impression qu'on s'était jeté un sort l'une à l'autre. C'est con, je sais, mais j'essaie d'être la plus juste possible.
 - En étant défoncée ?
 - C'est défoncée que je suis la plus juste. On a commencé à fumer ensemble et c'est en fumant qu'on a pu se dire les choses qui comptaient vraiment. Je n'ai jamais eu d'usage plus intelligent des drogues qu'avec toi. Partout ailleurs, j'ai eu l'impression qu'on me donnait des drogues pour que je ne puisse plus m'échapper.
Odile l’été de Emma Becker

Dans cette collection Fauteuse de trouble, Julliard invite des autrices à jouer avec un érotisme féministe et émancipé. Et cette première lecture est une réussite.

C'est peu dire qu'Odile, en rentrant chez elle, s'étend sur son lit, dans sa chambre aux volets clos, bras et jambes écartés. Quatorze heures, l'heure blanche non, c'est trop tôt, Axel est trop sérieux pour ça, et puis il a une femme, et une petite fille, on est loin du film porno où des ouvriers nus sous leur salopette sortent nonchalamment leur chibre sur un simple regard de la petite dame en minirobe. Et puis, ils l'appellent patron... Est-ce qu'on baise une nana sous les yeux de son patron? Est-ce qu'on met sa bite là d'où le patron ressort à peine?
 - C'est ton rêve à toi, Odile, lui dis-je en allant me coucher. Ils mettent leur bite exactement là où tu leur dis de la mettre.

Deux copines d’enfance qui se sont perdues de vue depuis plus de dix ans partagent leur souvenirs. De leurs premiers émois ensemble à leurs fantasmes de femmes en passant par leurs expériences (très) diverses.

Un magnifique roman sur le désir et le plaisir

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
J'ai rêvé d'Odile cette nuit. C'est assez rare pour que je le note. Petite, je rêvais beaucoup d'elle, comme de mes parents; c'étaient les rêves les plus graves de ma vie, et puis ça m'est passé. Ce qui devrait m'étonner, c'est de ne pas retrouver Odile en rêve plus souvent.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Odile et moi, petites filles, courons dans le maquis qui entoure sa maison, elle habite à l'époque dans cette même grande villa à Cavalaire. Nous disparaissons des heures à la recherche d'un semblant de grotte planquée derrière un buisson de lentisque, une lampe torche à la main, et c'est là, pour la première fois, que nous inventons ce jeu qui nous tiendra en haleine jusqu'à la fin de notre adolescence - le petit copain et la petite copine. Au début, ces explorations n'interviennent que dans notre caverne ; l'obscurité et la fraîcheur nous préservent de ce que nous sommes en train de faire plus que du regard possible des autres. C'est une bulle dans laquelle nous nous fondons des heures entières, avant de ressortir comme si rien ne s'était passé, comme si nous venions de faire une partie de ballon, et nous n'en reparlons jamais, jusqu'à la fois d'après. »

La vie clandestine

En mai, je lisais La fille de Deauville de Vanessa Schneider et voilà que je retombe dans la même histoire qui marqua la France dans les années 70, le groupe terroriste Action Directe. Pour autant, nulle similitude dans le traitement de ce sujet.

Dans une certaine mesure, j'emploie encore ce procédé aujourd'hui. Le meilleur moyen de ne pas être déçue, enragée ou désespérée par une réponse consiste encore à ne pas poser la question. Pas de questions, pas de réponses.
C'est simple. Je m'entretiens avec les livres, ceux que je lis, ceux que j'écris, loin, très loin des vivants. Mais cela ne marche plus très bien. Avec cette enquête, je poursuis quelque chose, tel un explorateur sur les traces d'une bête, mais par un étrange retournement de situation, on dirait que cette chose est derrière moi. A mes trousses. La nuit, dans mes songes, je cours dans la neige, chaussée de bottes de ski, traquée par un ours. Ou par un tigre qui s'échappe d'une cage dont on a déverrouillé la porte. Et puis, Yves S. surgit, c'est lui qui a ouvert l'enclos. Je mène une double vie, l'une diurne, l'autre nocturne, et aucune d'elles ne se déroule ici, maintenant. Il est peut-être temps de cesser de visiter des magazines et des souvenirs.
La vie clandestine de Monica Sabolo

Alors que la fille de Deauville s’intéressait à Joëlle Aubron, Monica Sabolo s’attelle à reconstruire une histoire plus complète, plus intime du groupuscule. Ce faisant elle s’interroge sur son identité, ses propres secrets de famille et laisse resurgir un incestueux beau-père.

Une (auto)biographie ou tout se mêle, s’interroge et se répond. Un livre où la recherche du pardon se confronte à la violence d’hier

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Je ne sais plus comment cela a commencé. Comment j'en suis arrivée à commander sur eBay, moyennant la somme de soixante euros, une buse naturalisée avec une queue tordue, juchée sur une branche.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
"Je tenais mon sujet. Un groupe de jeunes gens assassinent un père de famille pour des raisons idéologiques. J'allais écrire un truc facile et spectaculaire, rien n'était plus éloigné de moi que cette histoire-là. Je le croyais vraiment. Je ne savais pas encore que les années Action directe étaient faites de tout ce qui me constitue : le silence, le secret et l'écho de la violence". La vie clandestine, c'est d'abord celle de Monica Sabolo, élevée dans un milieu bourgeois, à l'ombre d'un père aux activités occultes, disparu sans un mot d'explication. C'est aussi celle des membres du groupe terroriste d'extrême gauche Action directe, objets d'une enquête romanesque qui va conduire la narratrice à revisiter son propre passé. Comment vivre en ayant commis ou subi l'irréparable ? Que sait-on de ceux que nous croyons connaître ?

Mon père, ma mère et Sheila

Comme un albums de souvenirs, cette petite collections d’instants parle d’enfance, de la famille, de l’école, d’homosexualité et de Sheila.

Curieusement, mon grand-père espérait que mes parents lui feraient une petite-fille. Si son vœu avait été exaucé, je me serais prénommé Christine. Fâché que l'aîné de ses petits-enfants ait un zizi, il n'est pas venu voir ma bobine à la clinique.
Je m'appelle Éric.
Mon père, ma mère et Sheila de Éric Romand

C’est souvent très drôle mais cette drôlerie un peu triste, comme si en dépit de tout, il fallait quand même garder le sourire.

La majeure partie de ma cagnotte me servait à acheter les quarante-cinq tours que Sheila sortait à une fréquence effrénée. J'écrivais mon prénom sur les pochettes et les classais dans le range-disque de la table de mon électrophone.

Et c’est très touchant

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Londres, 1er janvier 2012. Je suis heureux. J'ai bien l'intention de jouir de ce premier voyage avec toi. De retour à l'hôtel après une longue balade, nous faisons l'amour et nous endormons l'un contre l'autre.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
C’est l’album d’une famille, issue d’un milieu populaire, avec ses codes, ses tabous, ses complexes, son ignorance, ses contentieux, dans les années 70 et 80. Le narrateur y raconte son enfance solitaire au milieu des turbulences. Pour son entourage, il a des goûts bizarres, des attitudes gênantes, des manières qui provoquent la colère de son père et la désolation de sa mère. Il dessine des robes et coiffe les poupées de sa sœur. Il fait son possible pour ne pas ajouter au malaise. Pour s’échapper, il colle son oreille à son mange-disque. Regarde les émissions de variétés scintillantes… Et admire une célèbre chanteuse dont il aime les robes à paillettes, les refrains joyeux. Il voudrait être elle. Il voudrait être ailleurs. Un premier roman tout en sensibilité sur fond de nostalgie douce amère et d’humour salutaire

Oublier Gabriel

Et voilà, je me suis fait cueillir par ce petit bouquin dans lequel – après quelques pages – je m’étais attendu à trouver une bluette estivale et rafraîchissante.

 - En effet, rien n'a vraiment changé, dit-elle.
Louise essuya ses chaussures sur le paillasson avant de pénétrer dans le hall. Elle posa sa veste sur le portemanteau à côté de l'armoire et se tourna pour faire face au miroir. Elle sursauta en voyant son reflet vieilli, autour des meubles qu'elle connaissait si bien. Doris passa près d'elle, jeta ses clés sur la bibliothèque. Sur celle-ci étaient appuyés plusieurs cadres dont les photos n'avaient pas changé depuis l'enfance. En face se trouvait sa chambre. Louise posa sa valise devant la porte, n'osant pas encore y entrer, voulant être seule pour le faire. 
Doris lui prit le bras.
- Je vais te faire un thé, dit-elle en gravissant rapidement les escaliers recouverts de moquette.
Oublier Gabriel de Karine Yoakim-Pasquier

Mais non, cette histoire va aller bien plus loin qu’une bande d’ado de la Riviera Vaudoise qui se retrouve quinze ans après pour un mariage.

C’est doux et subtil, les événements sont bien amenés et, petit à petit, le sujet devient plus lourd et pourtant impossible à lâcher.

Un brillant premier livre !

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Vevey, Suisse, 2001. Louise rentre au lycée où elle rencontre Gabriel. Vingt ans plus tard, installée à Milan, elle apprend que sa meilleure amie va se marier. Entre ces deux époques, le récit déroule une intrigue tragique où se mêlent amours adolescentes et affrontements en bande, remontant le temps pour éclairer le fils des événements : l'incendie d'un chalet, un meurtre, un suicide

Se réjouir de la fin

Voilà, c’est la fin. Dans un bloc de béton avec une centaine d’autres pensionnaires dont la moitié n’y résidera pas plus d’une année. Une fin de vie dans un établissement médicalisé. Des souvenirs pour tout bagage, un bagage qui diminue d’ailleurs.

Je n'ai plus qu'un présent à l'horizon, qui se réduit doucement en un mince rayon lumineux, trop mince pour contenir un seul mauvais souvenir, un seul ressentiment. Tout mon être se recompose, délicatement. Comme un vitrail, je recolle ces parts de moi en fresque colorée ; la lumière est orange, c'est la fin de l'après-midi. J'ai un sentiment de complétude infinie, suis fort de toutes les forces retrouvées, de tous les soldats enfin rentrés, de tous les pardons accordés. J'ai la force tranquille de celui qui est prêt à partir, à partir en paix.
Se réjouir de la fin de Adrien Gygax

Un moment de réjouissance. Voilà, c’est bientôt fini, je suis prêt, la vie est belle. Elle se termine. Bonheur du crépuscule.

Je ne sais pas si j’y crois, mais c’est très poétique

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Lâcher prise
22 avril 2019
J'ai vécu les poings serrés, me suis agrippé à bien des choses, n'ai rien voulu lâcher. Je tenais à ceci et à cela, tout me semblait devoir dépendre de moi. Voilà un défaut tout à fait humain, nous nous croyons responsables de tout.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Je suis prêt, m'efface délicatement derrière l'éclat d'une dernière joie : celle de voir ma vie se terminer. Je m'en réjouis comme j'ai dû me réjouir de voir ma vie commencer. Je m'en réjouis comme d'une évidence absolue, et parce que je suis enfin conscient et certain, là, maintenant, de la joie inouïe qu'est la vie. »

Tels sont les mots du résident d'une maison de retraite qui nous raconte son histoire et ses bonheurs d'homme au crépuscule de la vie. Hédoniste et mélancolique, il contemple les beautés et les douceurs qui l'entourent.
Un roman qui porte une voix rare, d'une grande délicatesse. Une tendre méditation sur la vie, le temps et la nature

Je n’ai pas peur

Dans le Sud de l’Italie, dans la chaleur et la rudesse de la pauvreté, Michele, un gamin découvre au fond d’un trou un autre enfant de son âge attaché, séquestré.

Maman ne s'asseyait jamais à table avec nous.
Elle nous servait et elle mangeait debout. Son assiette posée sur le frigo. Elle parlait peu, et restait debout. Elle était toujours debout. A cuisiner. A laver. A repasser. Si elle n'était pas debout, alors elle dormait. La télévision l'ennuyait. Quand elle était fatiguée, elle se jetait sur le lit et elle mourait.
Je n’ai pas peur de Niccolò Ammaniti

Tiraillé entre la peur du père et le respect de l’autorité, les amitiés et secrets d’enfants, les copains roublards ou fidèles et les adultes terrifiants, la curiosité, la droiture, le devoir et les croyances et la chaleur de l’été Michele peine à s’en sortir

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
J'allais dépasser Salvatore quand j'ai entendu ma sœur hurler. Je me suis retourné et je l'ai vue disparaître, engloutie par le blé qui recouvrait la colline.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Italie, 1978. L'été le plus chaud du siècle. Dans un petit hameau perdu des Pouilles, les parents se terrent dans la fraîcheur des maisons tandis que leurs enfants, en vadrouille au cœur de la campagne brûlante, jouent à se donner des gages. Un jour, une expédition les conduit dans les entrailles d'une maison abandonnée. Par accident, le jeune Michele tombe au fond d'un trou creusé dans le sol. Une sinistre découverte l'y attend : il y a là un enfant nu, l'air malade et faible, presque sauvage. Un face à face s'engage entre les deux garçons qui s'apprivoisent mutuellement. Et une question se pose bientôt à Michele : qui a bien pu enchaîner cet enfant ici, comme un animal ?
Avec une histoire qui oscille entre roman policier et récit initiatique, mêlant suspense, horreur et poésie, Ammaniti signe le livre qui allait le révéler au monde entier

Première personne du singulier

Que dire de ce recueil de nouvelles un peu quelconques d’un auteur si talentueux. Qu’il a besoin de se raconter, qu’il est en panne de créativité, qu’il vieillit, qu’il se retrouve en manque de liquidités ?

Première personne du singulier de Haruki Murakami

Huit nouvelles pas forcément désagréables qui parlent de lui, de souvenirs, de musique, de rencontres féminines, de baseball ou même parfois un peu fantastiques avec un singe qui savait parler (et qui sauve ce recueil).

La sensation de passer une soirée avec un grand-père qui raconte des anecdotes de sa longue vie :
– en 1964, je me souviens, les Beatles chantaient « I Want to Hold Your Hand »

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Sur un oreiller de pierre
Ce dont je veux parler ici, c'est d'une jeune femme.
À vrai dire, je ne sais absolument rien d'elle. Je ne me souviens même pas de son nom ou de son visage. Et il y a tout à parier qu'elle non plus ne se rappelle ni mon nom ni mon visage.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Après le succès de Des hommes sans femmes, Murakami renoue avec la forme courte. Composé de huit nouvelles inédites, écrites, comme son titre l'indique, à la première personne du singulier, un recueil troublant, empreint d'une profonde nostalgie, une sorte d'autobiographie déguisée dont nous ferait cadeau le maître des lettres japonaises.

Un homme se souvient
De la femme qui criait le nom d'un autre pendant l'amour
Du vieil homme qui lui avait révélé le secret de l'existence, la « crème de la crème » de la vie
De Charlie Parker qui aurait fait un merveilleux disque de bossa-nova s'il en avait eu le temps
De sa première petite amie qui serrait contre son coeur le vinyle With the Beatles
Des matchs de base-bail si souvent perdus par son équipe préférée
De cette femme si laide et si séduisante qui écoutait le Carnaval de Schumann
Du singe qui lui avait confessé voler le nom des femmes qu'il ne pouvait séduire
De ces costumes qu'on endosse pour être un autre ou être davantage nous-même.

Un homme, Murakami peut-être, se souvient que tous ces instants, toutes ces rencontres, anodines ou essentielles, décevantes ou exaltantes, honteuses ou heureuses, font de lui qui il est

Un barrage contre L’Atlantique

Assis dans un fauteuil dans une belle propriété de son ami (bientôt ex-ami ?) au bout du Cap-Ferret, Frédéric se désole de vieillir.

Un barrage contre l’Atlantique : un roman français, tome 2 de Frédéric Beigbeder

Mais hélas, l’Atlantique, vagues après vagues, une marée après l’autre grignote les côtes aussi inexorablement que les années grisonnent les tempes des cinquantenaire.

Le petit Frédo nostalgise en se lamentant…

… mais au moins, ne s’évertuait-il pas à faire des phrases dans son roman français

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Je voudrais faire ici un aveu : je suis complotiste.

Je pense que la nature conspire pour éradiquer l'homme.

L'être humain ayant causé trop de dégâts à la surface de la Terre, il est logique qu'elle songe à s'en débarrasser.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Au hasard d’une galerie de Saint-Jean-de-Luz, Frédéric Beigbeder aperçoit un tableau représentant une cabane, dans une vitrine. Au premier plan, un fauteuil couvert d’un coussin à rayures, devant un bureau d’écrivain avec encrier et carnets, sur une plage curieusement exotique. Cette toile le fait rêver, il l’achète et soudain, il se souvient : la scène représente la pointe du bassin d’Arcachon, le cap Ferret, où vit son ami Benoît Bartherotte. Sans doute fatigué, Frédéric prend cette peinture pour une invitation au voyage. Il va écrire dans cette cabane, sur ce bureau.
Face à l’Atlantique qui à chaque instant gagne du terrain, il voit remonter le temps. Par vagues, les phrases envahissent d’abord l’espace mental et la page, réflexions sur l’écriture, la solitude, la quête inlassable d’un élan artistique aussi fugace que le désir, un shoot, un paysage maritime. Puis des éclats du passé reviennent, s’imposent, tels « un mur pour se protéger du présent ». A la suite d’Un roman français, l’histoire se reconstitue, empreinte d’un puissant charme nostalgique : l’enfance entre deux parents divorcés, la permissivité des années 70, l’adolescence, la fête et les flirts, la rencontre avec Laura Smet, en 2004… Temps révolu. La fête est finie. Pour faire échec à la solitude, reste l’amour. Celui des siens, celui que Bartherotte porte à son cap Ferret. Et Beigbeder, ex dandy parisien devenu l’ermite de Guétary , converti à cette passion pour un lieu, raconte comment Bartherotte, «Hemingway en calbute», s’est lancé dans une bataille folle contre l’inéluctable montée des eaux, déversant envers et contre tous des millions de tonnes de gravats dans la mer. Survivaliste avant la lettre, fou magnifique construisant une digue contre le réchauffement climatique, il réinvente l’utopie et termine le roman en une peinture sublime et impossible, noyée d’eau et de soleil. La foi en la beauté, seule capable de sauver l’humanité.

Une expérience de lecture, unique et bouleversante, aiguisée, impitoyable, poétique, et un chemin du personnel à l’universel