L’empreinte de l’ange

Comme une histoire en poupées russes, l’empreinte de l’ange apporte de nombreuses couches de lectures. Une histoire de l’après-guerre avec l’impossible héritage des crimes des parents, l’abandon de soi et de la vie, le (les) coup de foudre amoureux et la passion, la maternité non désirée, la xénophobie et l’antisémitisme, l’adultère, la quatrième république, la guerre d’Algérie vécue à Paris, le FLN et l’OAS, le massacre du 17 octobre 1961 et les corps des algériens dans la Seine.

L’empreinte de l’ange de Nancy Huston

Beaucoup de facettes pour un livre et pourtant, tout s’y lie avec fluidité, la grande histoire rejoint la vie, tout se croise dans un tourbillon absolument maîtrisé.

Un livre d’une grande douceur et d’une dureté glaciale qui emporte et coupe le souffle.

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Elle est là, Saffie. On la voit.
Face blanche. Ou pour mieux dire : blafarde.
Elle se tient dans le couloir sombre du deuxième étage d'une belle maison ancienne rue de Seine, elle est debout devant une porte, sur le point de frapper, elle frappe, une certaine absence accompagne tous ses gestes.
Elle est arrivée à Paris il y a quelques jours à peine, dans un Paris qui tremblotait derrière la vitre sale, un Paris étranger, gris, plomb, pluie, gare du Nord. Ayant pris le train à Düsseldorf.
Elle a vingt ans.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Saffie, l'énigmatique et belle figure de proue du livre, Gabriel, le musicien que l'amour va précipiter en enfer, Emil, l'enfant qui est venu par la rencontre foudroyante de ces deux-là, et Andras, l'émigré souverain, luthier et militant politique, entraînent le lecteur dans une aventure où sont dépecés la mémoire, les espérances et les crimes de notre temps...

D’oncle

Un oncle bien curieux et un livre tout autant. Un style d’écriture assez foufou ou les paragraphes (qui sont souvent aussi long qu’une page) ne sont souvent composés d’une phrase à rallonge entrecoupée de « et » et de virgules. L’histoire d’un oncle en Bretagne un peu simple, un peu original, franchement cracra dans une maison au bord de mer.

D’oncle de Rebecca Gisler

Une histoire touchante et amusante qui sent le vécu. Celle d’un oncle aussi attachant que repoussant

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Une nuit, je me suis réveillée avec la certitude que l'oncle s'était enfui par le trou des toilettes, et alors, poussant la porte des cabinets, j'ai constaté que l'oncle, en effet, s'était échappé par le trou des toilettes, et sur le carrelage il y avait un tas de confettis de papier hygiénique et des plumes blanches par centaines, comme si quelqu'un y avait fait une bataille de polochons, et la cuvette des toilettes ainsi que les murs étaient badigeonnés de poils et de toutes sortes de fientes, et regardant le petit trou de faïence, je me suis dit que ça n'avait pas dû être facile pour l'oncle, et je me suis demandé ce que j'allais pouvoir faire pour le sortir de là, sachant que l'oncle doit peser un bon quintal, et j'ai tout d'abord pris la brosse des toilettes et je l'ai enfoncée le plus loin possible dans le trou au fond duquel stagnait une eau brunâtre, et j'ai remué la brosse mais ça ne servait à rien, peut-être l'oncle avait-il déjà atteint la fosse septique, et remuant ainsi, l'eau marécageuse débordait sur le sol, charriant dans son flot de répugnantes matières, et je glissais et mes genoux s'enfonçaient dans ce conglomérat, et je me serais presque crue dans la baie, juste après que la mer s'est retirée, quand tout est bien vaseux et nauséabond.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
D'oncle raconte l'histoire d'un oncle. D'un homme-limite jamais grandi, coincé depuis cinquante ans quelque part en enfance et au bord de la mer, au bout du monde.
À la faveur de circonstances exceptionnelles, la narratrice est amenée à observer de près cet homme à l'hygiène douteuse, aux manies bizarres, à la santé défaillante, aux proportions anormales, définitivement trop petit, trop gros et trop boiteux pour ce monde.
En filigrane, c'est le portrait d'une famille et d'une époque qui se dessine. Biscornues comme toutes les familles et toutes les époques. Ou disons un peu plus

Changer : méthode

Edouard Louis semble avoir un inépuisable besoin de réparer. De se réparer, réparer ses amitiés perdues, réparer ses regrets, ses erreurs…

Changer : méthode de Édouard Louis

Un livre qui tente de revenir aux sources pour expliquer ses fuites, défendre ses choix, prouver son honnêteté, dissiper les malentendus et justifier ses maladresses.

Une biographie de ses choix de vie et de ses motivations. Mais aussi un témoignage duquel semble affleurer une constante culpabilité.

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
«Une question s'est imposée au centre de ma vie, elle a concentré toutes mes réflexions, occupé tous les moments où j'étais seul avec moi-même : comment est-ce que je pouvais prendre ma revanche sur mon passé, par quels moyens ? J'essayais tout»

Ce qui plaisait à Blanche

Jean-Paul Enthoven a une belle plume. Avec un style à la fois riche et fluide, il évite les trop nombreux clichés qui empâtent l’érotisme cheap et monte assez brillamment la tension tout au long du livre. Pour ça, bravo, même si cette écriture pourrait sembler un peu désuète aujourd’hui.

Je rappellerai que mes émotions, jusque-là, ne s'étaient jamais laissé incendier à la va-vite. Au contraire, je les avais toujours si bien contrôlées, et si efficacement refroidies, et si bien enrichies de déception anticipée, que les grands sentiments, les sentiments perchés, les roucoulements, les frissons d'âme, se sachant malvenus, m'avaient toujours épargné.J'en étais même arrivé à me convaincre que la par tie, pour moi, était perdue - ce qui pouvait signifier, en changeant de point de vue, qu'elle était gagnée. Et que, partant, je ne ferais jamais l'expérience des nirvanas laïcs (promis par l'état amoureux) qui ont si fameuse réputation parmi les moins intéressants de mes contemporains. Class acous sliques)
Ce qui plaisait à Blanche de Jean-Paul Enthoven

Dans ce livre, ode au luxe, aux bifs qu’on laisse tomber sans compter, aux costumes de lin et aux grands hôtels de la côte amalfitaine, on rencontre un homme classe et cultivé citant Aragon et Baudelaire envouté par la sublime et inaccessible Blanche de N.

Une romance impossible, une soumission ardente, une histoire d’amour impossible qui se refuse à elle même dans une tension érotique ou se mêlent les plus belles femmes aux hommes les plus beaux dans de splendides appartements aux domestiques magnifiques… Oui, au bout d’un moment, c’est un peu too much !

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
«Certains êtres sont parfois des virtuoses involontaires de l'instrument que nous sommes. Et ils le sont parce qu'un don mystérieux leur a offert un accès immédiat, presque violent, à ce que, d'ordinaire, nous dissimulons.
Ces êtres, que nous identifions à peine quand le hasard nous met en leur présence, jouent d'instinct de cet instrument, donc de nous-mêmes. Rien, pourtant, ne les a préparés à l'exercice auquel ils vont exceller sans le savoir.
Parfois, ils y prennent du plaisir. Parfois, ils s'en acquittent sans y songer. Comme des despotes qui se sentent obligés d'être despotiques, par conformité à leur nature, et presque à leur insu.
Ces êtres sont redoutables car ils vont nous gouverner avant même d'avoir pris la peine de le vouloir.
Mais nous aimons à la folie l'illusion qu'ils nous procurent d'être compris, ainsi que les doses de ravissement qu'ils ont versées dans notre existence - en même temps qu'ils y ont versé leurs doses de venin.
Blanche faisait partie de ces êtres-là...»

Sidérations

Voilà un livre qui embrasse tout l’univers. Tant que ça risque d’en être trop. Pourtant, Richard Powers semble réussir à rester sur le fil.

Dans une Amérique qui sombre dans la fin des année Trump (même s’il n’est jamais nommé), en plein effondrement environnemental (oui, nous y sommes), un père astronome spécialisé dans la recherche de vie extraterrestre se débat avec son fils et ses difficultés à gérer sa colère alors qu’ils sont les deux en plein deuil de la perte de leur femme et mère.

Sidérations de Richard Powers

Ils tentent alors une thérapie expérimentale qui permettra à l’enfant de mieux gérer ses émotions à l’aide d’une intelligence artificielle. Après quelques approximations déontologiques dans le traitement, le livre sombre lentement, à l’instar de notre terre, dans une autodestruction qui semble inéluctable.

Sidération à la fin du livre ! Ne sachant si j’ai vraiment aimé, si je trouve le résultat kitsch ou brillant, candide ou convaincant… Oui, sidéré !

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Depuis la mort de sa femme, Theo Byrne, un astro-biologiste, élève seul Robin, leur enfant de neuf ans. Attachant et sensible, le jeune garçon se passionne pour les animaux qu'il peut dessiner des heures durant. Mais il est aussi sujet à des crises de rage qui laissent son père démuni.
Pour l'apaiser, ce dernier l'emmène camper dans la nature ou visiter le cosmos. Chaque soir, père et fils explorent ensemble une exoplanète et tentent de percer le mystère de l'origine de la vie.
Le retour à la « réalité » est souvent brutal. Quand Robin est exclu de l'école à la suite d'une nouvelle crise, son père est mis en demeure de le faire soigner.
Au mal-être et à la singularité de l'enfant, les médecins ne répondent que par la médication. Refusant cette option, Theo se tourne vers un neurologue conduisant une thérapie expérimentale digne d'un roman de science- fiction. Par le biais de l'intelligence artificielle, Robin va s'entraîner à développer son empathie et à contrôler ses émotions.
Après quelques séances, les résultats sont stupéfiants.
Mettant en scène un père et son fils dans une Amérique au bord du chaos politique et climatique, Richard Powers signe un roman magistral, brillant d'intelligence et d'une rare force émotionnelle, questionnant notre place dans l'univers et nous amenant à reconsidérer nos liens avec le vivant

Le château d’Otrante

Premier roman gothique (1764), le château d’Otrante est quand même un peu… pompeux, amphigourique et grandiloquant en usant tout au long de superlatifs à n’en plus finir…

Le château d’Otrante de Horace Walpole avec ill. de Salvador Dalì

Bon, c’est rigolo et plutôt intéressant pour qui souhaite découvrir le début de ce style qui donnera quand même quelques chef d’oeuvres tels que le Moine ou Frankenstein, pour ne citer qu’eux.

Illustration de Salvador Dali
Illustration de Salvador Dali

Horreur, foi, fantastique, chevalerie, intrigues, passion et malédictions au rendez-vous dans une édition plutôt mal fichue illustrée de quelques reproductions de Salvador Dalì

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Une « histoire gothique » ? C'est ainsi qu'Horace Walpole définit son Château d'Otrante, un conte où se côtoient un spectre, un casque géant, une épée monstrueuse, une statue qui saigne, un moine, des princesses et un tyran retranché dans son château fort. Esthète et lord anglais, Horace Walpole (1717-1797), compose ainsi le premier roman gothique de la littérature occidentale. Le Château d'Otrante, avec son tragique exacerbé qui laisse place à un grotesque volontairement démesuré, pose les jalons des récits fantastiques et des romans noirs des siècles à venir

Vivre la nuit, rêver le jour : souvenirs

En 2011-2012, Christophe a eu envie d’écrire sa vie – la nuit, des anecdotes, des rencontres, ses femmes et conquêtes, sa fille, les voitures et le poker.

Vivre la nuit, rêver le jour : souvenirs de Christophe

Il a eu aussi besoin de parler de sa création, du son, de l’expérimentation musicale, de ses disques, de sa vision de la musique, et aussi de son rapport à la célébrité.

Il en ressort un livre aux phrases courtes (comme il parlait, d’ailleurs), bourré de name dropping et d’égo, ni déplaisant, ni surprenant tant il semble correspondre à l’image qu’il donnait de lui. Un livre somme toute assez cohérent et paru à sa demande en 2021

Le livre se termine avec une sélection des textes et poèmes qu’il a écrit… quelques mots bleus

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Personne ne peut expliquer vraiment qui il est ni ce qu'il aime. Il y a trop de paramètres cachés et mystérieux. Pour créer, je me sers de ces choses qui sont terriblement secrètes et ancrées en moi, de souvenirs très importants. Plus j'avance, plus je reviens en arrière, plus j'aime l'intouchable que j'étais. »

Les souvenirs bruts et incandescents de la plus singulière étoile de la chanson française.

Enfant d'une famille italienne aimante mais chaotique, jeune dragueur de Saint-Germain-des-Prés, fan d'Elvis et de John Lee Hooker, version frenchy de James Dean, dandy moustachu en smoking crème, fou de bagnoles, chasseur de sons aux verres fumés, Christophe a traversé avec élégance les époques sans jamais se démoder.

Du Golf-Drouot à la salle Pleyel, du hit-parade au frisson underground, ses souvenirs dessinent une autre histoire de la chanson française. Esthète, obsessionnel, anticonformiste, Christophe s'apprêtait à publier le récit sans filtre de son existence quand la mort s'est interposée

Les grandes oubliées : pourquoi l’Histoire a effacé les femmes

Quel essai remarquable ! Sans même parler du sujet, il est facile à lire, drôle (vraiment, très !) et sa structure linéaire reste pleine de rebondissements. Un vrai page turner !

Les grandes oubliées : pourquoi l’Histoire a effacé les femmes de Titiou Lecoq

Pour parler du fond, c’est une révélation à quasi chaque chapitre. Dans le même ordre d’idée que ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire, ce sont les hommes qui ont rédigé les manuels, publié les encyclopédies, effectué les recherches, justifié leur position et, finalement, effacé les femmes.

Et ce livre le démontre aisément : oui, les femmes ont toujours été présentes, actives, puissantes et agissantes. Si nous ne les retrouvons pas dans nos livres d’histoire c’est qu’elles en ont été effacées. Et ce, des grottes de la préhistoire jusqu’à aujourd’hui.

L’histoire de l’égalité n’est pas récente, elle est préhistorique et est faite d’avancées comme de reculs. Non, rien n’est gagné à tout jamais.

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
De tout temps, les femmes ont agi. Elles ont régné, écrit, milité, créé, combattu, crié parfois. Et pourtant elles sont pour la plupart absentes des manuels d'histoire.

« C'est maintenant, à l'âge adulte, que je réalise la tromperie dont j'ai été victime sur les bancs de l'école. La relégation de mes ancêtres femmes me met en colère. Elles méritent mieux. Notre histoire commune est beaucoup plus vaste que celle que l'on nous a apprise. »

Pourquoi ce grand oubli ? De l'âge des cavernes jusqu'à nos jours, Titiou Lecoq s'appuie sur les découvertes les plus récentes pour analyser les mécanismes de cette vision biaisée de l'Histoire. Elle redonne vie à des visages effacés, raconte ces invisibles, si nombreuses, qui ont modifié le monde. Pédagogue, mordante, irrésistible, avec elle tout s'éclaire. Les femmes ne se sont jamais tues. Ce livre leur redonne leurs voix

Parles-tu la langue ?

Trop gourmand pour prendre plaisir à la poésie, il me faut me tenir, m’imposer un instant, m’empêcher la vitesse et ignorer l’urgence de finir. C’est un effort.

Mais certains moments en valent la peine, c’est le cas avec ce délicat recueil de poésie de Nathalie Berthod.

Parles-tu la langue de Nathalie Berthod

Un moment à s’offrir, une tendre pause, une délicatesse qu’on ne referme qu’avec cette promesse de retrouvailles

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Parles-tu la langue ? Mais quelle langue ? Une langue universelle. Nathalie Berthod part à la quête des rêves, des amours et des mots pour les dire… Elle cherche les ponts, les ailes, les frontières, une terre sous ses pieds, elle se déplace avec lenteur entre les images, les sons, les odeurs, parfois les douleurs. Tout se mélange sur la toile de la vie, où elle aime se perdre pour tout recommencer

Robinsons père et fils : à Madagascar, l’île aux Nattes

Immédiatement après avoir lu la bande dessinée qui m’avait beaucoup touché, j’ai commandé le petit livre qui lui avait donné naissance.

Robinsons père et fils : à Madagascar, l’île aux Nattes de Didier Tronchet

Et au début de ma lecture, j’ai eu un peu peur d’être déçu, de ne pas y retrouver l’humour, de regretter les images si parlantes qui épargnaient bien des mots. Puis, petit à petit, je me suis laissé gagner par ce rythme différent, moins immédiat mais plus profond, plus intime et moins rigolard

Et j’ai été absolument conquis par sa tendre introspection, celle d’un père qui se retrouve confronté à l’adolescence de son enfant sur une île paradisiaque au large de Madagascar.

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Un îlot perdu dans l'océan Indien... quelques récits de voyageurs, une ou deux photos... il n'en faut pas plus à l'auteur pour quitter son univers urbain et s'expatrier plusieurs mois sur l'île aux Nattes, au large de Madagascar, quintessence du concept îlien, avec « la ferme intention de vivre sans les béquilles que la société moderne fait passer pour indispensables. »

Pourtant, une fois déchiré le voile du fantasme, la réalité rattrape vite le fugitif... À commencer par les réalités personnelles. Partir hors du monde n'est pas partir hors de soi...

Sur cette île sans issue, Didier Tronchet fait l'apprentissage d'une autre vie, non pas en solitaire, mais avec une bombe à retardement devant lui, sur la pirogue, un adolescent, son fils Antoine...