Mes battements

Croquis de voyages et souvenirs d’enfance, anecdotes et amusements, Albin de la Simone ouvre des petites fenêtres sur son intimité, c’est chou, poétique, délicat.

Ce que j'aime le plus dessiner, après mes instruments de musique, ce sont mes instruments de cuisine: mes condiments !
Ici, vinaigres de kaki, de riz, de prune Ume, de calamansi, de Banyuls, de xérès, balsamique blanc, huiles d'olive et de tournesol, sel de Guérande, poivre sanshō-ko et poivre noir.
Et ailleurs, nuoc-mam, yuzukoshō, kabosukoshō, huile de sésame, tsuyu, dashi concentré, ponzu, gingembre, citron vert, petimezi, shiso à l'huile d'olive, purées de piment, toutes sortes de sauces pimentées, miso, yaki niku sauce, mirin, sésame...
J'oubliais cette belle boîte en fer de chocolat en poudre hollandais Haarlem. Je l'ai toujours connue. Sur la face rouge, la sorte de religieuse porte un plateau sur lequel est posée une boîte de ce même chocolat, sur laquelle la sorte de religieuse porte un plateau sur lequel est posée une boîte de ce même chocolat...
Mon esprit d'enfant plongeait dans l'infiniment petit de cette mise en abyme tous les matins.
Mes battements de Albin de la Simone
Et comme pour ses chansons, ces textes courts partagent des instants pour s’évader, rire ou sourire.

Un livre qui s’offre avec une magnifique bande son

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Rome le 30 septembre 2024. Il est 11h du matin. Parti à 4h30 de chez moi, j'arrive à la Villa Médicis qui me fait le beau cadeau de m'inviter en courte résidence pour finir le livre que vous tenez entre les mains. Donc à l'heure où j'écris ces lignes, ce n'est encore qu'un tas de dessins et de textes plus ou moins ordonnés. J'ai du pain sur la planche. Car un premier livre de ce type, comme un premier disque, est un peu constitué d'une vie entière, et quand on a 50 ans passés, il y a du tri à faire. À partir du deuxième, si on a bien fait son boulot dans le premier, on part d'une page blanche ou, au pire, d'une page beige. Nous verrons.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Pour Albin de la Simone, avant la musique était le dessin. À la sortie de l'adolescence, l'envie de jouer, de composer, de chanter, a éclipsé tout le reste. Les encres et autres aquarelles ont été réduites au silence. L'éclipse a duré trente ans, jusqu'à ce qu'un nouvel accord se trouve. Aujourd'hui, le chanteur dessine et le dessinateur chante. Il dit son enfance, son chemin ; les couleurs de ses souvenirs, l'âme des lieux qu'il traverse, ce qui fait vibrer sa vie et la rythme.

Feux rouges

Monsieur se sent brimé, diminué par son épouse qui, elle, réussi fort bien sa vie professionnelle. Et lors d’un voyage en voiture alors qu’ils vont chercher leurs enfants, dans un geste d’affirmation fort maladroit de monsieur… tout dérape. N’est pas macho qui veut !

Il sortit de l'auto dont il referma la portière en évitant de regarder sa femme et s'efforça de marcher d'un pas ferme vers la porte du bar. Quand il se retourna, sur le seuil, elle n'avait pas bougé et il voyait son profil laiteux à travers la vitre.
Il entra. Des visages se tournèrent vers lui, que la fumée déformait comme des miroirs de foire et, lorsqu'il posa la main sur le comptoir, il sentit celui-ci gluant d'alcool.
Feux rouges de Georges Simenon
Et comme dans de très nombreux Simenon… L’alcool, beaucoup ! Cette fois-ci, du Rye (oui, c’est la période étasunienne), et cela m’a un peu rappelé Maigret voyage, mais l’ivresse était tout aussi délirante dans Betty que j’ai lu voilà deux jours.

Les temps changent-ils ? S’il vivait encore aujourd’hui, parsèmerait-il ses ouvrages d’autant de drogues diverses ? Cocaïne, héroïne, MDMA, crack, Fentanil, GHB, Oxycodone, kétamine, 4-MMC, méthamphétamine…

Un roman adapté par Cédric Kahn avec Jean-Pierre Darroussin, Carole Bouquet et Vincent Deniard

Le 79e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Il appelait ça entrer dans le tunnel, une expression à lui, pour son usage personnel, qu'il n'employait avec personne, à plus forte raison pas avec sa femme. II savait exactement ce que cela voulait dire, en quoi consistait d'être dans le tunnel, mais, chose curieuse, quand il y était, il se refusait à le reconnaître, sauf par intermittence, pendant quelques secondes, et toujours trop tard. Quant à déterminer le moment précis où il y entrait, il avait essayé, souvent, après coup, sans y parvenir.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Steve, qui souffre de la réussite professionnelle de sa femme, de son attitude protectrice et, surtout, d'une incapacité à «sortir des rails », demande parfois à l'alcool de mettre un peu de fantaisie dans son existence. C'est ce qui se produit, le jour où ils vont rechercher leurs enfants au camp de vacances. Mais bientôt une altercation s'élève entre eux et sa femme décide de rejoindre leurs enfants par le bus. Steve dispose d'une nuit de liberté qu'il passe à boire.

La vie continuée de Nelly Arcan

Nelly Arcan fascine pour beaucoup de raisons… certaines plutôt tordues. Toutefois, il me semble difficile de l’aborder en dissociant l’autrice de son oeuvre tant sa vie et ses livres se sont répondus dans une danse schizophrène.

La publication d'À ciel ouvert constitue un soubresaut médiatique. Certains s'amusent à exploiter le champ lexical érotique pour en rendre compte. Ils évoquent un quickie, sourient de ses vêtements sexy. L'allure un brin cagole de Nelly Arcan est évoquée dans chacune des rencontres. Le caractère irréconciliable de ce qu'elle dénonce dans ses livres et auquel elle prête pourtant le joug est reçu en paradoxe. Jamais il n'est affronté comme démonstration de son propos. Jamais il n'est traité pour ce qu'il est : le cœur du sujet.
La vie fait des farces.
Elle se charge de le prouver par l'exemple.
La vie continuée de Nelly Arcan de Johanne Rigoulot
Un grand écart, jamais satisfaisant entre le besoin de plaire et la douleur de cette injonction. Mais comment croire une victime aussi pratiquante ?

Une biographie pleine de tendresse et d’empathie

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Blonde aux cheveux longs, les traits délicats, elle offre un sourire constant, éclairé par des dents parfaites. Une poitrine atomique surplombe sa taille de guêpe. Ses jambes de plastique tendre et légèrement articulé sont fuselées. Quant aux pieds, minuscules, ils ont la cambrure d'un stiletto Louboutin.

Elle est haute de 28 centimètres.

La poupée Barbie apparaît entre les mains des fillettes dans les années 1960. Son corps répond aux normes de perfection de l'époque.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Une enquête intime dans l'oeuvre et la vie de Nelly Arcan, une réflexion sur l’écartèlement identitaire du féminin.

Dans un récit vif, interrogeant son propre rapport à la féminité et à l’évolution des codes de la séduction, Johanne Rigoulot explore les ferments que l’écrivaine Nelly Arcan nous a légués. Indissociable de la parution en 2001 de Putain, ovni littéraire sur son quotidien d’escorte à Montréal, et d’une image ultra-travaillée de blonde fatale, Nelly Arcan, qui s’est suicidée à 36 ans, est longtemps restée en marge du panthéon intellectuel. Trop sexy, trop fragile, trop québécoise. Pourtant, elle a exploré en visionnaire toute la complexité de la condition des femmes, prises entre besoin d’exister et impératif de plaire.

Betty

C’est une question qui me revient sans cesse en lisant Simenon aujourd’hui. Était-il raciste, sexiste, antisémite, colonialiste… ? Et à la fin, je retombe toujours sur la même réponse : c’était un témoin incroyablement doué de son époque.
Finalement, qui était-il importe moins que ce qu’il a écrit. Témoin d’une époque raciste, colonialiste, antisémite, patriarcale et sexiste.

Elle avait fini par y croire, était entrée, pleine de bonne volonté, d'enthousiasme, dans la peau de son nouveau personnage.
Tout cela était une erreur. Pas seulement à cause de son passé.
C'était une erreur parce que Guy et elle ne cherchaient pas la même chose. Il disait, fier et protecteur :
 - Tu es ma femme!
Est-ce que cela ne suffisait pas ? Sa femme! La mère de ses enfants! Celle à qui il revenait chaque soir pour lui raconter ses ennuis et ses espoirs.
Betty de Georges Simenon
Et ainsi, ce séducteur insatiable qui enchaînait pathologiquement les aventures comme les prostituées réussi à créer ce portrait d’une femme brisée à la dérive avec une grande sensibilité et beaucoup de finesse

Le 97e roman dur de Simenon

Un roman adapté au cinéma par Claude Chabrol en 1992 avec Marie Trintignant dans le rôle titre

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
- Vous désirez manger quelque chose ?
Elle fit non de la tête. Il lui semblait que la voix qu'elle entendait n'avait pas un son naturel, comme si on avait parlé derrière une vitre.
- Remarquez que quand je dis manger quelque chose, cela veut dire du lapin, car, comme vous pouvez le voir autour de vous, aujourd'hui c'est le jour du lapin. Tant pis si vous n'aimez pas ça. Lorsque c'est le jour de la morue, il n'y a que de la morue...


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Après trois jours d'errance et d'alcool, épuisée et à bout de nerfs, Betty a l'air d'une bête blessée. Comment est-elle arrivée dans ce restaurant-boîte de nuit des environs de Paris, triste refuge d'une faune bourgeoise et cossue ? Pourquoi Laure, une habituée de l'endroit, recueille-t-elle cette fille à la dérive ? Entre la bourgeoise vieillissante et déchue et l'étrange créature, naissent de mystérieuses relations d'hostilité et de secrète affection. Lentement, Betty reprend ses esprits et révèle à sa bienfaitrice l'enchaînement d'échecs et de vices qui l'a détruite.
Laure ignore encore la vraie nature de Betty. Est-elle une mal-aimée ou un être foncièrement pervers ? C'est alors qu'un homme entre en scène et la vérité, peu à peu, apparaît, imprévisible et fatale.

La dernière tentation de Judas

Philippe Battaglia a bien révisé son cathé pour nous pondre ce Da Vinci code mâtiné de Ghostbuster et de Massacre à la tronçonneuse vs L’exorciste au final apocalyptique dantesque digne des pires cauchemars de Jérôme Bosch. Quelle folie jubilatoire (au message d’amour universel) et hallucinée ! Woaw, voilà bien longtemps que je n’avais lu un tel ovni.

Jésus ramassa une branche sèche et se leva. Lentement, il fit quelques pas, et dans la terre humide de la berge traça, tout aussi précautionneusement, le mot amour. Puis il revint s'asseoir auprès
 - Un jour, il pleuvra. Ou il y aura des vagues ou du vent. Un jour, ce mot s'effacera. Mais toi, mon doux, tu l'as vu et tu sais qu'il est là. Et quand tu regarderas cette berge, peut-être même toutes les berges du monde, tu le verras, aussi clairement que si tu venais de le tracer toi-même.
Il prit la main de Judas et le tira doucement à lui. Le visage à quelques centimètres du sien, il ajouta :
 - Les symboles, mon amour, ne s'effacent jamais.
Puis il l'embrassa.
La dernière tentation de Judas de Philippe Battaglia

Judas face à un Dieu schizophrène, jaloux, aimant et cruel dans un combat qui ne se terminera que par K.O. Judas vs God, The Revenge aurait titré Hollywood si l’humour existait encore là-bas.

 - Tu te fous de moi ?
La femme éclata en sanglots, les deux mains sur son ventre déjà légèrement arrondi. Elle n'osait le regarder dans les yeux.
 - Non, Joseph, je te le jure. Je n'ai pas fauté. C'est le Seigneur qui le désire. Un ange est venu me l'annoncer. Je ne pouvais pas refuser au Seigneur de porter Son fils...
 - Tu espères vraiment que je vais te croire ? Que je vais avaler que si tu es enceinte, c'est parce que tu as couché avec un ange ?
Les larmes coulèrent de plus belle.
- Je n'ai couché avec personne, je te le promets. Je suis encore vierge, comme au jour de nos fiançailles...
Joseph fulminait. Il était un travailleur honnête, compétent dans son métier et respecté dans tout Nazareth. De quoi aurait-il l'air lorsque la nouvelle s'ébruiterait ? Un ange ? Sérieusement ? C'était ça, sa meilleure excuse ? Elle le prenait pour la queue d'un âne ! C'est toute la Galilée qui le pointerait du doigt en riant.

Puritains, grenouilles de bénitiers et intégristes : lisez, cela ne pourra que vous faire beaucoup de bien. Et n’oubliez jamais : aimez-vous les un-e-s les autres

Génial et époustouflant !

PS : voilà un livre sorti le 6 février 2025 qui a pour Pape Leo Quartus Decimus… ça donne quand même à penser… non ?

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Au sein du spacieux bureau où il officiait, le pape Leo A Quartus Decimus dormait à poings fermés dans un large fauteuil. Il était plus de trois heures du matin, mais personne n'avait songé à le déranger. Tant qu'il dort, au moins, il ne cause pas de tort, avait-on coutume de dire parmi ses proches. Quand on frappa à la porte, il ne fut pas le moins du monde incommodé et continua de ronfler.
Votre Sainteté ?...


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Rome, de nos jours. Immortel et séparé de Jésus depuis quelque deux mille ans, Judas trouve enfin une raison de sortir de sa léthargie : réaliser une ancienne prophétie. Après la découverte d'un évangile apocryphe écrit par Satan lui-même, il part à la recherche des trente deniers payés par les Romains pour la dénonciation de son amant, fort de la promesse que cela lui permettra de le retrouver dans l'au-delà. Alors, le monde saura qu'il n'était pas le traître dépeint par tous.

Accompagné d'une partie des apôtres, combattu par les autres, aidé par Marie de Magdala et Lazare, sa quête aux accents de thriller religieux le bringuebale des sphères huppées de Wall Streef aux bas-fonds de Londres, du tombeau maltais de Jean de La Valette au Vatican à la botte d'un Pierre, qui n'a de saint que le nom.

Philippe Battaglia peint, dans un esprit résolument punk, une galerie de personnages et d'histoires au coeur de notre imaginaire collectif. Drôle et érudite à la manière de Terry Pratchett, cette apocalypse survitaminée bouscule notre vision des apôtres.

Après tout, la Bible, c'est de la pop-culture.

- Tu savais ! Tu savais mes sentiments pour Jésus et tu connaissais aussi les siens ! Tu étais mon ami ! Et tu as tout de même écrit ce torchon !
- Ce torchon ? Mon Évangile ? s'offusqua le Publicain.
- Ouais ! Ce ramassis de conneries ! Tu m'as fait porter le chapeau alors que tu étais un des seuls à connaître la vérité.

« Je ne me permettrai pas de poser de jugement sur la foi. Tout comme les histoires, elle peut être capable de grandes choses ou se révéler destructrice. Je dois néanmoins confesser une quelconque méfiance à l'égard des porte-étendards autoproclamés. Voilà pourquoi j'ai voulu raconter une histoire qui parle d'histoires, de la manière dont elles impactent celles et ceux qui les entendent et, à travers eux, le monde. La mienne n'a aucune prétention, si ce n'est, comme toutes ses sœurs, celle d'exister et peut-être, avec bienveillance, de se frayer une toute petite place en vous. »
Philippe Battaglia

Le bilan Malétras

Voilà un roman bien amoral. Pur jus de l’époque ! Un homme tue sa maîtresse et vlan : deux cent trente-cinq pages d’introspection. Qui était elle, d’où venait elle… Beuh, là n’est pas le sujet. Elle finira découpée en morceaux et qu’importe. Personne ne sera puni, non, l’important c’est Monsieur et ses états d’âme.

On était au début de mai. C'était un samedi. Même le samedi, le Cintra ne connaissait pas la cohue des grands cafés. Cela restait, dans le centre de la ville, une oasis discrète, au décor un peu grave comme Malétras les aimait des boiseries sombres, des cuivres, des étains. Le velum abritant les trois ou quatre tonneaux qui servaient de guéridons à la terrasse était d'un rouge foncé. Le soleil, à cinq heures avait perdu sa pétulance. La température était juste assez tiède pour qu'on appréciât les quelques bouffées plus fraîches d'un courant d'air.
Le bilan Malétras de Georges Simenon
Par ailleurs, le portrait de Malétras est très réussi et la plongée dans ses tourments offre un tableau d’une grande profondeur.

Mais quand même, quelle indécence !

Le 61e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Emile, le garçon du Cintra, fut frappé par le changement et ne se trompa que d'assez peu dans l'interprétation de celui-ci. Quand, un peu après cinq heures, Malétras s'était assis derrière les joueurs de bridge, Emile s'était avancé comme d'habitude. Comme d'habitude aussi, il avait murmuré :
- Bonsoir, monsieur Malétras. Un Impérial ?


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Jules Malétras est un homme d’origine modeste qui a réussi. Pourtant, malgré son argent et son statut dans la bonne société du Havre, il reste un homme brutal et sans éducation dont la vie est loin d’être aussi parfaite qu’elle le paraît. Son fils est mort, sa fille l'évite ; quant à sa femme, chaque fois qu’il la regarde, c’est pour se rappeler qu’ils ne sont pas du même milieu…
Un soir, presque par accident, il étrangle sa jeune maîtresse. Ce geste insensé marquera-t-il le début d’une nouvelle vie ?

Le chat

C’est affreux, cette histoire. Il n’y a rien qui va et pourtant, je suis sûr que nous connaissons tous un couple pareil. Oh, bien sûr, peut-être pas aussi pire (… regardons bien), mais un vieux couple, attachés par leur haine de l’un pour l’autre. Ensemble. Et le jour où l’un s’en va, c’est sa meilleure maladie qui meurt. Quelle horreur, quel enfer.

Est-ce que, en son absence, elle osait battre le chat ? Il en doutait, car elle en avait trop peur. Elle en aurait certainement été soulagée. Elle avait fait mieux. Elle l'avait tué. Et ce n'était pas seulement à Joseph qu'elle s'en prenait de la sorte, c'était à lui, Émile, dont elle n'aimait pas davantage la présence et l'odeur que celles de l'animal. Elle avait attendu l'occasion pendant des années. Elle n'avait pas eu la patience d'attendre un an, deux ans peut-être, que le chat meure de sa mort naturelle. Bouin buvait, mais se sentait l'esprit froid, il était convaincu qu'il voyait les choses plus clairement, plus objectivement que jamais. C'était une garce. Il n'y avait qu'à voir, sur les photographies, la dégaine de son premier mari, le fameux premier violon de l'Opéra, pour savoir que c'était un mou qui s'était laissé berner pendant plus de trente ans.
Le chat de Georges Simenon
Ne me rappelant que vaguement de l’adaptation avec Gabin et Signoret, j’ai découvert une histoire qui m’a fait frémir. Quelle misère.

Un tout grand Simenon, sans polar, sans artifice

Le 108e roman dur de Simenon

Adapté en 1971 par Pierre Granier-Deferre avec Jean Gabin et Simone Signoret

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
II avait lâché le journal, qui s'était d'abord déployé sur ses genoux puis qui avait glissé lentement avant d'atterrir sur le parquet ciré. On aurait cru qu'il venait de s'endormir si, de temps en temps, une mince fente ne s'était dessinée entre ses paupières.
Est-ce que sa femme était dupe ? Elle tricotait, dans son fauteuil bas, de l'autre côté du foyer. Elle n'avait jamais l'air de l'observer, mais il savait depuis longtemps que rien ne lui échappait, pas même le tressaillement à peine perceptible d'un de ses muscles.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Emile, ancien ouvrier au naturel bourru, est un homme sans détour. Marguerite, à l'opposé, est une femme délicate, d'une douceur affectée, sournoise et avare. Elle provient d'une famille de propriétaires, dont on démolit les nombreux immeubles dans le quartier. Ils étaient voisins, tous deux veufs, et se sont mariés, lui à 65 ans, elle à 63, peut-être par peur de la solitude. Leur incompatibilité de tempérament ne tarde pas à se muer en sourde hostilité. Joseph, le chat d'Emile que Marguerite n'a jamais accepté, disparaît.

Ceux de la soif

L’enfer c’est les autres ! Ce huis-clos de Simenon semble pourtant se dérouler au paradis, sur une petite île, quasi déserte, des Galapagos. Un paradis jusqu’à l’arrivée de la Comtesse von Kleber.

Pourquoi Müller avait-il ajouté dans un autre angle de la feuille. 
Ceci prouve ce que j'ai toujours soutenu, à savoir que ce qu'on appelle les îles enchantées ne sont pas un endroit pour la colonisation, ni pour quelque entreprise que ce soit. La nature s'y défend elle-même contre l'orgueil des hommes. Hier, j'ai trouvé un taureau mort contre la palissade du jardin et, ce matin, j'ai partagé un seau d'eau entre deux ânes qui n'avaient plus la force de se tenir debout. Si la Providence n'a pas pitié de ces créatures, elles devront toutes mourir... 
Il avait conclu d'une écriture plus menue encore: 
Et sans doute sera-ce très bien ainsi.
Ceux de la soif de Georges Simenon
Un roman qui laisse la tension s’installer crescendo avec la chaleur. Puis le manque d’eau finira de faire tourner la tête de l’exubérante comtesse

Un roman qui semble fort inspiré de faits bien réels.

Le 23e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Lequel des deux hommes était arrivé le premier en cet endroit ? Et pourquoi choisir cet endroit-là plutôt qu'un autre ? En quoi était-il différent du terrain environnant ? On n'aurait pu le dire, et pourtant, pour ce qui était du terrain, la brousse y était moins dense qu'alentour et on sentait que c'était là qu'il fallait faire halte, et non ailleurs.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Frantz Müller et Rita sont venus se réfugier dans la solitude d'une île perdue des Galapagos. Mais la civilisation ne tarde pas à les rattraper, avec son cortège de conflits et de crises...

Simenon excelle dans ce récit où des personnages tourmentés cherchent vainement dans l'exotisme la solution de leurs troubles intérieurs.

Estampillage : détournement de fonds

C’était déjà toujours aussi con, même si le tome deux est rétrospectivement encore plus réussi (oui, j’avais lu Estampillage : détourné en dérision avant ce premier tome paru en 2022).

« J'ai peut-être Alzheimer, mais au moins, j'ai pas Alzheimer ! » Répétait Mamie
Estampillage : détournement de fonds de Benjamin Le Boucher
Du grand n’importe quoi pour le plaisir du bonheur d’en rire

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
« Le pouls est très faible », dit Régis, qui n'avait pas terminé ses études d'architecte


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Pardon Gutenberg, pardon l’Histoire, l’Art, la gravure, les graveurs, les gens qui ont servi de modèle, pardon les arbres, l’imprimerie, pardon les livres, pardon Jack Lang, pardon l’édition, pardon la famille et pardon à vous. On n’a pas pu résister à ce détournement de fonds, c’était délicieusement trop con.

La nuit

La nuit, je deviens fou chantait Salvatore Adamo. À la mort de sa femme d’un cancer, Druillet crée la nuit. Un cri de haine et de colère, une fuite en avant vers la mort à la recherche de shoote dans le dépôt bleu.

La nuit de Philippe Druillet
Des bandes rivales, unies pour le shoote dans une guerre totale, apocalyptique.

… Un jour… Moi aussi… Je crèverais tripes au vent
Mais en attendant ombre shoote
La mort je baise !!

Un chef d’oeuvre dans la colère, une prière hallucinée, un cri d’amour venu des enfers

Alors, certes, les chagrins y verront des dialogues d’une pauvreté consternante, un scénario confus et tout aussi misérable, un dessin plus approximatif que d’autres productions de Druillet, mais quelle rage ! Un chef d’oeuvre, vous dis-je !

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Au cœur de la ville morte vers le grand futur sifflaient les motos de la nuit, la nuit seulement., tout bougeait enfin, mais au matin quand disparaissait la lune molle devenue folle, éclatée, quand le jour terrible naissait tout retournait au tombeau...


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
En 1975, Philippe Druillet perd sa femme Nicole, victime d'un cancer foudroyant. Il exorcise sa peine dans un album au pessimisme assumé, pointant l'absence totale d'échappatoire à l'issue finale. S'ouvrant sur une préface laissant éructer la rage de l'auteur, La Nuit nous décrit un monde en proie aux gangs de motards anarchiques ou autres barbares déglingués et accros à la dope, se dirigeant tous, au cours d'une bataille sanglante pour le « shoot » ultime, vers une fin inéluctable. Les planches grandioses s'y succèdent comme de véritables tableaux dressant le portrait d'une humanité en perdition, folle, désespérée et nihiliste.

Explosive, fantastique, sombre, violente, baroque, outrancière : les adjectifs ne manquent pas pour décrire l’œuvre géniale de Druillet, mais s'il est un album qui se distingue parmi tous ses univers, c'est bien celui-ci. Probablement le plus noir mais aussi le plus fascinant, La Nuit est de ceux que l'on n'oublie pas. À nouveau disponible avec sa couverture originale, cette réédition lui rend hommage.