Ils appellent ça l’amour

Réussir les livres à messages est périlleux. Pourtant, Chloé Delaume s’en sort plutôt bien et porté par une sororité polyphonique, ce court roman réussi à convaincre tout en restant une fiction bien torchée.

Ils appellent ça l’amour de Chloé Delaume
Me reste pourtant un sentiment un poil malaisant… Les coupables ne sont-ils finalement jamais réellement punis par la justice ?

Une histoire d’emprise comme il en existe tant

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
L'ardoise n'est pas magique

Clotilde dans son crâne se donne tout un tas d'ordres pour que soit neutralisé l'assaut de ses sensations. Elle se répète Respire et Regarde où tu marches, mais la suffocation, autant que le vertige, poursuit sa progression. Ne te rappelle rien Elle sent venir les suées, redoute d'être bientôt saisie par le haut-le-cœur. Reste calme, Déglutis, Respire. Elle ne voulait pas revenir ici, non, pas revenir, tout remonte à la surface et son masque se craquelle. Souris, Respire, Avance plus vite.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Parce qu'elle a laissé ses amies organiser leur escapade durant ce week-end de trois jours, Clotilde se retrouve dans une ville qu'elle avait rayée de la carte. Ici, il y a vingt ans, elle a vécu avec Monsieur, un homme qui fit d'elle sa Madame sous prétexte de lui faire du bien. C'est ainsi que Clotilde se dépouilla d'elle-même, jusqu'à devenir un simple objet, mais un objet d'amour.

De son assujettissement d'alors, Clotilde a encore honte, et elle a beaucoup de mal à se découdre la bouche pour reconnaître les faits. La preuve : ni Adélaïde, ni Judith, ni Bérangère, ni Hermeline ne connaissent cette histoire, et aucune ne se doute qu'à deux rues de leur location, dans son immense maison, habite toujours Monsieur.

Clotilde se demande si libérer sa parole pourrait aider la honte à enfin changer de camp.

Maman

Dans ce livre qui part dans tous les sens Régis parle de sa maman, de leur relation, d’un amour absolu et… d’une petite (bien petite !) trahison qu’il ne découvrira qu’après sa mort.

Maman de Régis Jauffret
Mais s’il y a eu trahison une fois ?

Et Régis part en vrille et imagine, refait l’histoire, cherche des pistes, des indices, des preuves… tout en hurlant son amour.

Un livre remarquable qui pourrait paraître foutraque au premier abord, un désordre magnifique, virevoltant et passionné

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Le 3 janvier 2020, je me réveille au bruit d’un chantier qui bat son plein à l’étage supérieur. Sur mon portable, un message de la maison de retraite. Une voix d’homme m’informe que ma mère est décédée paisiblement à sept heures. J’ai entendu dire que dans les quelques minutes précédant notre mort le cerveau produisait assez d’endorphines pour nous accorder un peu d’euphorie avant la culbute. Une sorte de cadeau d’adieu à celui dont il a été si longtemps partenaire.
C’est très rassurant de le croire.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Plusieurs mois après le décès de sa mère, l’auteur découvre qu’elle l’a trahi dès le commencement de sa vie.
Dans ce récit intense, où l’intime se mêle à la fiction, Régis Jauffret essaie de comprendre qui était ce personnage étrange et complexe. Il explore l’amour, la culpabilité, et la folie tapie au cœur du lien maternel.
Maman est une confrontation tour à tour violente, tendre, bouleversante, drôle et iconoclaste. Cette mère coupable, son fils finira par lui pardonner car il lui doit non seulement la vie, mais une enfance heureuse dont il a gardé un lumineux souvenir.

Les papillons ne meurent pas de vieillesse

Cette bande dessinée est l’exemple même du traitement d’un sujet grave au travers d’une historiette qui pourrait sembler naïve.

Les papillons ne meurent pas de vieillesse de Matz, dessin et couleurs de Frédéric Bézian
Après la découverte d’un papillon disparu et retrouvé à loin de son habitat naturel, un entomologiste part à sa recherche en Amazonie. L’occasion de constater les ravages de la déforestation, les crimes contre les tribus autochtones et l’appât du gain de grandes multinationales amoralesLa plupart du temps, dans la nature, les papillons sont la proie des oiseaux, des lézards, des chats...
D'autres causes récentes de disparition beaucoup plus massive menacent des espèces entières : les pesticides et la déforestation.
D'une manière générale, les papillons, fragiles et vulnérables, ne meurent pas de vieillesse, mais de mort violente.Un album au graphisme noir-blanc très intéressant avec des touches de couleurs papillonesques très réussies. A noter finalement les quelques planches intercalaires qui apportent d’intéressantes respirations

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Vole en paix, joli Morpho...
Je cherche bien plus rare...


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Comment un papillon théoriquement disparu peut-il avoir été retrouvé à des milliers de kilomètres de son biotope naturel ? Après avoir écarté l'hypothèse d'un canular, un entomologiste mène l'enquête en Amazonie en compagnie de sa collaboratrice.

Ce papillon est-il une réponse de la nature aux ravages et aux destructions perpétrés par les hommes ?

À mi-chemin entre le conte naturaliste et le thriller, une aventure menée avec brio par deux maîtres de la bande dessinée contemporaine.

La fuite de Monsieur Monde

Qui n’a jamais rêvé, pris par la vie, la tête dans le guidon, le boulot, les factures… de tout plaquer et de partir en Ardèche pour élever des chèvres ?

Il ne s'était certes pas désincarné. Il était toujours M. Monde, ou Désiré, plutôt Désiré...
Non ! Peu importe... Il était un homme qui avait traîné longtemps sa condition d'homme sans en avoir conscience, comme d'autres traînent une maladie qu'ils ignorent. Il avait été un homme parmi les hommes et il s'était agité comme eux, poussant dans la cohue, tantôt mollement, tantôt avec acharnement, sans savoir où il allait.
Or voilà que, dans les rayons lunaires, il voyait soudain la vie autrement, comme à l'aide de prodigieux rayons X.
Tout ce qui comptait auparavant, toute l'enveloppe, la pulpe, la chair, n'existait plus, ni les faux-semblants, ni presque rien et ce qu'il y avait à la place...
La fuite de Monsieur Monde de Georges Simenon
Pour Monsieur Monde, ça lui est tombé dessus d’un coup, comme ça, il est passé à la banque et il a pris le train, laissant femme, enfants et entreprise prospère. Direction le Sud, Marseille. Et on verra bien.

L’histoire touchante et sensible d’un homme qui fuit avant de dépérir. Sa dernière chance

Le 52e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Il était cinq heures de l'après-midi, à peine un peu plus ─ une légère flexion de la grande aiguille vers la droite ─, quand, le 16 janvier, Mme Monde fit irruption, en même temps qu'un courant d'air glacé, dans la salle commune du commissariat de police.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
A quarante-huit ans, secrètement déçu par son existence, Norbert Monde décide de tout quitter, sa femme Thérèse, ses enfants, son entreprise d'exportation. Délibérément il choisit une vie errante, marginale et pauvre, qui le conduit bientôt dans un médiocre hôtel marseillais.
C'est là qu'il rencontre Julie, une jeune femme malheureuse qu'il empêchera de se suicider. De la façon la plus imprévue, Monsieur Monde va retrouver le chemin qui mène vers les autres, et vers son ancienne existence... Aucun roman n'est plus typique de l'univers de Georges Simenon, de sa fascination pour les existences en apparence les plus ternes, pour les décors en demi-teinte, pour les marges de la société.
Aucun de ses personnages n'est aussi singulier et mystérieux que ce Monsieur Monde, personnage ordinaire qui découvrira au fond de lui les voies d'une seconde naissance et d'une « froide sérénité ».

Journal d’alpage

Après avoir recueilli son témoignage, Agathe Borin raconte cinq mois de la vie d’une jeune femme à la montagne à s’occuper des vaches. Partie avec fils, nouveau-né et conjoint, elle va s’occuper de génisses (pas besoin de traire, c’est déjà ça), des prés, clotures, entretien, coupe du bois… Bref, tout ce qu’il y a faire là-haut !

Journal d’alpage de Agathe Borin
Le dessin est assez naif, plutôt fort réussi, et passé les premières pages la magie opère, direction les montagnes, le grand air et le son des cloches

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Meuuuhh
Ding
Dong
Ding


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
La montagne, sans doute par son importance dans le paysage et la culture du pays, est un sujet beaucoup abordé dans la littérature et la bande dessinée suisse. On y aborde ses traditions, ses mythes et son cadre atypique. A travers cette bande dessinée, l'autrice aborde le thème de la montagne sous un angle nouveau et en particulier inscrit cette thématique dans une période plus contemporaine. En amenant également l'expérience d'une femme dans un milieu principalement masculin, elle apporte des informations précises et justes sur les alpages d'aujourd'hui ; Agathe Borin s'est basée sur un témoignage pour la réalisation du scénario.

Idéal

Idéal est déroutant à plus d’un titre. La narration est lente avec de longues planches sans textes, le dessin est très épuré et les lignes tracées au couteau. Et pourtant, au fil des pages, les émotions apparaissent, les sentiments, les intentions se font plus claires et les aplats prennent du volume.

Idéal de Baptiste Chaubard et Thomas Hayman
Bienvenue dans une enclave protégée de la modernité dans un Japon futuriste où l’IA et les androïdes sont omniprésents.L’histoire d’un couple qui s’étiole et que rien ne semble pouvoir sauver… Rien, vraiment ?

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Tu te rappelles ce conte... ?
Celui dont tu m'avais parlé lorsque nous étions allés voir les estampes au palais d'Osu ?
Tu sais, l'histoire de ce vieux roi qui se fait duper par « l'esprit aux mille visages ».


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Les androïdes ont envahi la vie quotidienne, dans le monde entier, partout, sauf sur l’île japonaise très conservatrice de Kino qui résiste à la modernité et aux nouvelles technologies, pour reproduire un Japon de la fin du XXe siècle, gardé sous cloche de verre. Dans cette enclave idéale d’un monde disparu, Hélène et Edo, mari et femme, vivent heureux depuis de nombreuses années. Mais s’il est figé à Kino, le temps commence, pour le couple, à leur jouer des tours. Pianiste de renom, Hélène voit en effet sa place au sein de l’orchestre philharmonique mise en péril depuis l’arrivée d’une musicienne plus jeune et plus talentueuse qu’elle. De son côté, Edo sent que son désir pour sa femme s’étiole peu à peu. Alors, Hélène décide d’introduire dans leur maison un robot, clone parfait d’elle quand elle était jeune, et programmé pour satisfaire les désirs de ses propriétaires.

Mais quand on transgresse les lois, qu’elles soient celles des hommes, de l’amour ou du temps, le prix à payer peut s’avérer élevé…

La confession

Voilà un livre qui pourrait être vraiment drôle s’il n’était aussi désespérément réaliste. (Bon, j’avoue, je me suis bien marré quand-même !)

L'été de notre premier anniversaire de mariage, après qu'Hugues était rentré du Tchad, sans écrin de bijoutier mais avec une petite sculpture de guerrier sao, difforme et inquiétante, achetée sur le marché de N'Djamena, l'une de ces « africonneries » qu'affectionnent nos militaires, nous avons passé trois jours dans une communauté monastique de la banlieue lyonnaise pour « discerner où le Seigneur allait nous donner de porter du fruit» et « prendre nos décisions à la lumière de l'Évangile », comme l'indiquait l'article du site dont Hugues m'avait envoyé le lien peu avant son retour, exalté de m'apprendre qu'une place s'était libérée pour participer en couple à cette retraite courue par nombre de jeunes officiers et leurs épouses.
La confession de Romane Lafore
La confession, c’est une jeune croyante intégriste catholique, mariée à un militaire, pro-vie convaincue et militante, qui se désespère, mois après mois, règles après règles, de voir son ventre rester vide.

Plongée au cœur d’un activisme crasse et d’une mauvaise foi absolue. Un livre brillant qui, par la candeur d’une confessée, décrit les affres de la prise de conscience d’une jeune femme en plein désespoir face aux injonctions de son éducation, de sa famille, de ses amies, son milieu social et de son église. À la découverte de ses propres désirs, de sa liberté

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Vous avez l'air étonné que je sois revenue. Moi aussi. Après tout, je n'ai pas besoin de vous pour recevoir ma pénitence. Jusqu'au bout, j'ai hésité à faire demi-tour. Il y avait un homme effrayant en bas des marches. Il n'était pas là, la première fois, ou bien étais-je trop bouleversée pour le remarquer. Entortillé dans son sac de couchage, affalé sur un carton, il avait l'air de dormir ─ et puis il s'est redressé d'un coup en m'entendant approcher.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Quel crime a commis Agnès pour ressentir aujourd'hui l'impérieux besoin de se confier ?

Cette jeune catholique pratiquante était pourtant parvenue à rendre sa vie conforme à son rêve de petite fille et au scénario souhaité par son milieu : à vingt ans, elle avait rencontré son futur mari au très prisé bal du Triomphe des saint-cyriens, elle avait abandonné sans regret ses études pour le suivre en régiment à Bayonne, où elle avait attendu tranquillement que s'accomplisse sa destinée de mère de famille nombreuse. Engagements, foi, sociabilité : elle avait tout bien fait. Mais les années ont passé, et son ventre est resté vide. Cette maternité qui se refuse, en instillant chez Agnès le sentiment de son imperfection et de son inutilité, a provoqué en elle une fissure. Au point de la pousser à commettre ce qui ressemble au pire, à ses yeux comme à ceux de sa communauté.

Dans ce roman haletant et glaçant, Romane Lafore met en scène une jeune femme, hantée par le bien et le mal, qui tente de trouver son chemin entre culpabilité et liberté.

Toi

Si ce livre m’avait été résumé, j’aurais peut-être souri, condescendant, en imaginant une « mèmère à chat-chat ». Mais il faut le lire et comprendre combien un tel jugement peut-être facile et… totalement hors propos. Et quand bien même ?

Il faudrait inventer un concept, la chaternité. Veiller sur un petit être, lui garantir la nourriture, les soins, la sécurité matérielle et affective, le protéger des dangers sans lui confisquer ce qui fait sa vie (sortir, chasser, manger de l'herbe et des souris qu'il vient dégobiller sur le palier), observer jour après jour cette créature, la voir grandir, vieillir, l'épauler quand elle est fatiguée, la rassurer quand elle a peur, voir comment son quotidien est une ligne simple et pleine, essentiellement employée à dormir et obtenir les moyens de sa subsistance.
Jouir des contreparties que le chat nous offre en échange de nos attentions, la présence fidèle, la douceur, les ronronnements, les coussinets élastiques qui pétrissent les gilets, les moustaches qui effleurent le visage, le poids du réconfort dans les ténèbres. Le regarder être heureux et n'avoir conscience de rien, ni de la cruauté des hommes ni des guerres qui ravagent le monde, encore moins de la mort qui nous attend au tournant, le voir traverser ce présent absolu dans une innocence qui fait fondre le cœur et donne parfois l'impression que la vie est un cadeau.
Toi de Hélène Gestern
Un livre qui m’a un peu rappelé Assise, debout, couchée ! d’Ovidie et de cette relation particulière qui peut se tisser avec un animal.

Et c’est touchant, tendre et beau. C’est plein d’amour

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
J'ai toujours sur que j'écrirais sur toi.
Depuis que je te sais malade, et qu'à plusieurs reprises tu as frôlé la mort, je me suis mise à prendre des notes pour tout fixer, les souvenirs heureux comme les sombres moments.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Nous sommes dans un bar en bord de mer, entre chien et loup, à la fin de l'hiver. Hélène Gestern a commandé une bière, elle est seule près de la cheminée, dans un coin tranquille, en attendant que le chat du patron vienne quêter une petite caresse.

Elle pense à Mimi, une belle chatte persane qu'elle a recueillie il y a des années, à sa peur de la perdre, à leur tendresse partagée.

Madame Hayat

Madame Hayat m’a touché, bouleversé. Une histoire toute en contrastes qui raconte l’initiation sentimentale de Fazil.

 — Assieds-toi, je t'en prie, je vais faire un café.
Je pris place sur le canapé. Elle revint avec deux cafés. Elle s'assit sur le fauteuil, les jambes croisées. Sa robe remonta sur sa cuisse. J'en avalai ma salive. Incapable de savoir quoi dire, quoi faire. Elle était clairement en train de me séduire, et moi je n'arrivais même pas à me rendre compte que j'étais en train d'être séduit.
 — C'est très beau chez vous, dis-je d'une voix timide.
 — Tu aimes ?
 — Oui, vraiment.
Madame Hayat de Ahmet Altan
C’est la liberté folle de Madame Hayat dans un régime totalitaire, c’est la misère après l’opulence, c’est la volupté sans âges et un amour de jeunesse, c’est la timidité face à l’expérience, c’est la volonté de fuir et le besoin de se toucher toujours, c’est une relation inconditionnelle toute en omissions, c’est ambivalence des désirs, c’est envisager un futur dans un pays soumis à un pouvoir arbitraire.

Et plus que tout, c’est la beauté vue pour la première fois, l’émerveillement, l’absolu.

Mais c’est aussi le premier instant des choix déchirants

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
La vie des gens changeait en une nuit. La société se trouvait dans un tel état de décomposition qu'aucune existence ne pouvait plus se rattacher à son passé comme on tient à des racines. Chaque être vivait sous la menace de sombrer dans l'oubli, abattu d'un seul coup comme ces pantins qu'on prend pour cible dans les fêtes foraines.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Fazil, le jeune narrateur de ce livre, part faire des études de lettres loin de chez lui. Devenu boursier après le décès de son père, il loue une chambre dans une modeste pension, un lieu fané où se côtoient des êtres inoubliables à la gravité poétique, qui tentent de passer entre les mailles du filet d’une ville habitée de présences menaçantes.
Au quotidien, Fazil gagne sa vie en tant que figurant dans une émission de télévision, et c’est en ces lieux de fictions qu’il remarque une femme voluptueuse, vif-argent, qui pourrait être sa mère. Parenthèse exaltante, Fazil tombe éperdument amoureux de cette Madame Hayat qui l’entraîne comme au-delà de lui-même. Quelques jours plus tard, il fait la connaissance de la jeune Sıla. Double bonheur, double initiation, double regard sur la magie d’une vie.

L’analyse tout en finesse du sentiment amoureux trouve en ce livre de singuliers échos. Le personnage de Madame Hayat, solaire, et celui de Fazil, plus littéraire, plus engagé, convoquent les subtiles métaphores d’une aspiration à la liberté absolue dans un pays qui se referme autour d’eux sans jamais les atteindre.

Pour celui qui se souvient que ce livre a été écrit en prison, l’émotion est profonde.

Calamity Jane, un homme comme les autres

Les livres de Justine Niogret laissent rarement indifférent. Le champ lexical est souvent rude, violent, il suinte et peut laisser les doigts qui en parcourent les pages gras et puants. Mais quelles aventures. Quelles claques !

La chambre était rose et gorgée de dentelles crissantes. Le rose était maladif, couleur de jambon passé, taché de jaunâtre bilieux. Les dentelles étaient rudes, usées, cuites par les mites. Dans un coin, s'agitait une petite cage en osier au bout de son clou, et, dedans, s'ennuyait un oiseau aux yeux noirs comme du pétrole.
Calamity était vêtue de ses cuirs de daim, de ses franges, de son chapeau. Khamsa VéNazar était raide, silencieux. Ils étaient assis chacun à un coin du bas du lit, à peine, tournant le dos à ce qui s'y passait. Des corps nets, mais sans visage, brume couleur de chair, s'y tordaient sans pudeur, sans conscience d'avoir des témoins immobiles.
Calamity Jane, un homme comme les autres de Justine Niogret
De l’autre côté du miroir, Calamity se retrouve face à sa vie, qu’en a-t-elle fait ? Quels gâchis, quelles peurs, quels regrets ?

Et quels mensonges également ?

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Elle était lovée dans la boue chaude, sous les ventres des chevaux. La matière était tendre, à la douceur de cuir usé, ce cuir qui ne crisse plus sous les doigts, mais se creuse, souple. Elle se tordait là, serpent de chair trop pâle, dans ses robes noires et son chemisier autrefois blanc. Ses cheveux sortaient de son chignon maigre, mèches salies, pleines de nœuds. Elles rampaient avec elle comme autant de vers longs.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Calamity Jane. Légende de l’Ouest, mythe viril, silhouette dressée entre whisky et poudre. Mais qu’y a-t-il derrière le masque ? Une survivante. Ici, pas d’héroïne, pas de gloire. Seulement une femme à nu.

C’est un western crépusculaire. Un requiem pour les légendes. Une main tendue vers celles qu’on n’a jamais écoutées.