Camiothécaire-biblioneur aux lectures éclectiques. Romans, essais, biographies et autobiographies, récits de voyage, bandes dessinées, nouvelles, chroniques, témoignages… des critiques selon l'humeur
Certains livres échappent à toute note, évaluation, résumés ou peut-être même critique. Objets, livres ils sont porteurs d’une essence, une vibration, une onde poétique… ils peuvent être jugés bons ou très mauvais, il ne s’agira que d’un point de vue tellement éloigné de son objet qu’il en deviendra forcément ridicule. Produits dérivés : reverdies combinatoires de Isabelle SbrissaEt à l’instar de Noces de Laurence Boissier que j’avais finalement renoncé à noter ou à trop en dire… Ici non plus, rien de trop n’en faut.
Mais si vous avez la chance de tomber sur ce petit objet graphico-économico-poétique, régalez-vous, c’est déroutant et musical
Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente) Autrefois localisé en un lieu précis, le marché moderne devient diffus. Les échanges s'effectuent de plus en plus rarement dans un espace réel : l'ordinateur central d'un marché organisé, qui se conforme à des règles édictées par une bourse, ne correspond plus qu'à une place virtuelle, tandis que les transactions d'un marché de gré à gré, sans contrôle ni garantie externes, sont négociées sur des réseaux de télécommunication.
4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc) Trois reverdies combinatoires pour refaire la langue et le monde. Cette série transforme un texte issu du domaine financier par déplacement de mots, de syllabes ou de lettres, décompose le français de la spéculation financière, le mène à la musique sans tout à fait supprimer le sens, puis recompose une langue plus humaine, qui dit le partage des ressources et l'ouverture de la conscience.
Après avoir lu, voilà deux jours, Les sources de Marie-Hélène Lafon, je me suis retrouvé avec Nani dans les mains. Et quelle horreur de lire encore, et encore la même histoire. Un homme violent, une femme battue. Une fois dans une vallée en France, cette fois en Suisse.Nani de Mélanie RichozLa violence n’a pas de pays, mais encore et toujours le même sexe.
L’histoire des hommes violents. Une horreur
Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente) Albina emmène Siara et Arben à l'école. Sur le trottoir, devant le grillage, elle s'agenouille et les enlace. Très fort. Elle resserre les bretelles de leur sac à dos et arrange le col de leur veste, un peu légère pour la saison. Au loin, les Vanils ont déjà enfilé leur capuchon blanc. Sur les joues rondes et rouges de ses enfants, Albina dépose un baiser sonore, puis plonge son nez à la racine de leurs cheveux. Elle ne sent rien. Depuis plusieurs années, la seule odeur perçue est celle, putride et âcre, de la peur.
4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc) « Comme si chaque détail exige d’être
évoqué, revécu, pour se désagréger dans la
vase avec les cellules meurtries de ce corps.
Son corps.
Épuisé, souillé, appartenant plus à sa
progéniture et à son mari qu’à elle-même,
ce corps nourricier. Objet. Torture. Étranger.
Ce corps déjà mort. »
Nani, raconte l’histoire d’une jeune femme vendue par son frère à l’âge de quatorze ans à un mari violent.
Il y a évidemment un petit air de Sempé ou de Voutch dans ces planches aux traits et à l’humour léger.
Addictions de Francois Ravard
Des dessins d’humour drôle (ne chipotons pas) avec de bons moments de sourires subtils et poétiques
Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente) Oui, je trouve aussi ce spectacle absolument magnifique, Nathalie. Et d'ailleurs, cela me fait penser que j'ai oublié le rosé dans la voiture.
4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc) Nombreuses sont nos addictions, des plus douces aux plus terribles, des plaisirs coupables aux mauvaises habitudes...
Ravard se saisit de saynètes du quotidien pour rire de nos vices les plus tenaces, avec son cynisme et son regard narquois, et met son aquarelle au service d'une poésie délicieusement drôle.
Quelle violence dans ce petit livre ! Alors que ces sources ne semblent que survoler la campagnes, tout le talent de Marie-Hélène Lafon nous embarque pudiquement dans un cauchemar rural, bien loin des yeux.Les sources de Marie-Hélène LafonUne histoire désespérante comme tant d’autre, d’une tristesse désolante. Une femme qui subit la violence dans une ferme isolée. Et trois enfants !
Un livre dans l’attente de la goutte qui fera déborder la source
Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente) Il dort sur le banc. Elle ne bouge pas, son corps est vissé sur la chaise, les filles et Gilles sont dans la cour. Ils sont sortis aussitôt après avoir mangé, ils savent qu'il ne faut pas faire de bruit quand il dort sur le banc. Claire a refermé derrière elle les deux portes, celle de la cuisine et celle du couloir. La table n'est pas débarrassée, elle s'en occupera plus tard, quand il aura fini la sieste.
4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc) La cour est vide. La maison est fermée. Claire sait où est la clef, sous une ardoise, derrière l'érable, mais elle n'entre pas dans la maison. Elle n'y entrera plus. Elle serait venue même sous la pluie, même si l'après-midi avait été battue de vent froid et mouillé comme c'est parfois le cas aux approches de la Toussaint, mais elle a de la chance ; elle pense exactement ça, qu'elle a de la chance avec la lumière d'octobre, la cour de la maison, l'érable, la balançoire, et le feulement de la Santoire qui monte jusqu'à elle dans l'air chaud et bleu. Années 1960. Isabelle, Claire et Gilles vivent dans la vallée de la Santoire, avec la mère et le père. La ferme est isolée de tous.
Un navire marchand, une commandante et vingt (ou vingt et un ?) marins qui font halte au beau milieu de l’Atlantique pour piquer une tête dans les eaux abyssales. Et alors…Ultramarins de Mariette NavarroL’histoire d’un dérèglement, léger, presque imperceptible, juste un doute, un sentiment… une brume qui grossit.
Une intrigante histoire de bateau qui navigue entre gothique, fantastique et introspection des âmes marines
Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente) Dans le geste connu, le geste de travail, dans le geste refait chaque jour, un espace s'est glissé. Un tout petit espace blanc inexistant jusqu'alors, une seconde suspendue. Et dans la seconde suspendue, la seconde imprécise, toute la suite de la vie s'est engouffrée, a pris ses aises, a déroulé ses conséquences.
4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc) « Ils commencent par là. Par la suspension. Ils mettent, pour la toute première fois, les deux pieds dans l’océan. Ils s’y glissent. A des milliers de kilomètres de toute plage.»
A bord d’un cargo de marchandises qui traverse l’Atlantique, l’équipage décide un jour, d’un commun accord, de s’offrir une baignade en pleine mer, brèche clandestine dans le cours des choses. De cette baignade, à laquelle seule la commandante ne participe pas, naît un vertige qui contamine la suite du voyage. Le bateau n’est-il pas en train de prendre son indépendance ?
Ultramarins sacre l’irruption du mystère dans la routine et l’ivresse de la dérive.
Un court roman sur une déposition dans un commissariat suite à crime. Enfin… c’est confus. Un récit qui part dans tous les sens, chaotique, répétitif, digressif et parfois incohérent à l’instar de l’inévitable confusion suite à une telle agression et à un état de choc post-traumatique.De mon plein gré de Mathilde ForgetUne très brève lecture, difficile et parfois même désagréable. Mais tous les livres n’ont pas vocation à être faciles !
Un livre qui révolte deux fois. Lorsqu’on comprend et quand on réalise
Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente) Je me suis livrée à la police moi-même. J'essaye d'enlever la crasse coincée sous mes ongles mais c'est compliqué. Il en reste toujours un peu. Il me faudrait une fine lame comme la pointe de mes ciseaux en acier, ceux rangés avec ma brosse à dents sur l'évier de ma salle de bains. Mes ongles sont suffisamment longs pour se salir mais trop courts pour m'aider à racler cette terre. Il faudrait que je me lave les mains.
4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc) Elle a passé la nuit avec un homme et est venue se présenter à la police. Alors ce dimanche matin, au deuxième étage du commissariat, une enquête est en cours. L’haleine encore vive de trop de rhum coca, elle est interrogée par le Major, bourru et bienveillant, puis par Jeanne, aux avant-bras tatoués, et enfin par Carole qui vapote et humilie son collègue sans discontinuer.
Elle est expertisée psychologiquement, ses empreintes sont relevées, un avocat prépare déjà sa défense, ses amis lui tournent le dos, alors elle ne sait plus exactement. S’est-elle livrée à la police elle-même après avoir commis l’irréparable, cette nuit-là ?
Inspiré de l’histoire de l’auteure, De mon plein gré est bref, haletant, vibrant au rythme d’une ritournelle de questions qui semblent autant d’accusations. Mathilde Forget dessine l’ambiguïté des mots, des situations et du regard social sur les agressions sexuelles à travers un objet littéraire étonnant, d’une grâce presque ludique. Il se lit comme une enquête et dévoile peu à peu la violence inouïe du drame et de la suspicion qui plane très souvent sur sa victime.
À la fin de cette lecture, j’ai vraiment regretté de ne pas savoir lire le suédois afin de pouvoir comparer la géniale traduction (de Catherine Renaud) à son original. Car il est de plus en plus rare de lire un texte avec une telle débauche de passé simple et de telles constructions de chapitres qui donnent à ce livre son style tellement baroque – voir gothique.Strega de Johanne Lykke HolmUne histoire de jeunes filles envoyées dans un hôtel pour qu’elles y apprennent à devenir de bonnes épouses. Un hôtel vide, où rien ne se passe… vraiment pas grand-chose.Jusqu’à ce que l’une d’entre-elle disparaisse. Et même là…
Un livre impressionnant de style, hypnotique et envoûtant dans lequel tout semble rester figé hors du temps
Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente) Je me contemplai dans le miroir. J'y reconnus une femme jeune, mais déchue. Je me penchai pour presser ma bouche contre le miroir. La buée se diffusa sur le verre comme de la vapeur dans une pièce où quelqu'un avait dormi aussi profondément qu'un mort. Derrière moi, la pièce se reflétait. Sur le lit se trouvaient des épingles à cheveux, des somnifères et des culottes en coton. Sur le drap, il y avait des taches de lait et de sang. Je pensai : si quelqu'un prenait une photo de ce lit, toute personne sensée se dirait qu'il s'agit de la reconstitution du meurtre d'une petite fille ou d'un enlèvement particulièrement brutal. Je savais que la vie d'une femme pouvait se transformer à tout moment en scène de crime. Je n'avais pas encore compris que je vivais déjà dans cette scène de crime, que la scène de crime n'était pas le lit mais mon corps, que le crime avait déjà eu lieu.
4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc) Strega est un village dans la montagne que borde un lac noir. Neuf femmes de dix-neuf ans empruntent le téléphérique qui rejoint l’Hôtel Olympic. Filles de mères travailleuses et de pères invisibles, elles ont été envoyées là par leurs parents pour apprendre à devenir des femmes au foyer, en se formant au service de clients qui ne viennent jamais. Le temps s’étire, une sororité résistante s’installe comme un rêve dans le luxe des salles vides. Liqueurs et cigarettes accompagnent l’indolence de ces jeunes rebelles qui vivent dans la lumière brillante du grand parc de l’hôtel. Puis l’une d’elle disparaît. Elle a été assassinée, toutes le pressentent, car depuis l’enfance, elles le savent, la vie d’une femme peut se transformer à tout moment en scène de crime.
Dans un style exceptionnel, d’un onirisme sensuel à mi-chemin entre l’univers de Zelda Fitzgerald et le cinéma de Sofia Coppola, Strega raconte l’histoire, empreinte de lait et de sang, de neuf femmes aux prises avec un maléfice insaisissable.
Une femme accouche dans les vagues sur la plage d’une île d’Italie.Quartier d’orange de Emmanuelle SorgDans un texte à l’écriture fine et poétique, Emmanuelle Sorg nous raconte cette mère et sa fille, leur relation, la vie sur l’île, et tous les non-dits…Un court récit ou l’écriture prend la main sur une histoire à laquelle j’ai eu de la peine à m’attacher
Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente) Un liquide tiède épouse très exactement les contours de mon corps, roulé comme un galet au fond de l'océan. Une masse protectrice dans laquelle j'évolue en douceur propage, dilué, l'écho d'un bruit sourd, régulier. Il scande l'espace indéfini dans lequel les événements se succèdent et disparaissent, dans mon univers dont je ne sais rien, si ce n'est qu'il est mobile, inconstant. Au travers de mes paupières collées, je devine les zébrures étranges d'un ciel sombre.
4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc) Sur la terre pelée par les vents, une femme est étendue à la lisière des vagues. La mer épouse les contours de son corps nu.
Le visage froissé par la douleur, elle hurle dans la nuit que seules animent les étoiles d'un ciel sans lune. Les vagues effleurent la plage, caressant son corps meurtri.
Le roman d'Emmanuelle Sorg est une vague, à la fois onde et déferlante, qui raconte le destin d'une femme enceinte échouée sur une île italienne. L'enfance, le poids du passé, les secrets de famille et la nature sont au coeur de ce roman.
Les mots se balancent avec douceur, harmonie et grâce au fil de l'histoire qui se tisse et les souvenirs qui ressurgissent.
Si l’histoire de ce jeune Innu qui se retrouve, après 10 ans de prison pour le meurtre de son père, SDF dans les rues de Montréal est touchante, le style froid et découpé de l’écriture ne m’a pas emballé autant que les magnifiques Atuk ou Maikan.Tiohtiá:ke [Montréal] de Jean MichelEt pourtant, c’est une bien belle – et dure – histoire de solidarité dans les squares gelés du Québec parmi les délaissés des peuples premiers.
Un peu mélo quand même
Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente) NUTASHKUAN
L'odeur. Toujours pareille. Peu importe les veines dans lesquelles le sang court, son parfum âcre rappelle à ceux qui vivent leur vulnérabilité. Il y avait dans ce cœur trop de haine pour que ça se termine autrement.
4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc) Elie Mestenapeo, un jeune Innu de la Côte-Nord, au Québec, a tué son père alcoolique et violent dans une crise de rage.
Il a fait 10 ans de prison.
À sa sortie, rejeté par les siens, il prend la direction de Montréal où il rejoint rapidement une nouvelle communauté : celle des Autochtones SDF, invisibles parmi les invisibles.
Il y rencontre les jumelles innuk Mary et Tracy, Jimmy le Nakota qui distribue des repas chauds au square Cabot, au cœur de la ville, mais aussi Mafia Doc, un vieil itinérant plus ou moins médecin qui refuse de quitter sa tente alors que Montréal plonge dans le froid polaire…
Dans ce roman plein d’humanité, Michel Jean nous raconte le quotidien de ces êtres fracassés, fait d’alcool et de rixes, mais aussi de solidarité, de poésie et d'espoir.
Mais oui, Size does matter, Stanislas le sait bien. Mais cela pourrait être pire, non ? Grand petit homme de ZanzimEt bien oui ! Et ça va s’empirer rapidement dans cette mignonne bande dessinée qui tourne autour de ce petit personnage timide, gentiment obsédé, légèrement fétichiste et diablement timide.
Une grosse réussite au graphisme léger pour cette drôle d’historiette vraiment touchante, celle d’un petit homme au grand cœur.… Alors, BD d’incel comme j’ai pu le lire dans nombre de critiques ? Je n’arrive pas à trancher pour cette bd que j’ai innocemment lue sans trop m’interroger. Pour autant, il est intéressant de questionner certaines scènes (au regard du consentement, par exemple). Même s’il s’agit d’une BD rigolote.
Car si Stanislas semble (au début) complexé, fétichiste et voyeur… C’est surtout grand rêveur ! Et si ce n’est pas en hauteur… il va grandir !
Mais quand-même, zut pour son chat 😉
Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente) Stanislas Rétif est un petit homme, célibataire, la trentaine, à la beauté raisonnable. Il souffre de timidité au contact des femmes. Celles-ci l'impressionnent au plus haut point.
4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc) Petit homme deviendra grand
Stanislas Rétif habite, avec son chat, un petit appartement sous les combles. Introverti, il rêve de devenir un grand homme mais sa timidité et son mètre cinquante-sept ne lui sont d’aucun secours quand il s’agit d’aborder une inconnue. Stanislas est pourtant un grand amoureux des femmes ! En travaillant dans un magasin de chaussures, rien ne le met plus en joie que d’habiller leurs pieds. Un jour, lassé de ses déboires, il fait le vœu de devenir un « grand homme » tout en caressant sa paire de bottines préférée. Ce qu’il ignore, c’est que ces bottes en cuir de vache sacrée indienne ont un pouvoir immense ! La magie opère, mais à l’envers ! Le voilà réduit à la taille d’un pouce. Comment survivre dans cet environnement devenu hostile ? C’est le début d’une nouvelle vie dans laquelle les araignées deviennent des prédateurs et où les commérages n’ont plus de secrets pour Stanislas se faufilant, invisible, dans l’intimité des foyers. Capturé par une mamie sénile, il va bientôt se retrouver dans la maison de Fleur… jeune femme qui, à la vue de ses bottes pourrait être l’une de ses clientes… Au fur et à mesure, Stanislas va apprendre à connaître Fleur, et tomber éperdument amoureux d’elle… mais aussi la voir souffrir. Car Fleur est atteinte d’un mal qui la ronge. Que peut faire Stanislas du haut de ses 11 cm ? Peut-il devenir un grand homme par son courage, la beauté de ses actes et son don de soi ?